Titubant sur les marches du bar, il rabattit son col sur ses oreilles. Encore ce soir, il avait enfilé shots sur shots, alcool sur alcool. Dans quel but ? Lui-même l’ignorait. Une recherche de réconfort, une tentative d’euphorie, combler un vide… Que dire qu’il ignorait d’où provenait son mal-être ?

Le barman l’avait convaincu une fois de plus de rentrer chez lui, mais il ne tenait pas à retrouver son petit appartement londonien froid, mort et bordélique.

Maintenant dehors, le vent d’automne l’assaillait et la solitude revenait à pas de géant. Trois gouttes lui tombèrent sur le nez ; le ciel noir commença à pleurer avec lui. Il le voyait comme un message : « Quelle tristesse, cette vie. Je te plains ».

Trente ans, pas de femme, pas d’enfant. Certains diraient qu’il disposait de la vie devant lui, mais ce dernier le voyait comme un échec. Il ne possédait ni parent, ni ami proche ; construire une famille constituait la seule chose qui le retenait dans ce monde impitoyable où l’argent règne, mais pas pour les artistes comme lui. Il se figurait poète, médiocre, en fait, il le pensait, mais poète quand même. Il avait écrit un arsenal de textes une fois, mais son recueil n’atteignit jamais son public.

Il leva la tête vers le ciel se demandant comment il pouvait façonner sa vie maintenant et perdit l’équilibre. Il tomba en boule sur l’asphalte humide et rêche. Sa tête tourna et il vomit un bout dans le caniveau. Après un dernier crachat, il se releva et entreprit une errance chancelante dans les rues étroites du voisinage.

À un croisement, il perçut un guitariste. Le son lui tapa les tempes et il se dit que lui aussi représentait un artiste médiocre. Les notes lui paraissaient stridentes, fausses. Il voulut arracher cet instrument de cet homme au sol et l’exploser comme un artiste sur scène… ou sur sa propre tête pour s’assommer un bon coup. Mais sa pensée cessa par le rire niais d’une femme dans l’allée adjacente.

En voulant suivre ce bruit ennuyant, il bascula sur le mur, se heurtant l’épaule dont le mal du choc fut absorbé par l’alcool. Il ignora l’appel du musicien inquiet et trouva un couple se tenant les deux mains. Il ressentit une seconde nausée, mais, cette fois-ci, ne repeignit pas le sol.

Pour une raison méconnue de lui-même (enfin peut-être), une bouffée de colère l’envahit. Une montée chaude, de son torse à sa tête l’enflamma. Il les héla d’une voix enrouée et incompréhensible. Il vit entre deux balancements le couple le regarder d’un air ahuri et disparaître en vitesse dans la pénombre. Il faut dire que ses cheveux longs et hirsutes, son manteau débraillé et ses traces de vomi sur le pull ne lui donnait pas fier allure. Au moins, se disait-il, il n’entendrait plus sa voix de crécelle.

Son errance continua ainsi dans le silence pendant ce qu’il lui parut une éternité. Une éternité à ressasser cette femme, ce guitariste, sa vie…

Bientôt, il croisa la route d’un pont. Il se souvenait de celui-ci. Adolescent, lui et ses amis d’antan y avait passé un temps fou à boire, parfois fumer, mais surtout imaginer leur avenir de rêve. Puis les études les avaient éloigné et plus jamais il ne trouva un groupe aussi soudé.

Il avanca d' un pas sur ce petit pont. Un ruisseau passait en dessous, et il observa l’eau berçante. Un petit lampadaire traînait là et il s’y accrocha comme autrefois, se permit même une petite danse. Puis enfin, quand il eut fini, il monta sur la rambarde et sauta tête la première.

Le lendemain, son corps fut retrouvé et le légiste conclut un choc sur la tête entraînant l’inconscience puis la noyade.