Scène 6

7 minutes de lecture

Anna se lève et se met face aux autres acteurs. Elle se déshabille et finit en sous-vêtement.

THOMAS

Wow.

ALICE

Ca l’air de moins te déranger quand c’est elle.

LAURINE

Je le comprends.

ADRIEN

Il faut croire qu’elle est plus femme que toi.

ALICE

Ca ne reste qu’un corps, rose, mortel, fade…

ADRIEN

Oui, mais un corps de désir.

ALICE

Une femme limitée à un corps désirable, voilà qui va faire avancer notre cause.

THOMAS

Est-ce sexiste d’avoir des désirs ?

ANNA

Mais c’est fou, vous n’arrêtez jamais de parler !

ALICE

C’est vrai, ça serait dommage d’avoir un débat intéressant, baiser est bien plus important !

LAURINE

Elle a raison, vous réfléchissez trop.

THOMAS

C’est sûr que tu n’as pas ce problème, toi.

ADRIEN

Taisez-vous et admirez !

ANNA

Admirez ? Mais est-ce que je demande à ce qu’on m’admire ? Je ne suis pas une œuvre d’art, touchez moi bon sang, je ne risque pas de tomber en miettes ! Je ne suis pas précieuse, alors il n’y a pas de respect à avoir !

LAURINE

C’est que c’est impressionnant, toute cette chaire dévoilée, sans pudeur, sans finesse. J’ai l’impression de visiter une morgue.

ALICE

Le sexe n’est pas si loin de la mort, tu sais. On s’éteint un peu plus à chaque orgasme.

THOMAS

Une femme, ça se respecte, précieuse ou non !

ANNA

Allons, il n’y a rien de plus désobligeant que le respect ! Pourquoi est-ce que mon vagin devrait être respecté ? Est-ce qu’il l’a mérité ? Est-ce qu’il va recevoir la légion d’honneur ?

ALICE

Elle a raison, le respect n’est qu’un cadeau que vous nous donnez par ce qu’il vous arrange, vous les hommes. Vous avez peur des femmes, de leurs lèvres immenses prêtes à prendre le dessus et à vous engloutir. Le respect, pour vous, c’est la protection.

ADRIEN

Mais de quel respect on parle ? Depuis quand le sexe est un manque de respect, Thomas ?

THOMAS

Coucher, est-ce que ce n’est pas délabrer un sanctuaire ?

LAURINE

Je trouve ça particulièrement romantique, personnellement.

ALICE

Ca ne l’est pas, c’est seulement de l’égoïsme déguisé en pudeur.

THOMAS

Excuse-moi d’avoir autant d’estime pour toi, Alice !

ALICE

Je n’en demandais pas tant, tu sais.

ADRIEN

Je n’ai jamais autant respecté une femme qu’en la sautant, je crois.

THOMAS

Oui, bien sûr, et le sperme, c’est de l’eau bénite ! Plus la soirée avance, plus j’ai l’impression que le sexe s’est transformé en religion à vos yeux.

LAURINE

Tant mieux, les attentats à la pudeur font peu de victimes.

ALICE

C’est toi qui as organisé cette soirée, Thomas. Alors si le sexe est notre religion, tu dois être notre grand gourou !

THOMAS

Cette soirée était une erreur, je l’ai déjà dit !

ANNA

Vous faites vraiment chier ! A quoi bon me mettre à poil si c’est pour que le sexe passe avant mon sexe ! J’ai envie de gémir moi, pas de gueuler !

ADRIEN

Elle a raison. Une orgie sans plaisir perd tout son sens, faisons un effort !

THOMAS en se levant pour s’isoler près de la fenêtre

Désolé, mais je ne suis plus partant. Il est clair que personne ici n’a la même conception du sexe.

ALICE

Et alors ? Est-ce que ça a déjà freiné qui que ce soit ?

THOMAS

Et bien moi, ça me freine ! Nous sommes trop différents pour avoir le même orgasme.

LAURINE

Nous sommes amis pourtant !

THOMAS

Oui, et c’est pour ça qu’on ne couche pas avec ses amis, d’habitude !

ALICE

Tu plaisantes ? Tout le monde couche avec ses amis !

ADRIEN

C’est juste qu’il est rare d’organiser des soirées spécialement pour ça, voilà tout.

ANNA

Serais-je votre amie pour que vous refusiez de me toucher ?

LAURINE

Non, bien sûr que non, ou alors la rue entière est notre amie.

ANNA

Alors quelle gêne à avoir avec moi ?

THOMAS

Sérieusement, je ne me rappelle même plus de ton prénom !

ADRIEN

N’ai pas honte, moi non plus.

ANNA

Et alors ? Vous ne m’avez jamais dit les vôtres, mais a-t-on besoin de savoir le prénom de la personne avec qui l’on couche ? Je t’appellerais chéri, c’est beaucoup plus beau que Thomas.

ALICE

C’est vrai que crier Thomas pendant l’orgasme, c’est pas terrible.

THOMAS

Tu as très bien compris ce que je voulais dire. On ne se connait pas, voilà tout.

ANNA

Certes. Et ?

THOMAS

Et je ne couche pas avec des inconnus.

ADRIEN

Quel ennui !

LAURINE

Tu ne couches pas avec tes amis parce que tu les connais trop, et tu ne couches pas avec des inconnus parce que tu ne les connais pas assez. Avec qui tu couches, au juste ?

ALICE

Avec moi, et c’est tout.

ADRIEN exaspéré, presque plaintif

Eh beh putain !

