Chapitre 3

11 minutes de lecture

1.

— Bon, alors ? Vas-y, crache le morceau !


— De quoi tu parles ?


Sam me lance un regard, du genre : « Te fous pas de moi ».


— Tu sais bien de quoi je parle. Kyle et toi. Hier, à l’atelier. Seuls, tous les deux, pendant deux heures. Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ?


— Il ne s’est rien passé, Sam.


— Menteuse.

— Ne me crois pas si tu veux, je m’en fous.


— Arrête de tourner autour du pot.


J’attrape un muffin que j’agite sous son nez.


— T’es sûre que t’en veux pas ? Sérieux, tu devrais goûter, ils sont super bons ! Il est sympa, le boulanger, de nous les avoir offerts ! On devrait lui donner une médaille… ou une statue à son effigie, encore mieux !

— Molly, change pas de sujet, me coupe-t-elle en croisant les bras. Puisque j’ai pas pu préparer les biscuits avec toi, j’ai au moins le droit de savoir ce que vous vous êtes dit. Tu me dois bien ça, non ?


Je la fusille du regard, ce qui me vaut un grand sourire.


— T’es pénible, tu le sais ça ?


— Oui et j’en suis fière !


— Bon, OK, viens, je vais tout te raconter, soupiré-je, faisant mine de capituler.

Sam se redresse sur sa chaise, excitée comme une puce, et se penche vers moi, les yeux brillants. On dirait une enfant le soir du réveillon de Noël. Je lui dis de se rapprocher jusqu’à ce que son oreille effleure ma bouche… et je lui lèche la joue. Sa réaction ne se fait pas attendre.


— Aaaah ! Mais ça va pas ?! T’es dégueu !! hurle-t-elle en reculant, une main sur la joue.


J’éclate de rire tandis qu’elle s’essuie frénétiquement le visage avec sa serviette.


— Beurk, beurk, beurk ! C’est répugnant !

— Bien fait, t’avais qu’à pas être aussi curieuse ! m’exclamé-je en me levant.

Je sens son regard sur moi alors que je monte les escaliers.

— Molly ! Tu vas me le payer !

Je rentre dans ma chambre en riant et m’effondre sur le lit. Un long soupir s’échappe de mes lèvres et je contemple longuement le plafond. Je ne peux m’empêcher de repenser à ce qui s’est passé hier chez Mme Clarkson, à la visite, aux gâteaux que j’ai mangés… et à Kyle. Je n’étais pas ravie de l’avoir comme binôme, mais bon, je n’avais pas eu le choix. Le sentir tout près de moi me gênait. Le souvenir de notre rencontre était encore tout récent dans mon esprit, et j’avais peur qu’il me voie désormais comme une demoiselle en détresse qu’il faut sauver à tout prix. Et comme si ça ne suffisait pas, il a fallu que ma maladresse légendaire fasse des siennes : entre mes brûlures aux doigts, le plateau de sablés que j’ai failli faire tomber, et la pâte à biscuits que j’ai renversé sur le plan de travail, c’était un miracle qu’on ait réussi à terminer à temps. Ce qui m’a valu des remarques de sa part, du genre :

— T’es un vrai danger public, Molly !

Ou encore :

— Comment ça se fait que tu sois aussi nulle en pâtisserie ?

Je savais qu’il plaisantait. Mais je l’ai surpris plusieurs fois en train de me regarder. Je me mets à rougir, rien que d’y repenser.

Oh non…

Se pourrait-il que…

Se pourrait-il que Kyle me plaise ?

Mais non, c’est ridicule, on vient à peine de se rencontrer. On ne se connaît même pas. Les coups de foudre, ça n’arrive que dans les films, pas dans la vraie vie. Et puis, si ça se trouve, peut-être qu’il voulait juste être gentil et prévenant… Comme il a vu que j’étais maladroite, il a sans doute voulu éviter une nouvelle catastrophe. Rien de plus.

Je me redresse et sors de ma chambre, l’esprit un peu plus serein.

— Sam ! hurlé-je en descendant l’escalier. Prépare-toi, on part dans cinq minutes !

 

2.

 

— Sérieux, ça fait trente minutes qu’on fait la queue, grommelé-je en tapant du pied sur les pavés gelés devant l’hôtel de ville.

