Chapitre 4

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— Il faut partir, vite ! lança François en remettant son frère sur pieds.

— Mais par où ? demanda Anne. On est encerclés ! Au premier étage !

— Par la fenêtre ! Le vieil arbre ! trouva Claudine en tendant le doigt. Vite !

Elle se précipita vers l’ouverture. Un chêne centenaire étendait ses branches jusqu’à la fenêtre.

— C’est trop fin, elles ne nous supporteront jamais, pleura Anne, désespérée.

— Il faut tenter ! dit François en la poussant. Sinon on mourra ici dévorés !

La fillette grimpa sur le rebord de la fenêtre, tendit la main pour attraper le bois.

— Je n’y arrive pas, je suis trop petite.

— J’y vais, je vais t’aider.

Claudine prit sa place. Plus grande de quelques centimètres, elle attrapa une feuille et tira jusqu’à elle. Elle s’élança dans le vide pour quitter la grange. Elle se rattrapa sur une autre branche, plus courte et plus solide. Elle ne lâcha pas ce qu’elle avait en main, tira dessus pour l’abaisser.

— Vas-y ! Tu devrais pouvoir l’attraper maintenant.

— Dépêche-toi ! Ils arrivent !

Poussée par l’urgence et la peur, Anne sauta et se rattrapa sur le chêne. François portait son frère sur son dos. Ce dernier s’accrochait mollement mais avec une force suffisante.

— Faites que ça tienne, bon dieu, faites que ça tienne, murmura-t-il.

Il s’avança, la branche ploya, plia. Il avança un peu plus. Un rat sauta sur l’arbre. C’était le poids de trop. Ça cassa. Ils tombèrent. Un autre rameau les intercepta, lui coupa le souffle. Il sentit Mickael glisser.

— Non !

Il se retourna, le rattrapa par le T-shirt. Ses doigts étaient crispés à l’écorce.

— Mickael, attrape mon bras, j’ai peur que le tissu lâche.

Poussé par la peur, l’enfant se retourna et attrapa son frère. Anne, légère et agile, arriva à ce moment-là et se pencha pour tirer le blessé puis son aîné. Un instant plus tard, ils étaient tous debout contre le tronc. La peur avait réveillé Mickael de son atonie.

— Il faut qu’on s’en aille, dit Anne au bord de la crise de nerfs.

— Courrons jusqu’à la barque et traversons la rivière, proposa Claudine. S’ils ont grimpé aux parois de la grange, un arbre ne leur posera pas de problème.

— Allons-y ! décida François.

Rapidement, ils descendirent à terre puis coururent jusqu’à la barque qu’ils avaient utilisée quelques heures auparavant à peine. L’un des rats les aperçut, siffla un appel et ils entendirent le grouillement des pas derrière eux. Une course à en perdre le souffle s’ils n’avaient été ralentis par Mickael.

— Claudine, Anne, partez devant, défaites le nœud, préparez les rames, allez !

Sous l’ordre de leur ainé, les filles accélèrent le train, décrochèrent l’amarre, s’installèrent dans la barque, placèrent les pagaies dans les encoches, repoussèrent la barque du rivage juste à temps pour que les deux garçons se jettent dedans. L’élan les avança de quelques mètres. Les jeunes filles ramèrent en se jetant en arrière de toutes leurs forces. S’éloigner, fuir, ne plus voir ces abominations.

— Ils nous suivent ! constata Mickael.

Tous se souvinrent alors que les rats savaient nager. La course allait continuer de l’autre côté. Mais Mickael ne pouvait plus que boitiller, ils étaient tous épuisés par le stress et la fuite.

— Qu’est-ce qu’on va faire ? pleura Anne.

— Continue de ramer, déjà, ordonna François.

— L’entrepôt du père Jacques ! dit Claudine.

— Quoi ?

— Le père Jacques a vendu l’île mais pas son entrepôt ! Il n’est pas loin ! C’est là où il met son tracteur et sa citerne d’essence ! Les rats ne se sont pas approché du feu tout à l’heure !

