La Petite Feuille
Dans le grand frêne du parc bourgeonnait une petite feuille. Avide de soleil, tendre et délicate, la jeune pousse s’étira un matin pour se déployer au monde. Elle découvrit la lumière, la brise, le chant des oiseaux, et n’eût bientôt qu’une seule envie : parcourir la Terre.
Autour d’elle, dans la canopée du frêne qui la portait, les autres feuilles de tout âge la méprisaient.
– Si tu tiens tant à voyager, tu n’as qu’à t’arracher, l’encourageaient-elles d’un ton narquois, mais une feuille volante est une feuille morte...
Trop intimidée pour argumenter, la jeune feuille n’insista plus. Elle savait que c’était une idée idiote, et l’oublia.
En poussant, au fil du temps, la petite feuille se teinta d’un vert moins criard, lissa ses plis outranciers. Elle finit un jour par se fondre tout à fait dans la masse de la frondaison. Sa robe impersonnelle ne brillait plus sous les rayons de l’aurore, ne frisottait plus lorsque l’aquilon la chatouillait.
Accrochée à sa branche, entourée par ses pairs, la feuille vit son printemps s’achever. Puis l’été défila, et avant qu’elle ne s’en rende compte, l’automne arriva. Sa vie touchait à sa fin, elle se découvrait plissée, terne, si sèche qu’elle en était friable. Autour d’elle, ses comparses tombaient les unes après les autres comme dans un soupir.
Ce soir-là, le vent qui l’avait tant fait danser dans ses jeunes instants puis tant agacée lorsqu’elle s’était lassée de ses caresses, se leva pour l’effleurer une dernière fois. Tout en parcourant ses sillons, ses courbes fragiles, il lui souffla tendrement :
– Laisse-toi porter, je te détache.
Et la feuille s’envola comme ses vieux rêves, ombre dans le silence de la nuit.
Alors qu’elle virevoltait au gré des bourrasques amicales, la feuille se rendit compte que la vie ne l’avait pas encore tout à fait quittée. Ebahie, elle contempla les paysages tout en nuances orangées qui s’offraient à son regard, savoura le frisson de son vol plané, et tourbillonna de joie.
Sa liberté serait de courte durée, mais il n’était jamais trop tard pour rêver.

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