— Comme si c’était pas ta faute, réplique Sam en croisant les bras, tout aussi agacée.

— Pourquoi t’as pas demandé à Josh ce que c’était, ce truc de Secret Santa, d’abord ?

— Et pourquoi toi, tu lui as pas demandé ?

— J’étais occupée, je te signale !

— Ouais, occupée à lire des bouquins. Ta vie est très palpitante !

Je m’apprête à lui balancer une réplique bien cinglante – ou l’un de mes gants à la figure –, mais je suis interrompue par l’ouverture des grandes portes en bois de l’hôtel de ville. Nous entrons et nous nous dirigeons vers l’accueil.

— Bonjour les filles ! nous lance Maddie, tout sourire, un serre-tête orné de bois de renne sur la tête. Vous êtes là pour le Secret Santa ?

Sam me jette un regard en coin, l’air perdu.

— Euh… on ne sait même pas ce que c’est, en fait.

— C’est l’une de nos traditions préférées. Chaque habitant ou touriste qui le souhaite peut s’inscrire sur une des deux listes ici présentes. Vous pouvez offrir un cadeau à qui vous voulez, et ce de manière anonyme.

Sam frétille de joie. Elle a les yeux qui brillent, comme chaque fois qu’il est question de cadeaux.

— C’est super ! s’écrie-t-elle. On va s’inscrire !

Elle attrape un stylo et écrit nos prénoms sur la liste dédiée aux vacanciers. Maddie nous tend une carte avec un petit flocon doré imprimé dessus.

— Voilà, vos inscriptions sont validées !

Nous la remercions et sortons de l’hôtel de ville. Nous nous rendons ensuite sur la grande place et nous nous arrêtons devant une échoppe servant des boissons chaudes. Une irrésistible odeur de cannelle et de chocolat flotte dans l’air, titillant nos narines.

— Chocolat chaud ? propose Sam.

— Évidemment !

Nous prenons place dans la file. Le froid me picote le bout du nez. J’enfile mes gants pour me réchauffer.

— Bon, du coup… on connaît pas grand-monde ici pour l’instant, remarque Sam. On pourrait s’offrir chacune un petit truc, non ? En plus de ce qu’on a déjà prévu.

— Et pourquoi pas Maddie ? Ou Patrick ? Après tout, on leur doit bien ça.

— Mais oui, c’est vrai ! T’as raison !

Une fois nos boissons servies, nous tournons les talons et nous nous apprêtons à rentrer au chalet lorsque je manque de renverser le contenu de mon gobelet sur la personne derrière moi.

— Oh ! Excusez-moi, je…

C’est alors que je reconnais Kyle. Comme par hasard.

— Tiens, tiens, tiens…. glousse Sam.

Je ferme les yeux, le front crispé. C’est pas possible, je dois forcément être maudite, c’est la seule explication logique. Kyle me sourit, amusé.

— Tu sais, Molly… si t’as envie qu’on discute, il suffit juste de me le dire.

Je le regarde d’un air narquois tout en m’efforçant de masquer mon embarras.

— Il faut l’excuser, elle est très timide donc elle ne sait pas comment se comporter avec la gent masculine, lance Sam.

Je l’ignore et me concentre sur Kyle.

— C’est bizarre, il n’y a qu’avec toi que ça m’arrive. Comme je te l’ai dit, c’est peut-être toi le problème !

Il éclate de rire.

— Tu sais quoi ? C’est officiel : je veux être ton Père Noël secret ! Comme ça, je pourrais t’offrir un guide pour apprendre à parler aux mecs !

Je hausse les sourcils, amusée.

— Tu t’es inscrit ?

— Pas encore, j’irai cet aprèm.

— Bon courage alors, dit Sam d’un ton ironique. On a fait la queue pendant des heures avant d’entrer !

Je jette un coup d’œil à ma montre.

— Sam, faut qu’on se dépêche, on va être en retard !

— Où est-ce que vous allez comme ça ? demande Kyle.

— On va fabriquer des flocons de neige en papier, répond Sam. Tu veux venir ?

— Hmmm… non merci, très peu pour moi.

— Comme tu veux, dit-elle en haussant les épaules. À plus tard, alors !

Sur ce, elle s’éloigne à grands pas.

