Scène 6
Anna se lève et se met face aux autres acteurs. Elle se déshabille et finit en sous-vêtement.
THOMAS
Wow.
ALICE
Ca l’air de moins te déranger quand c’est elle.
LAURINE
Je le comprends.
ADRIEN
Il faut croire qu’elle est plus femme que toi.
ALICE
Ca ne reste qu’un corps, rose, mortel, fade…
ADRIEN
Oui, mais un corps de désir.
ALICE
Une femme limitée à un corps désirable, voilà qui va faire avancer notre cause.
THOMAS
Est-ce sexiste d’avoir des désirs ?
ANNA
Mais c’est fou, vous n’arrêtez jamais de parler !
ALICE
C’est vrai, ça serait dommage d’avoir un débat intéressant, baiser est bien plus important !
LAURINE
Elle a raison, vous réfléchissez trop.
THOMAS
C’est sûr que tu n’as pas ce problème, toi.
ADRIEN
Taisez-vous et admirez !
ANNA
Admirez ? Mais est-ce que je demande à ce qu’on m’admire ? Je ne suis pas une œuvre d’art, touchez moi bon sang, je ne risque pas de tomber en miettes ! Je ne suis pas précieuse, alors il n’y a pas de respect à avoir !
LAURINE
C’est que c’est impressionnant, toute cette chaire dévoilée, sans pudeur, sans finesse. J’ai l’impression de visiter une morgue.
ALICE
Le sexe n’est pas si loin de la mort, tu sais. On s’éteint un peu plus à chaque orgasme.
THOMAS
Une femme, ça se respecte, précieuse ou non !
ANNA
Allons, il n’y a rien de plus désobligeant que le respect ! Pourquoi est-ce que mon vagin devrait être respecté ? Est-ce qu’il l’a mérité ? Est-ce qu’il va recevoir la légion d’honneur ?
ALICE
Elle a raison, le respect n’est qu’un cadeau que vous nous donnez par ce qu’il vous arrange, vous les hommes. Vous avez peur des femmes, de leurs lèvres immenses prêtes à prendre le dessus et à vous engloutir. Le respect, pour vous, c’est la protection.
ADRIEN
Mais de quel respect on parle ? Depuis quand le sexe est un manque de respect, Thomas ?
THOMAS
Coucher, est-ce que ce n’est pas délabrer un sanctuaire ?
LAURINE
Je trouve ça particulièrement romantique, personnellement.
ALICE
Ca ne l’est pas, c’est seulement de l’égoïsme déguisé en pudeur.
THOMAS
Excuse-moi d’avoir autant d’estime pour toi, Alice !
ALICE
Je n’en demandais pas tant, tu sais.
ADRIEN
Je n’ai jamais autant respecté une femme qu’en la sautant, je crois.
THOMAS
Oui, bien sûr, et le sperme, c’est de l’eau bénite ! Plus la soirée avance, plus j’ai l’impression que le sexe s’est transformé en religion à vos yeux.
LAURINE
Tant mieux, les attentats à la pudeur font peu de victimes.
ALICE
C’est toi qui as organisé cette soirée, Thomas. Alors si le sexe est notre religion, tu dois être notre grand gourou !
THOMAS
Cette soirée était une erreur, je l’ai déjà dit !
ANNA
Vous faites vraiment chier ! A quoi bon me mettre à poil si c’est pour que le sexe passe avant mon sexe ! J’ai envie de gémir moi, pas de gueuler !
ADRIEN
Elle a raison. Une orgie sans plaisir perd tout son sens, faisons un effort !
THOMAS en se levant pour s’isoler près de la fenêtre
Désolé, mais je ne suis plus partant. Il est clair que personne ici n’a la même conception du sexe.
ALICE
Et alors ? Est-ce que ça a déjà freiné qui que ce soit ?
THOMAS
Et bien moi, ça me freine ! Nous sommes trop différents pour avoir le même orgasme.
LAURINE
Nous sommes amis pourtant !
THOMAS
Oui, et c’est pour ça qu’on ne couche pas avec ses amis, d’habitude !
ALICE
Tu plaisantes ? Tout le monde couche avec ses amis !
ADRIEN
C’est juste qu’il est rare d’organiser des soirées spécialement pour ça, voilà tout.
ANNA
Serais-je votre amie pour que vous refusiez de me toucher ?
LAURINE
Non, bien sûr que non, ou alors la rue entière est notre amie.
ANNA
Alors quelle gêne à avoir avec moi ?
THOMAS
Sérieusement, je ne me rappelle même plus de ton prénom !
ADRIEN
N’ai pas honte, moi non plus.
ANNA
Et alors ? Vous ne m’avez jamais dit les vôtres, mais a-t-on besoin de savoir le prénom de la personne avec qui l’on couche ? Je t’appellerais chéri, c’est beaucoup plus beau que Thomas.
ALICE
C’est vrai que crier Thomas pendant l’orgasme, c’est pas terrible.
THOMAS
Tu as très bien compris ce que je voulais dire. On ne se connait pas, voilà tout.
ANNA
Certes. Et ?
THOMAS
Et je ne couche pas avec des inconnus.
ADRIEN
Quel ennui !
LAURINE
Tu ne couches pas avec tes amis parce que tu les connais trop, et tu ne couches pas avec des inconnus parce que tu ne les connais pas assez. Avec qui tu couches, au juste ?
ALICE
Avec moi, et c’est tout.
ADRIEN exaspéré, presque plaintif
Eh beh putain !