ALICE

Oui, je suis du même avis.

THOMAS

Vous me fatiguez avec votre chasse à la moralité ! Ne pas être criminel est-il un crime ? Pourquoi est-ce que vous ne me laissez pas être quelqu’un de bien, tout simplement ?

ALICE

Parce que ça serait du mensonge. Tu n’es pas quelqu’un de bien, tu essayes juste de te rassurer.

THOMAS

Mais je t’aime, Alice. Je t’aime, et je ne veux personne d’autre que toi !

ALICE

C’est bien ce que je dis, tu essayes de te rassurer.

ANNA

Une orgie qui se transforme en thérapie de couple. Bien trop prévisible.

LAURINE

Moi aussi je commence à m’ennuyer.

ADRIEN

Bon, j’avais apporté quelque chose au cas où la soirée aurait du mal à commencer.

Adrien se lève pour aller chercher quelque chose dans son sac.

THOMAS

Si c’est un film porno Adrien, je te mets à la porte.

Adrien revient.

ADRIEN

C’est bien mieux que ça.

Il pose des sachets de pilules sur la table basse.

ANNA

Adrien, tu déconnes !

LAURINE

Qu’est-ce que c’est ?

ADRIEN

Du rêve.

ANNA

Ta définition du rêve est bien proche de celle du cauchemar.

THOMAS

C’est de la drogue ? T’as eu ça où ?

ADRIEN

C’est grâce à un ami, j’ai claqué toutes mes économies dedans !

ANNA

T’es malade !

THOMAS

Oui, t’es malade, complétement malade d’amener ça ici ! Je ne veux pas de ça chez moi !

ADRIEN

Hey, calme-toi, ce ne sont que des cachets !

ALICE

C’est vrai ça, Thomas. Ce ne sont que des cachets. Tu m’en donnes une vingtaine par jour, alors un de plus, un de moins…

THOMAS

Mais vous avez complétement déraillé ! C’est de la drogue, putain ! J’ai pas envie de vous voir vous flinguer le cerveau !

ANNA

Pour le coup, il a raison, faut faire gaffe avec ce genre de merde.

LAURINE

Ca a quel goût ?

ANNA

Un goût que tu regrettes.

ALICE

Tu as vraiment mis toutes tes économies dans quelques pilules ?

ADRIEN

Oui, c’est dire si je vous aime !

THOMAS

Tu as une manière étrange de nous aimer, tout de même.

ADRIEN

Et toi tu as une manière étrange de me remercier !

THOMAS

Ah, parce que tu veux en plus que je te remercie ?

LAURINE

Tu manques de curiosité, Thomas.

THOMAS

Il faut savoir arrêter d’être curieux quand la curiosité se transforme en connerie, non ?

ANNA

Il nous faudrait de l’eau pour que ça passe mieux…

ADRIEN

Tu viens de dire que c’était de la merde, Anna !

ANNA

Oui, et alors ? Je ne serais pas la première à aimer la merde, tu sais !

ALICE

Vous connaissez le baiser du lapin blanc ?

THOMAS

C’est trop poétique pour être sain.

ADRIEN

Chacun met un cachet sur sa langue…

ALICE

Et tout le monde s’embrasse…

LAURINE

Oh, c’est adorable !

THOMAS

Vous êtes vraiment tarés.

ANNA

Tout le monde sur le canapé !

Tout le monde s’assoit sur les canapés, sauf Thomas qui reste près de la fenêtre.

THOMAS

Alice, tu ne vas pas faire ça, quand même !

ALICE

Si, et je peux même le faire pour deux, si tu veux.

ADRIEN

Thomas, sincèrement, comment tu fais pour ne pas t’ennuyer ?

THOMAS

J’ai des amis dégénérés.

ANNA

Taisez-vous et ouvrez la bouche !

LAURINE

Je trouve ça tellement excitant !

ANNA

Assez parlé !

Anna tend les cachets à Laurine. Chacun pose un cachet sur sa langue.

THOMAS

C’est dégoûtant.

Après une légère hésitation, Anna et Laurine s’embrassent, Alice et Adrien s’embrassent.

Se flinguer le cerveau pour avoir le courage de se déshabiller, c’est avoir confiance en la mort pour nous permettre de vivre. C’est ridicule ! C’est lâche même ! Et vous osez me traiter de minable alors que c’est vous qui rampez maintenant comme des vers dans votre propre salive ? Vraiment, vous me dégoûtez !

Anna arrête d’embrasser Laurine. Elle se lève et se dirige vers Thomas d’un air séduisant.

ANNA

Allons, n’y a-t-il rien de plus excitant que le dégoût ? Le baiser glacé d’un canon appuyé sur ta tempe ? Le baiser acidulé de la mort qui rallonge ta vie ? Le baiser du lapin blanc ?

THOMAS

Alice a raison, la tempête se prépare, c’est une horreur.

ANNA

Ou alors me baiser, tout simplement ?

Anna embrasse Thomas qui ne résiste pas.

LAURINE

Je ne me sens vraiment pas bien.

ALICE continuant d’embrasser Adrien

Bienvenue au pays des merveilles.

LAURINE

Rien de merveilleux, j’ai juste l’impression de m’être casser la gueule dans le terrier. Et il fait tellement chaud !

Elle ferme les yeux et se repose sur les cuisses d’Alice alors que les deux autres couples continuent de s’embrasser, de plus en plus passionnément. Soudainement, la porte s’ouvre et un courant d’air faire claquer la fenêtre, effrayant tout le monde.

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