La barque venait d’arriver de l’autre côté. La secousse les projeta en avant. Claudine se releva la première et aida tout le monde à débarquer. Elle prit son cousin par l’un des bras pour l’aider à marcher et dit :

— C’est par là, vite, je les entends nager !

La course reprit. De temps en temps, Anne jetait un coup d’œil en arrière, éclairant avec la lampe. Des milliers d’yeux rouges brillaient dans la nuit.

— Ils ne sont pas loin !

Ils accéléraient.

— L’entrepôt ! Le voilà !

C’était une bâtisse de tôle ondulée, fermée sur trois côtés. Elle contenait le matériel agricole du père Jacques. À côté du tracteur, une citerne avec une manche de pompe à essence.

— Là ! C’est là !

Claudine lâcha son cousin, sprinta, décrocha le pistolet puis aspergea le sol en un cercle.

— Comment on l’allume ? cria François après s’être placé au centre du cercle.

— Comment ? Tu n’as pas de briquet ? s’exclama Claudine.

— Mais tu as vu où que je fumais ?

— Taisez-vous ! hurla Anne d’un ton strident. Mickael veut dire quelque chose.

— Poche… Dans ma poche… J’ai allumé le feu tout à l’heure. Les allumettes.

Prestement, tout le monde le fouilla. Rien !

— Sa poche est trouée ! cria Claudine.

— Il a dû les perdre dans la grange ! paniqua François.

— Non, là ! je les vois ! s’écria Anne.

Plus loin, à quelques mètres à peine, la petite boite gisait au sol, échouée si près du but. Le crissement des rats approchait. La petite fille se rua alors vers les allumettes. Alors qu’elle se penchait, un rat arriva et lui mordit le doigt. Sous la douleur, elle fit un bond en arrière. Les rats arrivaient comme une marée mortelle. Elle inspira avant de se jeter sur la boite, plongea les mains dans l’onde des rongeurs, les retira aussi vite qu’elle put, fit demi-tour, en levant haut les jambes et en se secouant pour faire partir les trois bestioles qui avaient planté leurs dents dans sa chair.

— Attrapez ! hurla-t-elle en lançant l’objet.

Claudine le réceptionna, l’ouvrit, sortit une allumette et la fit flamber. Elle la lâcha sur le cercle d’essence au moment où Anne sautait cette barrière. L’essence s’embrasa. Maintenant, ils étaient coincés, il n’y avait plus d’échappatoire. En une seconde, les flammes les entourèrent. À travers la lumière, ils pouvaient voir les rats stoppés dans leur élan. La peur instinctive du feu les reprenait. Il y eut un instant de flottement, les adversaires se dévisagèrent puis la vermine se dispersa.

— On est sauvé !

— Vivants !

Les cousins se serrèrent tous dans leurs bras. Des larmes de soulagement ruisselaient sur leurs joues, la chaleur réchauffaient leurs membres saisis par la peur de cette terrible nuit. Ils étaient sauvés.

Le lendemain matin, le père Jacques attendait la voiture de police. Celle-ci arriva rapidement.

— Où sont-ils ?

— Par ici, monsieur le gendarme, dit l’agriculteur en les dirigeant vers l’entrepôt.

Le chemin se passa dans le silence. Une odeur infâme de mort s’échappait encore des lieux parcourus par les cousins et les rats. L’essence leur prenait à la gorge.

— Quelle histoire ! Pourquoi ces jeunes enfants ? C’est abominable ! murmura l’un des gendarmes.

Les deux hommes s’arrêtèrent à quelques pas du drame. Devant leurs yeux, quatre petits corps blottis les uns contre les autres.

— Ils n’ont pas dû oser retraverser les flammes. Quel fou les a mis ici et a allumé l’essence ? s’énerva le fermier. Que la vie est absurde.

— Au moins, ils ont dû mourir doucement. Ils ne se sont certainement pas rendu compte que les vapeurs toxiques les entouraient.

Les quatre cadavres gisaient encore là, asphyxiés par les fumées de l’incendie de la citerne. Ils avaient survécu aux rats.

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