Je salue également Kyle avant de rattraper Sam et lui balance un vigoureux coup de coude dans les côtes.

— Aïe ! Putain, mais ça va pas ? Qu’est-ce qui te prend ? râle-t-elle en grimaçant.

— C’est pour ce que t’as dit sur moi à Kyle.

— À charge de revanche, réplique-t-elle. Après tout, j’ai pas oublié ce que tu m’as fait tout à l’heure.

Elle me tire la langue avant d’accélérer le pas. Je reste quelques instants immobile, la maudissant en silence, avant de la rejoindre.

 

3.

— Bonjour à tous !

La voix chantante d’une femme retentit dans la grande salle, décorée de guirlandes argentées et d’étoiles suspendues au plafond. Des ciseaux à bouts ronds, des feuilles blanches et de la colle à paillettes sont disposés sur une grande table au centre. Quelques personnes sont déjà présentes.

— Je m’appelle Martha et je suis heureuse d’être avec vous ce matin. La fabrication de flocons de neige en papier est l’une de mes grandes passions et je compte bien vous la transmettre, comme l’ont fait mes parents avec moi. Sauf qu’eux n’avaient pas encore de colle à paillettes, je les plains sincèrement.

Un petit rire parcourt la salle.

— Bien. Je vais vous montrer ce qu’il vous faut : les ciseaux que vous voyez ici, plusieurs feuilles, une bonne dose de patience et surtout amusez-vous ! Ne visez pas la perfection ! Le flocon parfait, c’est celui que vous fabriquez avec votre cœur.

— Oh là là, c’est trop mignon, me chuchote Sam.

Martha se lance dans une démonstration en plusieurs étapes. Elle plie, trace, découpe, déplie, recoupe, replie, redécoupe, étire et dévoile un magnifique flocon aux motifs fins comme de la dentelle.

— Voilà, ce n’est pas si compliqué !

Je lance un regard désespéré à Sam, qui a l’air aussi paniquée que moi.

— Elle a bien dit « pas si compliqué », hein ?

— Moi j’ai entendu, « très compliqué » !

Une fois ses explications terminées, Martha nous invite à nous lancer. Nous attrapons nos feuilles et nos ciseaux, et nous nous mettons au travail. Au début, nous parvenons à rester calmes et concentrées… jusqu’au premier accroc.

— Euh… Sam ? C’est pas censé être un triangle, ça ?

— Si, mais j’ai mal plié, et maintenant ça ressemble à un losange. T’es mal placée pour parler, on dirait que t’as mâchouillé ta feuille !

— Ça fait un style !

— C’est ça, oui !

— Ton flocon ressemble à un poisson !

— Le tien à un insecte !

Pendant dix minutes, nous nous lançons des remarques acides et des regards assassins, et nous nous efforçons de ne pas nous entre-tuer. Un vrai carnage.

— Si Martha voit ça, elle risque de faire une syncope, marmonne Sam.

Vingt minutes plus tard, tous les participants sont invités à exposer leurs œuvres. Certains flocons sont sublimes… et puis il y a les nôtres. Celui de Sam a la forme d’un poulpe, et le mien ressemble vaguement à un monstre. Sam et moi restons légèrement en retrait, espérant que personne ne fasse le lien entre ces deux choses et nous. Mais Martha, radieuse, fait le tour de la salle en applaudissant.

— Bravo à toutes et à tous, je suis très fière de vous ! Chaque flocon est unique, tout comme vous ! Et c’est ça le plus important !

Elle s’arrête alors devant nos « œuvres » et les regarde avec attention.

— J’adore ceux-là ! dit-elle. Ils sont… surprenants. Et l’originalité, c’est top !

Je jette un coup d’œil à Sam, qui a l’air aussi étonnée que moi. Martha ouvre une boîte en carton et en sort de magnifiques flocons en papier argenté.

— Pour vous remercier de votre coopération, je vous offre à chacun un flocon fabriqué par mes soins ! À accrocher sur votre sapin !

Elle nous tend les nôtres, à Sam et moi. Nous la remercions en souriant.

Il est midi lorsque nous sortons de la salle.

— Bon, où est-ce qu’on mange ? demande Sam.

— À l’Auberge ?

— On y est déjà allées hier.

— Au salon de thé, alors ?

