Sur le pont de notre bateau, le fringant “Explorer of the North Sea”, l’excitation avait été à son comble : le magnétomètre avait détecté une “anomalie”. En d’autres termes, une structure métallique inconnue gisait pile au-dessous de nous, à soixante mètres de profondeur.

La découverte d’une épave lors des prospections d'archéologie sous-marines procure un émerveillement à chaque fois renouvelé, même s’il faut bien avouer qu’il n’est pas si rare d’en mettre au jour : les eaux de la Mer du Nord regorgent de bateaux immergés.

Beau temps, belle mer, il suffisait juste d’attendre l’étale de basse-mer pour que les conditions de descente soient optimales. J’avais enfilé mon équipement, et j’étais enfin plongé dans les eaux grises qui au fur et à mesure de la descente s’assombrissaient jusqu’à ce que je n’y voie goutte, un comble quand on a trente mètres de gouttes d'eau au-dessus de soi. J’avais actionné mon système d’éclairage et continué ma progression.

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A présent, mon profondimètre indique soixante mètres. J’ai atteint le fond et palme dans une eau trouble à la recherche de l’épave.

Rien.

Rien que de la vase qui se soulève sous moi, dans un silence de mort.

Rien que des particules en suspension tout autour, qui scintillent comme des étoiles.

Rien que la solitude du désert sous-marin, loin, si loin de la luxuriance, de l’explosion de vie que l’on peut admirer dans les meilleurs spots de plongée, aux Maldives ou en Méditerranée.

Et cette communication avec la surface, qui ne passe plus depuis quelques minutes... Quand je remonterai, il va m’entendre, celui qui m’a installé du matériel défectueux !

Un banc de poissons placides passe à côté de moi sans me prêter attention, le spectacle me redonne un peu de baume au coeur. J’accélère ma progression en balayant l’espace avec ma lampe, quand une forme oblongue se dessine devant moi, révélée progressivement par mon pinceau de lumière.

C’est un sous-marin, couché au fond. le magnétomètre ne s’était pas trompé.

L’émotion me submerge, comme à chaque découverte ! Je m’approche de la structure. Sur la coque en partie recouverte de balanes, je parviens à distinguer un logo bleu rectangulaire. “Blohm+Voss”, le nom du chantier de construction. Pas de doute, c’est un U-boot de type 2, un sous-marin allemand construit à Hambourg pendant la première guerre mondiale. On en a déjà trouvé dix sur les quinze qui ont coulé en mer du Nord, celui-ci est donc le onzième.

Après une première inspection, je constate que son état est remarquable. La partie supérieure de la proue manque et l’engin repose à l’envers sur le kiosque, le poste d’observation où se trouve le périscope. Toutefois, le lance-torpilles est intact et il ne semble pas y avoir d’avarie. Le navire a probablement coulé avec ses membres d’équipages. J’ai devant moi un cimetière sous-marin.

Je m’approche encore et frappe sur la coque avec un petit marteau pour en sonder l’état de conservation.

Peu après, des bruits de coups me parviennent en réponse.

Il y a quelqu’un à l’intérieur.

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Il y a quelqu’un à l’extérieur ! Je commençais à trouver le temps long : depuis que notre sous-marin a été envoyé par le fond, j’attends qu'on vienne à mon secours.

Je me souviens encore nettement du moment où j’ai entendu la déflagration. Je pense que nous avons heurté une mine entre deux eaux, reliée au fond par un câble. Elle a probablement explosé au-dessus de nous, endommageant la partie supérieure du navire et entraînant son basculement. La déflagration fut colossale. Je me trouvais dans la salle des machines, à travailler sur le moteur diesel quand tout s’est mis à vibrer. Des canalisations ont sauté les unes après les autres, et j’ai juste eu le temps de fermer un sas de sécurité par lequel l’eau avait commencé à s’engouffrer, puis je me suis retrouvé ballotté d’un côté à l’autre et j’ai perdu connaissance. Lorsque je suis revenu à moi, j'étais seul. J’ai appelé, personne n'a répondu, je n’ai jamais su où étaient passés les vingt-deux autres membres d’équipage, ils s'étaient littéralement volatilisés. Ça restera un grand mystère pour moi. Le système électrique avait été lourdement endommagé, et j’étais enveloppé d’une lumière rouge. Il était impossible d’ouvrir le kiosque pour tenter une sortie, car notre sous-marin était retourné. Du coup, je me suis mis au travail pour réparer le système de régénération d’atmosphère intérieure, puis je me suis attelé au moteur. Malgré tous mes efforts, jamais je n’ai réussi à le faire fonctionner à nouveau.

Et voilà qu’aujourd’hui, quelqu’un frappe la coque, à l’extérieur, c’est un miracle !

Je réponds. Trois longs coups - trois courts - trois longs, le signal de SOS. Il faut me sortir d’ici !

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Les coups contre la coque redoublent. On dirait un code, comme si la personne à l’intérieur cherchait à communiquer avec moi. Malheureusement, je ne parviens pas à le déchiffrer. Mais au fond, et c’est le cas de le dire vu que j’y suis, au fond... Comment tout cela est-il possible ? Aucun humain n’aurait pu survivre à l’intérieur d’un sous-marin immergé pendant cent ans, sans nourriture, sans oxygène. Et quand bien même, il aurait cent-vingt ans aujourd’hui ! Je dois rêver, être victime de l’ivresse des profondeurs ! Mais si j’évoque la possibilité que j’hallucine… c’est précisément que je n’hallucine pas… Tout se brouille dans mon esprit. Ah, si seulement je pouvais demander conseil à ceux d’en-haut, ils me diraient si je dois essayer de pénétrer à l’intérieur.

De nouveaux coups résonnent, faisant vibrer l’eau autour de moi. Un gros lieu jaune d’au moins dix kilos passe à mes côtés, me frôle, indifférent à mon agitation.

J’ai compris ! Les coups doivent provenir d’un animal coincé à l’intérieur, un poisson ou un gros crustacé qui cogne contre les parois en essayant de trouver l’ouverture par laquelle il est entré.

Voilà une explication logique ! Pour en avoir le coeur net, je frappe trois séries de dix fois. S’il s’agit d’un poisson, il sera dans l’incapacité de répondre la même chose. Je prie pour qu’il ne reproduise pas la séquence.

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Mon sauveteur a tapé trois fois dix coups, ça ne veut rien dire en morse. Il attend certainement que je reproduise la séquence, pas de problème. Surtout, il ne faut pas qu’il s’en aille. Je frappe trois fois dix coups.

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Dans les profondeurs de la Mer du Nord, l’âme perdue d’un jeune marin de dix-huit ans, décédé lors du naufrage de son U-Boot, était entrée en résonance avec celle d’un plongeur victime d’un accident mortel de décompression.

Tous deux étaient condamnés pour l’éternité à tenter de communiquer sans jamais se comprendre.