Chapitre 20

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Par Attrape-rêve: https://www.atelierdesauteurs.com/author/1636430184/attrape-reve

*

Grégory, la tête dans les mains, ne comprenait rien. Assis, depuis plus d'une heure, seul dans cette pièce froide, tout son corps frissonnait. Pourquoi se sentait-il coupable ? Le seul crime dont on pouvait l'accuser, c'était d'être son fils. Des images se bousculaient dans sa tête, il était nauséeux. Devant lui, le miroir opaque lui renvoyait l'image d'un pauvre hère abandonné de tous, qui devrait se reconstruire, une fois de plus. Finalement il aurait préféré que son géniteur l'assène de coups, quand il était encore enfant, au moins il aurait eu un contact réel. Et aujourd'hui qui sait, peut-être serait-il prêt à affronter ce qui l'attendait ?

Pourquoi ne l'avait-elle pas ménagé un peu ? L'unique phrase que sa mère avait su lui balancer : "ce pauvre con est mort". Telle une guillotine s'abattant au petit matin, elle avait été tranchante et froide. Il passa ses doigts sur son cou, voulant s'assurer qu'il était en un seul morceau, que la lame glaciale qu'il ressentait dans sa chair n'était que dans ses pensées.

Avachi, sur une chaise dans le commissariat, il ne savait pas ce que la vie lui réservait. Seul souvenir qu'il garderait de son père, son absence. À cette heure, un vide absolu l'enveloppait. Grégory aurait pu se sentir enfin libre, se reconstruire, et avancer. Le testament était clair et précis, en tant qu’héritier tout lui revenait. Il savait au fond de lui que ce que son père lui avait légué ne seraient que des emmerdes.

Aucune échappatoire n'était envisageable, quand la porte s'ouvrit. Il prit une grande inspiration en voyant le jeune policier entrer. La présence de cet homme le rassura, le fantôme qui jusque-là se jouait de lui avec ce petit sourire pincé qu'il détestait, venait de s'évanouir. Grégory se redressa et plongea son regard rougi dans les yeux bleus de cet inconnu.

L'interrogatoire allait commencer. Il pourrait enfin discuter avec un être de chair et d'os et ce serait dans tous les cas bien plus agréable. Son existence était entourée de fantômes et aujourd'hui encore plus qu'hier.

L'officier l'observa un instant puis d'une voix emplie de bienveillance et douceur lui dit :

  • Je suis vraiment désolé, je vais devoir vous montrer quelques photos.

Il joignit le geste à la parole, en étalant plusieurs clichés sur la table. Grégory le regardait, il ne se sentait pas prêt à voir la vérité en face. Il imaginait le pire, il savait que son père n'avait rien d'un saint. Bien au contraire, le diable était son délire préféré. Des images lui revinrent en mémoire, ce fameux soir où il l'avait découvert assis dans son petit salon privé, vêtu d'un costume de satin rouge, un fouet à la main. Il avait à peine quinze ans. Il était venu lui confier ses questionnements sur sa sexualité, mais quand il l'avait vu dans cette posture, Grégory avait claqué la porte et fui.

Voyant des larmes glisser sur les joues du fils Marhic, le policier à peine plus âgé que lui s'empressa de rassembler les clichés et de les remettre dans la pochette. Il lui laissa un moment avant de reprendre la parole :

  • Dites-moi lorsque vous vous sentirez prêt

Grégory se demandait bien par où débuter, la seule chose dont il avait envie, c'était de vomir. Les images qu'il venait de découvrir étaient horribles, l'air devenait irrespirable, ses mains posées sur la table se mirent à trembler. Le jeune homme avait l'impression d'étouffer, tout dans la pièce l'oppressait. Il avait le sentiment que son père venait de lui offrir sa dernière représentation, le rideau était tombé, les projecteurs s'étaignant sur son incompréhension.

Dans quel merdier avait-il encore trempé ? À cette pensée, la bile remonta dans sa gorge. Qu'allait-il pouvoir raconter à cet agent ? Si ce n'est qu'il ne souhaitait qu'une chose : se casser. Alors que Grégory semblait totalement perdu, il sentit une chaleur se diffuser sur sa main. Ce contact l'apaisa. Il releva les yeux et découvrit que le gendarme le regardait avec une forme de compassion qu'il appréciait. Enfin en confiance, Grégory se détendait.

  • Je m'appelle William, lui dit le jeune officier pour commencer. Je vais devoir vous poser des questions embarrassantes, précisa-t-il d'une voix calme.
  • Je comprends, c'est votre boulot. Je me demande encore comment vous pouvez avoir les tripes de faire ça ? prononça Grégory du bout des lèvres.
  • Je ne sais pas, sûrement qu'avec le temps on ne prête plus attention à ce que l'on voit pour se préserver.

Un échange cordial s'instaura entre les deux jeunes hommes qui chacun à leur façon découvraient la dure réalité de ce monde sans scrupules. Grégory lâchait prise peu à peu, il venait de trouver là une oreille attentive.

Il lui raconta alors que les études de droit que son père avait financées n'étaient qu'un paravent derrière lequel il se dissimulait. En parallèle, le soir il suivait des cours dans une petite école d'art. Il ne voulait rien avoir à faire avec ce monde de requins, sans âme. Il lui avoua que son confident quand il n'arrivait plus à comprendre son père restait Nicolas, le bras droit du patron. Il l'avait souvent raccompagné le soir quand ses parents étaient trop occupés pour s'en charger. Et maintenant, son seul espoir quelque part, que le numéro deux de l'entreprise reprenne les rennes.

Quand William lui demanda s'il avait une quelconque idée, ou une piste qui pourrait conduire les enquêteurs vers des suspects, Grégory lui lança un regard de détresse. Il réalisa que son père ne pouvait pas avoir d'ennemis assez stupides pour éliminer la poule aux œufs d'or. Après tout, quelques pots de vin distribués de-ci, de-là n'avaient jamais fait peur à son père. Grégory se souvint de la fois où il l'avait envoyé livrer un paquet dans une boite appelée le Lust Lagoon. Il avait constaté que l'on avait plus à craindre du grand patron de la maison mère que le contraire.

Quant à la sienne, sa très chère maman, elle n'aurait eu aucun intérêt à commanditer un tel acte, elle avait plus besoin de lui vivant que mort. Son époux avait tout prévu dans les moindres détails, peut-être même sa mort, songea-t-il.

Un policier vint murmurer à l'oreille du jeune flic pour lui signaler qu'il était temps d'accompagner le fils Marhic voir la psy du poste pour qu'elle puisse lui apporter l'écoute dont il avait besoin. Alors qu'il allait sortir, Grégory sentit une main sur son épaule et un souffle chaud dans son cou. Le jeune homme fut surpris par les derniers mots que le policier lui chuchota à l'oreille. Il franchit la porte et lui lança un regard approbateur.

Une fois dans le couloir, il s'effondra en larmes. Grégory n'en pouvait plus, son corps craquait, ses jambes se firent coton, et il se laissa glisser le long du mur. Il se sentit terrassé. Il enfouit sa tête dans ses genoux. Enfant, Nicolas l'avait souvent trouvé ainsi postré dans les couloirs. Grégory eut un sourire à ce souvenir : le bras droit le prenait dans ses bras et le portait dans son lit. Là dans ce couloir, il se sentait terriblement seul, pensant qu'il en avait assez bavé.

Et pourtant c'était loin d'être terminé.

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