— Qu’est-ce que tu veux y manger, à part des petits gâteaux ?

— Au chalet ?

— Flemme de faire la vaisselle.

— J’ai une idée ! m’exclamé-je. On va à la boulangerie, on se prend deux parts de quiche, et on mange sur un banc près du lac, comme deux touristes qui vivent les meilleures vacances de Noël de leur vie !

Sam me regarde comme si j’étais un génie.

— T’as raison, faisons ça ! Comme ça, on pourra oublier ton horrible flocon-poulpe.

— Je te rappelle que c’est le tien.

— Ouais, je voulais dire l’autre, peu importe… Ton machin-bidule-truc.

 

4.

Il est tard lorsque Sam et moi arrivons sur la grande place. Une odeur de bois mouillé flotte dans l’air. Des guirlandes sont accrochées aux lampadaires qui bordent les allées. Un écran géant est installé entre deux poteaux ornés de pommes de pin et de rubans rouges. Des bancs sont répartis un peu partout. Les gens s’y assoient, certains avec des coussins, d’autres avec des plaids. L’ambiance est feutrée et joyeuse, presque intime.

— On se met là ? propose Sam en désignant un banc un peu à l’écart.

— Oui, parfait !

Nous nous asseyons et sortons nos couvertures de nos sacs avant de nous enrouler dedans. Nous nous blottissons l’une contre l’autre. Le plaid que j’ai apporté me recouvre jusqu’au menton, et j’enfonce un peu plus mon bonnet sur mes oreilles. J’observe la foule autour de nous. Des enfants rient et courent partout, une vieille dame tricote paisiblement. Une boule de neige atterrit à nos pieds, provoquant un éclat de rire un peu plus loin. Je lève les yeux…

… et c’est là que je le vois.

Kyle.

Debout, à quelques mètres de nous, les mains dans les poches de son manteau, une écharpe grise autour du cou, il discute avec un vieux monsieur, probablement un villageois. Il rit et se tourne dans notre direction. Nos regards se croisent. Mon cœur rate un battement.

— Sam… il est là, soufflé-je sans le lâcher des yeux.

— Qui ça ? dit-elle en se redressant.

Elle suit mon regard et esquisse un petit sourire lorsqu’elle le voit.

— Décidément, vous ne vous lâchez plus d’une semelle. C’est forcément un signe du destin, marmonne-t-elle tout en fouillant dans son sac.

Elle sort nos deux thermos et me tend le mien avant d’ajouter :

— Le destin, Molly ! Le D-E-S-T-I-N ! Tu ne peux pas lutter contre !

— Rien à voir, c’est juste qu’on est dans un petit village, c’est normal qu’on se croise souvent.

— Mmh-hmm, dit-elle, peu convaincue.

Je m’apprête à répliquer lorsque je sens quelqu’un s’approcher de nous. Je n’ai même pas besoin de lever la tête pour savoir qui c’est. Mon dos se raidit et mes doigts se figent autour du bouchon de mon thermos.

— Je ne vous dérange pas, j’espère ?

Je me tourne. Kyle est là, juste à côté de moi. Tout près de moi. Je fais mine de rester naturelle, mais mon cœur tambourine comme un fou dans ma poitrine.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Il hausse les sourcils, amusé.

— Pourquoi ? Je ne devrais pas être là ?

— C’est pas ça… c’est juste que je pensais pas que tu viendrais.

— Au contraire, j’adore les films de Noël !

Je reste un instant silencieuse, surprise par sa réponse. Un mec qui adore les films de Noël ? C’est rare.

— Ah… murmuré-je.

— Tu pensais que j’étais plus du genre à regarder The Descent ou Terrifier, c’est ça ?

Je m’apprête à répondre lorsque l’écran géant s’allume. Une douce musique retentit, une musique que je reconnaîtrais entre mille. Un murmure d’excitation parcourt la foule et des rires se mêlent aux premières notes du générique. Je me cale un peu plus contre Sam et me laisse happer par le film. Je connais chaque scène, chaque réplique par cœur. Je m’identifie à chacun des personnages. Amanda, Iris, Graham, Miles… Je suis tellement concentrée que je fais abstraction des gens autour de moi. J’arrive même à oublier Kyle, assis à ma droite.

Enfin… presque.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cassie_Gfy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0