Le temps d'un ennui
Ces mots sont écrits sur un simple bloc-notes de mon Asus, actuellement posé sur mes genoux.
D’un ennui m’arrachant le peu d’énergie qu’il me reste, je me confonds peu à peu avec cette chaise de Starbucks qui m’accueille depuis quelques heures maintenant.
Je me suis alors dit : pourquoi pas écrire ? Mais écrire pourquoi, écrire pour qui ?
Honnêtement, cela n’a que très peu d’importance. Je veux juste que le temps passe, prostrée sur une énième boisson d’une enseigne que je rejette, mais qui, il faut dire, à ce moment de ma vie, dans cet aéroport, est mon lieu d’accueil.
Pour passer le temps, je regarde les passants. De là me viennent des idées d’histoires. Qui sont-ils ? Où vont-ils ? Les langues étrangères s’entremêlent. N’est-il pas folie que tant de pas, tant de vies, tant d’aventures dont je n’aurai jamais les tenants et aboutissants se croisent en un même lieu ?
Et, en même temps, pour rester dans une transparence totale, rien que de penser à matérialiser ces idées serait bien trop long pour le court temps que j’ai à attendre. Mon cerveau a décidé de n’être coopératif que pour se plaindre et tenter de me rappeler, pour ne me maudire qu’encore plus, ce qui m’a conduite à me retrouver là.
De là, je me dis que j’ai envie d’écrire sur une chose en particulier. Un sujet qui me passionne, me conforte, m’angoisse, bref : le temps.
Le temps, cette drôle de chose qui rythme notre quotidien, cette notion qu’on ne peut ni changer ni moduler, est étonnamment quelque chose qui me calme beaucoup.
Car quoi qu’il se passe, le temps continue. Infiniment. Que l’on meure, que l’on tue, que l’on aime, que l’on déteste, le temps continue, sans que l’on puisse rien y faire.
Pourquoi est-ce rassurant ?
Parce que cela peut rendre le présent à la fois mémorable et désuet. Par exemple, un instant d’une magie intense sera à jamais gravé dans ma mémoire, qui, elle, ne bouge pas et se nourrit du temps qui passe.
Alors que ce moment de vie, ces quelques heures à attendre dans un aéroport, ces quelques heures qui, dans ma tête, me paraissent interminables pendant que je pense, en boucle et encore en boucle, que le temps est long, que l’ennui ronge chaque connexion dans ma tête et que mes muscles s’engourdissent… la réalité est qu’une fois qu’elles seront passées, quand je prendrai du recul et que je raconterai, quand ma mémoire s’élargira après s’être nourrie de mes souvenirs à venir, ces quelques heures ne seront qu’une phrase résumée à :
« j’ai pris l’avion à Singapour, puis… ».
Ainsi est le miracle du temps.
Nous faire prendre du recul. Nous rappeler que nous ne sommes que le fruit du moment présent, mais surtout que nous devons apprendre l’humilité. L’humilité dans le sens où le temps est inaliénable. Ce qui nous paraît aujourd’hui insurmontable, ce qui nous détruit à un moment très précis de nos vies, tout comme ce qui nous réjouit, n’influence en rien ce sablier qui continue de s’écouler. Et qui nous permet de nous rappeler plus tard que ce sont ces moments qui nous ont construits.
Attention, il ne faut surtout pas voir là-dedans un nihilisme de la vie, mais au contraire une ode à vivre le temps présent. Vivre intensément. S’extasier pour chaque petit miracle de la vie, comme s’exaspérer pour de toutes petites choses. Car ce sont les ressentis qui font que cela s’ancre dans notre mémoire vive et nous ancre dans le réel de la structure abstraite du temps.
C’est pourquoi j’écris ces lignes, en espérant être assez exaspérée pour me souvenir, à l’avenir, que je déteste attendre dans des endroits bruyants, et ne pas faire l’erreur de prendre des décisions me laissant dans l’incapacité d’être active. Faites que ma mémoire s’en souvienne et fasse de cet instant non pas une attente désuète, mais un acte manqué inscrit dans le Temps.

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