Chapitre 17

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Par Sam Sepiol : https://www.atelierdesauteurs.com/author/1315981518/sam-sepiol

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Adossée contre un lampadaire, une Camel entre les doigts, Gladys observait nerveusement la place circulaire qui la séparait de la tour Carpe Diem. Elle ne l’avait jamais vue qu’en photographie, et maintenant que se dressait au-dessus d’elle cet immense quadrilatère constellé de miroirs, un sentiment de vertige l’engourdissait; comme si le mastodonte, à travers ses mille et un reflets, portait en lui l’observation et les jugements de la ville toute entière.

Bientôt 21 heures; la jeune femme tira une dernière bouffée de sa cigarette avant de la jeter négligemment sur le pavé luisant. À cette heure, des cortèges bruyants de spectres sans visages déambulaient sur les allées bétonnées de la Défense, tandis que derrière les vitrines des restaurants s’agitaient des silhouettes aphones aux contorsions de pantomime. Ce théâtre d’ombres géant, éclairé conjointement par les spots blafards des buildings et les derniers rayons du crépuscule, mêlait orgueil et pudeur, calme et exaltation, dans ce qui se profilait comme la première soirée chaude de ce début de mois de juillet.

Gladys sortit son miroir de poche pour vérifier une dernière fois son maquillage : sous ses traits d’eyeliner, ses yeux bleus en amandes scintillaient comme deux topazes. Autour, les lignes de son visage tombaient dans une rectiligne froideur jusqu’à ses lèvres taillées en triangle, sur lesquelles palpitaient les teintes timides de son rouge à lèvres aux reflets rose corail. Sur sa peau, seuls un grain de beauté au-dessus du sourcil et quelques mèches en farandole venaient contraster l’aspect immaculé de son visage; malgré ses expériences douloureuses, ce dernier s’était efforcé de conserver l’innocence de l’enfant qu’elle avait été quelques années auparavant; seulement, si l’on parvenait à briser le vernis glacé de ses iris, on pouvait alors apercevoir le flot enfoui de ses peines – flot trop longtemps retenu et qui avait fini par geler à son tour.

Il était pourtant bien là, sommeillant sous les strates profondes de son être, paralysant ses sens et ses affects; et le rendez-vous qui l’attendait ce soir n’aiderait sûrement pas à le libérer, bien au contraire. Dieu seul savait ce qu’il lui réservait, mais généralement grosse rémunération était synonyme de demandes sordides … Était-il encore temps de reculer ? Impossible, Georgie comptait sur elle et elle ne pouvait pas le décevoir. Pas maintenant. Que lui arriverait-il si elle le trahissait ? Un « licenciement » en bonne et due forme, au mieux … mais cet homme, quand il était contrarié, elle savait bien ce dont il était capable … et cette perspective la faisait frissonner.

L’alarme de son téléphone la tira de ses songeries. Il était l’heure. Après une brève inspiration, elle réajusta le haut de sa jupe, ramassa son sac et se présenta face à l’entrée du bâtiment. Puis s’engagea d’un pas décidé.

À l’intérieur, un comptoir en ovale faisait office de réception, au centre de la pièce. Parmi la dizaine de postes d’accueil, seul un était occupé; une petite femme aux lunettes rondes pianotait sur son ordinateur, le visage fermé et la mine sévère. Lorsque Gladys s’approcha d’elle, celle-ci ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche qu’elle indiqua d’un geste le corridor du fond :

« Monsieur Marhic vous attend au 36e. »

La jeune femme opina du chef et se dirigea vers le couloir. Au bout de cette large galerie au carrelage noir étincelant, un grand homme en costume l’attendait devant l’ascenseur.

« Mademoiselle Gladys ? »

Ses pupilles luisaient d’une étrange curiosité.

« C'est moi.

  • Bien. C'est la première fois que vous venez ici ?
  • Oui … J’ai rendez-vous avec Monsieur Marhic, au 36e.»

Derrière son masque placide, la jeune femme avait senti une accentuation dans son regard, comme s’il essayait de l’analyser. L’avait-elle déjà rencontré ? Son visage lui rappelait vaguement quelque chose, mais après tout, les hommes dans ce milieu se ressemblaient tant que le contraire était tout aussi probable. L'individu cligna des yeux et esquissa un sourire :

« Je vois. Dans ce cas, permettez-moi de vous y accompagner. L’accès n’est pas des plus aisés … »

Puis d’un habile coup de carte magnétique, il déverrouilla la porte de l’ascenseur et invita Gladys à le suivre.

Pendant le trajet, il ne pipa mot. Comme absorbé dans ses pensées, il se tenait droit, le menton relevé et les yeux dans le vague, lançant de temps à autre un regard furtif vers la jeune escortgirl. Après avoir atteint le 35e étage, il lui indiqua l’ascenseur privé derrière la sortie de secours ainsi qu’un vestiaire où se changer, puis se retira après un sobre « bonsoir ».

Une fois derrière la porte, Gladys sortit le contenu du sac confié par Georgie quelques heures plus tôt : mini-jupe à bretelles, chemise transparente, longues bottes à talons, képi d’agent de police et lingerie en latex. Un grand classique, en somme. Dans une sacoche annexe, elle trouva également lunettes de soleil, menottes, matraque, talkie-walkie et autres gadgets pour compléter le déguisement. « En espérant que ce Marhic ne soit pas trop fan de roleplay », pensa-t-elle amèrement.

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