Le Bon Chemin
Le hululement d'une chouette les tira de leur sommeil. Autour du vieux tronc déraciné contre lequel ils étaient allongés s'étalaient des herbes sauvages et des petites fleurs malingres qui mendiaient de la lumière dans une clairière entourée d'arbres aux ramures sombres. Ils ne savaient pas comment ils étaient arrivés ici, ils ne se souvenaient pas s'y être endormis, et surtout, même lui ne connaissait pas cette espèce d'arbres. La panique gagna le vieux couple.
Ils remarquèrent qu'ils étaient pieds nus et vétus légèrement. La lumière déclinait déjà, et la température chutait sensiblement à chaque raie de lumière qui disparaissait entre les feuillages. Un loup hurla au loin. Un autre lui répondit à l'opposé. Il leur fallait vite trouver un abri.
Il cherchèrent un début de chemin à l'orée de la forêt et ne trouvèrent qu'une sente étroite couverte d'orties couchées et bordées de buissons épineux. Une borne blanche, un simple rocher blanchi de la taille d'un petit lapin, semblait marquer le début du chemin. Elle y remarqua un petit éclat fugitif à la lueur du jour mourant et s'en approcha avec plus de curiosité que de prudence. Elle fut surprise de trouver, lové autour du rocher, un petit collier de mailles d'argent tout à fait charmant, qu'elle s'empressa de mettre autour de son cou. Cette aventure se révélait pleine de surprises, et celle-ci n'était pas pour leur déplaire.
Ils empruntèrent le chemin sans hésiter, au prix de quelques jurons à chaque épine qui lacérait leurs mollets et à chaque irritation de leur plante des pieds.
Ils marchaient sans savoir si une minute ou une heure s'était écoulée quand ils tombèrent sur une nouvelle marque du chemin, de nouveau un petit rocher blanc sur le côté du sentier, au pied d'un grand chêne. Ils s'en approchèrent pour être sûr que ce ne soit pas un vulgaire rocher mais cette couleur blanche ne laissait aucun doute. Cette fois-ci, une bague en or tronait fièrement au sommet du caillou, ce qui rendit un peu de sourire au couple. Alors qu'elle enfila la bague à son doigt, ils se dirent que c'était peut-être la providence qui les avait menés ici pour les sortir de la misère.
Ils continuèrent leur route jusqu'à la borne suivante qui se trouvait juste avant un petit pont de bois qui enjambaient un ruisseau. Leur premier réflexe fut d'ausculter le rocher et ils eurent la satisfaction de trouver un ravissant petit bracelet serti de sept diamants. Elle le passa à son poignet et fit une révérence à son mari, qui la lui rendit avant de lui proposer un baise-main galant. Ils rirent de concert, main dans la main. La fortune leur souriait, dans tous les sens du terme.
Ils pressèrent le pas, avec l'espoir que ce généreux sentier continua encore avant la tombée de la nuit. Une quatrième borne ne manqua pas de se présenter, alors que le chemin épousait la pente d'une colline arborée. Ils coururent jusqu'à elle pour fouiller autour mais n'eurent aucun mal à trouver les deux boucles d'oreille simplement posées dessus, des boucles d'oreille somme tout assez simples, un saphir solitaire d'un côté, un rubis tout aussi solitaire de l'autre. Il n'eut pas de mots pour exprimer sa joie. Aussi humble qu'était sa condition, il n'en avait pas moins conscience de la valeur de tels bijoux.
Sans tarder, ils reprirent leur périple car le froid se faisait mordant, et ils imaginaient que les loups le seraient tout autant. Mais ils étaient surtout excités à l'idée de ce que pouvait leur réserver la prochaine étape.
Ils ne furent pas déçus : la cinquième pierre blanche, en face d'un banc de pierre moussue, était couronnée d'un diadème scintillant de milles petits diamants, disposés comme une rivière. La sixième, près de l'entrée d'une caverne peu profonde, était dotée d'une tiare formée de fleurs d'or et de feuilles d'argent. La septième, au pied d'une vieille balançoire accrochée à un arbre qui bordait le chemin, était surmontée d'une broche avec une émeraude si énorme qu'ils la confondirent de loin avec une feuille d'érable. Elle était bardée de tant de joyaux qu'elle se sentit noble, princesse, et même reine de la forêt.
Ils finirent par sortir de la forêt. Le chemin continuait à serpenter à travers un immense champ de blé juste fauché qui s'étirait devant eux à perte de vue. Une légère fumée s'échappait d'une cheminée lointaine au-delà de l'horizon. Ils crièrent de joie et se hâtèrent de rejoindre la sécurité d'un bon feu pour passer la nuit.
Ils croisèrent de nouveau une pierre blanche. Ils furent surpris, et même un peu déçus, de n'y trouver qu'une paire d'escarpins et une paire de bottes, sans autre luxe qu'une bonne semelle. Les pieds nus et abimés après tout ce chemin, ils n'en goutèrent pas moins le plaisir d'enfiler ces chausses dans l'idée de paraitre moins crasseux auprès des gens qui les accueilleraient. Si les escarpins se révélèrent un peu trop grands pour elle, les bottes étaient parfaitement ajustées pour lui.
A la vue du manoir duquel s'échappait la fumée, ils ralentirent un peu le pas et discutèrent de leur nouvelle richesse et de ce qu'ils comptaient en faire. Ces dernières années avaient été, pour sûr, très éprouvantes et même si leur fils subvenait désormais à leur besoin et faisait leur fierté, ils pensaient que c'était aux parents de s'occuper de leurs enfants, et non l'inverse. Et ils allaient enfin pouvoir leur donner tout ce qu'ils méritaient.
Le manoir se révéla n'être qu'une chaumière de paysan, mais aux dimensions impressionnantes. La porte était si large et si haute qu'un cavalier avec armes et armures aurait pu la passer sans démonter. De la lumière filtrait par les fenêtres et une bonne odeur de ragoût parvint à leurs narines. Il frappa à la porte.
Silence. Même les animaux nocturnes se turent. La légère brise du soir tomba. La lune qui se levait perdit de son éclat pendant quelques secondes. Des pas lourds firent grincer les lattes de bois du plancher à mesure que le fermier s'approchait pour ouvrir la porte.
Quand elle s'ouvrit, un géant se présenta devant le vieux couple : grand comme un arbre, large comme deux boeufs, ses deux yeux étaient rougis par le chagrin. Le colosse examina les deux pauvres voyageurs. Il remarqua tout de suite les sept bijoux de la dame qui scintillaient à la lumière de sa lanterne et les bottes au pied de l'homme.
Mais ce qui le mit le plus en rage fut de voir les escarpins au pied de cette inconnue, les escarpins de son épouse qui s'était donnée la mort après la tromperie de cet ignoble petit garçon qu'elle voulait protéger de l'apétit de son mari.
Quelques heures plus tard, l'Ogre se lécha les doigts pour mettre un terme à son repas. Il fut copieux mais il n'avait éprouvé aucun plaisir à se délecter de ces deux idiots. Il récupéra puis enfila ses Bottes de Sept Lieux et partit dans la nuit pour redéposer, en huit pas, les escarpins et les bijoux sur les pierre tombales de sa femme tant aimée et de ses sept filles adorées.
A bonne distance, perché sur les branches d'un arbre, un tout petit garçon au regard sombre sourit à ce spectacle. Il n'en avait pas perdu ... une miette.
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