ALICE
Oui, je suis du même avis.
THOMAS
Vous me fatiguez avec votre chasse à la moralité ! Ne pas être criminel est-il un crime ? Pourquoi est-ce que vous ne me laissez pas être quelqu’un de bien, tout simplement ?
ALICE
Parce que ça serait du mensonge. Tu n’es pas quelqu’un de bien, tu essayes juste de te rassurer.
THOMAS
Mais je t’aime, Alice. Je t’aime, et je ne veux personne d’autre que toi !
ALICE
C’est bien ce que je dis, tu essayes de te rassurer.
ANNA
Une orgie qui se transforme en thérapie de couple. Bien trop prévisible.
LAURINE
Moi aussi je commence à m’ennuyer.
ADRIEN
Bon, j’avais apporté quelque chose au cas où la soirée aurait du mal à commencer.
Adrien se lève pour aller chercher quelque chose dans son sac.
THOMAS
Si c’est un film porno Adrien, je te mets à la porte.
Adrien revient.
ADRIEN
C’est bien mieux que ça.
Il pose des sachets de pilules sur la table basse.
ANNA
Adrien, tu déconnes !
LAURINE
Qu’est-ce que c’est ?
ADRIEN
Du rêve.
ANNA
Ta définition du rêve est bien proche de celle du cauchemar.
THOMAS
C’est de la drogue ? T’as eu ça où ?
ADRIEN
C’est grâce à un ami, j’ai claqué toutes mes économies dedans !
ANNA
T’es malade !
THOMAS
Oui, t’es malade, complétement malade d’amener ça ici ! Je ne veux pas de ça chez moi !
ADRIEN
Hey, calme-toi, ce ne sont que des cachets !
ALICE
C’est vrai ça, Thomas. Ce ne sont que des cachets. Tu m’en donnes une vingtaine par jour, alors un de plus, un de moins…
THOMAS
Mais vous avez complétement déraillé ! C’est de la drogue, putain ! J’ai pas envie de vous voir vous flinguer le cerveau !
ANNA
Pour le coup, il a raison, faut faire gaffe avec ce genre de merde.
LAURINE
Ca a quel goût ?
ANNA
Un goût que tu regrettes.
ALICE
Tu as vraiment mis toutes tes économies dans quelques pilules ?
ADRIEN
Oui, c’est dire si je vous aime !
THOMAS
Tu as une manière étrange de nous aimer, tout de même.
ADRIEN
Et toi tu as une manière étrange de me remercier !
THOMAS
Ah, parce que tu veux en plus que je te remercie ?
LAURINE
Tu manques de curiosité, Thomas.
THOMAS
Il faut savoir arrêter d’être curieux quand la curiosité se transforme en connerie, non ?
ANNA
Il nous faudrait de l’eau pour que ça passe mieux…
ADRIEN
Tu viens de dire que c’était de la merde, Anna !
ANNA
Oui, et alors ? Je ne serais pas la première à aimer la merde, tu sais !
ALICE
Vous connaissez le baiser du lapin blanc ?
THOMAS
C’est trop poétique pour être sain.
ADRIEN
Chacun met un cachet sur sa langue…
ALICE
Et tout le monde s’embrasse…
LAURINE
Oh, c’est adorable !
THOMAS
Vous êtes vraiment tarés.
ANNA
Tout le monde sur le canapé !
Tout le monde s’assoit sur les canapés, sauf Thomas qui reste près de la fenêtre.
THOMAS
Alice, tu ne vas pas faire ça, quand même !
ALICE
Si, et je peux même le faire pour deux, si tu veux.
ADRIEN
Thomas, sincèrement, comment tu fais pour ne pas t’ennuyer ?
THOMAS
J’ai des amis dégénérés.
ANNA
Taisez-vous et ouvrez la bouche !
LAURINE
Je trouve ça tellement excitant !
ANNA
Assez parlé !
Anna tend les cachets à Laurine. Chacun pose un cachet sur sa langue.
THOMAS
C’est dégoûtant.
Après une légère hésitation, Anna et Laurine s’embrassent, Alice et Adrien s’embrassent.
Se flinguer le cerveau pour avoir le courage de se déshabiller, c’est avoir confiance en la mort pour nous permettre de vivre. C’est ridicule ! C’est lâche même ! Et vous osez me traiter de minable alors que c’est vous qui rampez maintenant comme des vers dans votre propre salive ? Vraiment, vous me dégoûtez !
Anna arrête d’embrasser Laurine. Elle se lève et se dirige vers Thomas d’un air séduisant.
ANNA
Allons, n’y a-t-il rien de plus excitant que le dégoût ? Le baiser glacé d’un canon appuyé sur ta tempe ? Le baiser acidulé de la mort qui rallonge ta vie ? Le baiser du lapin blanc ?
THOMAS
Alice a raison, la tempête se prépare, c’est une horreur.
ANNA
Ou alors me baiser, tout simplement ?
Anna embrasse Thomas qui ne résiste pas.
LAURINE
Je ne me sens vraiment pas bien.
ALICE continuant d’embrasser Adrien
Bienvenue au pays des merveilles.
LAURINE
Rien de merveilleux, j’ai juste l’impression de m’être casser la gueule dans le terrier. Et il fait tellement chaud !
Elle ferme les yeux et se repose sur les cuisses d’Alice alors que les deux autres couples continuent de s’embrasser, de plus en plus passionnément. Soudainement, la porte s’ouvre et un courant d’air faire claquer la fenêtre, effrayant tout le monde.
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