Scène 13

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Au milieu de ces corps dénudés, dans l’indifférence la plus totale, Valentin apparait. Il s’est décoiffé, semble épuisé, le visage boursouflé par les larmes. Il regarde un instant ses amis.

VALENTIN

Des langues. Rien que ça. Des langues qui se mélangent, sans pudeur, sans attention, comme des larves grouillantes dans leur bave. Plus de larme, plus de cris, le sexe a tout emporté avec lui. C’est tellement plus simple, de s’embrasser. Tellement plus simple que n’importe quoi d’autre. Et moi, il me reste la difficulté : l’alcool et la cigarette.

Il se sert un verre de vin et s’allume une cigarette. Il se tourne vers la fenêtre ouverte. La tempête semble à son paroxysme. Les rideaux volent, la pluie tombe en averse.

L’alcool, la cigarette et cette tempête. Elle n’est plus dehors, elle n’a plus de limite. Les murs sont tombés, la tempête a franchi le pas, elle s’est invitée d’elle-même. Elle est au cœur de vos regards, elle est dans vos gestes obscènes, elle est dans ces bruits ignobles, ces gémissements qui couinent comme des cris de dégoût. C’est vous, la tempête, et je ne peux pas me battre. Vous me voulez ? Vous m’avez ! Que la tempête survive ! Qu’elle emporte tout, qu’elle brise, qu’elle fracasse, qu’elle dévore ! Elle a soif ? Elle a faim ? Alors que je la nourrisse ! Qu’elle me tue, qu’elle me viole, je me laisserais faire !

Il balance son verre et sa cigarette par la fenêtre puis se tourne vers ses amis.

Déshabillez-vous ! Mettez-vous nus ! Arrêtez de vous cacher, assumez ! Assumez l’horreur que vous êtes, assumez l’erreur que vous faites, assumez la tempête et ses dégâts ! Moi, je n’assume plus rien, je subis. J’assiste impuissant, j’admire ces cadavres que vous avez laissé derrière vous, toutes ces personnes vides que vous avez abandonné aussi vite que vos vêtements.

Il ramasse frénétiquement les vêtements qui jonchent le sol et commence à les jeter par la fenêtre.

Et moi, plein de compassion, si je les admire, je les sauve. Je les libère, je les soulage, je les offre à la tempête pour qu’ils soient détruits pour de bon. Puisque tout doit disparaître, puisqu’il n’y a plus rien d’important, ni l’amour, ni le sexe, à quoi bon les aider ? A quoi bon les enterrer, à quoi bon leur rendre hommage ? Il suffit de les prendre, de les jeter, puis de les oublier ! Encore et encore ! Voyez comme j’apprends vite, voyez comme Valentin sait aussi être invincible, voyez comme il n’a aucune pitié !

Une fois qu’il n’y a plus aucun vêtement à jeter par la fenêtre, il s’appuie essoufflé sur la rambarde, le regard dans le vide. Finalement, les yeux rivés sur l’extérieur, il recule et se fige au milieu du salon, plus calme. Le tonnerre gronde, un éclair éclaire l’appartement.

Aucune pitié, à part pour moi-même. La folie, la solitude, la haine, la tempête peut bien tout prendre avec elle. Je ne veux plus rien, plus rien du tout. Je ne veux plus rien en moi, plus rien sur moi, et plus rien de vous non plus. Le sexe, l’amour, tout cela n’existe que pour ceux qui n’en ont pas besoin, alors je ne peux me donner qu’à ce qu’il me reste ! Une averse, un ouragan, l’apocalypse peut-être, cela importe peu. S’il n’existe rien de sûr, si les autres ne peuvent rien pour nous, si seul Valentin peut sauver Valentin, alors que tout soit détruit !

Il commence à se déshabiller. Il enlève peu à peu ses bijoux, ses vêtements, ses sous-vêtements.

Qu’il ne reste plus rien. Vraiment plus rien. L’honnêteté brute, celle qu’on recherchait depuis des heures. La vérité. Plus de déformation, plus d’émotion, seulement un corps nu, pâle, presqu’inerte, déjà mort. Des mains qui tremblent, un cœur qui bat, des yeux qui pleurent, et ce sexe, cette chose qui dort, qui ne se sent pas concernée alors qu’elle va frôler ce qu’elle attend depuis une éternité.

Complétement nu, il s’approche de la fenêtre, comme happé par elle, et pousse une chaise contre la rambarde.

Le choc entre le tout et le rien. L’instant précis où tout s’arrête et tout commence. L’orgasme ultime, celui que vous recherchez en vain, celui que vous n’aurez jamais, parce que vous êtes encore trop bêtes pour vivre.

Il monte sur la chaise, bouleversé, en pleurs.

Cet orgasme que seule la tempête acceptera de me donner, alors que vous m’assassinez encore, sans répit, sans merci ! Vous me dégoûtez autant que je me dégoûte, ramassés sur vous-même en tas de chair informe, recouverts de bave et de sueur. Pathétiques. Lamentables. Vous n’écoutez jamais, vous ne regardez jamais, mais une seule phrase vous fait lever la tête. Une phrase, deux mots, et c’est tout un monde qui se bouleverse. Deux mots, seulement deux mots. Silence. Je t’aime.

Tout le monde lève la tête, surpris.

ALEXIS

Valentin ?

VALENTIN en fermant les yeux

Et maintenant, baise moi.

Valentin bascule dans le vide. Alexis s’élance en hurlant mais ne peut le rattraper. La collision entre le corps et la voiture d’Adrien résonne. Tout le monde pousse un cri d’horreur puis devient immobile, terrifié. Alexis s’écroule sur le sol, près de la fenêtre, en larmes. Enorme silence.

THOMAS

Mon dieu, que s’est-il passé ?

LAURINE horrifiée

Mais qu’a-t-on fait ?

ALEXIS

Mais qu’ai-je fait ?

ALICE grave

Nous sommes des monstres !

Silence.

ADRIEN froid, fatalement

Certains sont faits pour sombrer, ainsi va le monde.

Les pleurs d’Alexis redoublent. Long silence.

THOMAS

Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Long silence.

ANNA sur un ton sombre

Maintenant, on fait ce qu’on aurait dû faire depuis le début.

Elle enlève machinalement son soutien-gorge, les yeux dans le vide.

On baise.

La lumière s’éteint, un orgasme retentit.

Fin

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