Chapitre 25

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Par Laklandestine: https://www.atelierdesauteurs.com/author/251638085/laklandestine

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Confortablement installé dans la limousine qui le menait au bureau, Nick était décidé : il fallait vendre et rebondir aussi rapidement que possible.

La grande force du numéro deux des Ateliers InVivas : savoir perdre. Cet homme avait une capacité à lâcher prise et à rebondir avec une aisance déconcertante. Sa devise ? Ne jamais rester empêtré. Selon lui, "ce n'est bon ni pour les affaires ni pour le moral !" Quand ça sent le roussi, il récupère ce qu'il lui reste de billes pour sauter dans le prochain wagon ; et en route pour de nouvelles aventures !

Dans son carrosse et malgré la situation, Nick arborait donc un sourire relativement serein. La conjoncture n'était pourtant pas idéale ; en position de faiblesse, les dirigeants des ateliers InVivas n'avaient aucune marge de négociation. Les acheteurs les tenaient par les couilles. Néanmoins, cette offre était une aubaine et en bon perdant, il se savait chanceux qu'ils n'aient ni retiré ni même raboté leur offre de quelques dizaines de millions. Ils avaient cependant posé une condition : l'opération devait paraître dans la presse spécialisée le soir même, ceci afin de montrer aux investisseurs que les pourparlers n'avaient pas attendu la mort du fondateur de l'entreprise.

En effet, du point de vue de la communication, la transaction devait apparaître comme le fruit de mûres réflexions sur les synergies à exploiter entre les deux boîtes. En divulguant la fusion quelques heures après la découverte du corps de Joe, la conférence de presse pourrait légitimement mettre en avant l'aboutissement de semaines de discussions au sujet des valeurs communes aux deux compagnies, la complémentarité des deux structures et le fameux : "C'est ce que Joe aurait souhaité ; les ateliers InVivas, c'était son bébé !". Plus on attendait, plus le monde des finances suspecterait les acquéreurs d'avoir flairé la bonne affaire en période de soldes et d'investir dans un Titanic parti à la dérive après le terrible assassinat de son capitaine. Ce genre de rumeurs avait le don de transformer une journée sur les marchés boursiers en avant goût d'apocalypse, montagnes russes et loopings compris.

Cette porte de sortie était ainsi une aubaine à saisir. Nick était confiant. Il n'allait avoir aucune difficulté à convaincre son comité de direction : tous allaient s'en tirer avec un parachute doré plutôt sympathique et personne ne serait assez fou pour opposer de résistance.

Dans les faits et jusque-là, seul Joe s'était dressé contre la vente. Nick n'avait d'ailleurs jamais compris pourquoi et il était clair que les raisons invoquées par le patron n’avaient été que des prétextes pour esquiver la négociation. Pourtant, les ateliers InVivas n’avaient pas assez de cash pour financer la mise sur le marché de nouvelles molécules tout en continuant à investir dans le développement de leur pipeline prometteur. Il leur fallait donc trouver des financements, soit en cédant un ou deux médicaments en cours de développement au plus offrant, soit en faisant du co-marketing avec une société déjà en place. La vente des ateliers InVivas était une option parmi d'autres ; business is business.

Depuis l'arrière du véhicule, Nick jeta un oeil à son portable : cinq appels en absences de Julie. Il soupira un grand coup, se demandant comment cette ancienne prostituée avait pu garder ce petit côté fleur bleue après tout ce qu'elle avait traversé dans sa vie.

Il y avait aussi des messages de la femme de Joe, ou plutôt une photo qu'il préférait ne pas faire apparaître en grand sur son écran et quelques émoticônes : "champagne", "aubergine", "grosse poitrine", "clin d'oeil", « empreintes de rouge à lèvres rose".

"Depuis quand les gens communiquent-ils par hiéroglyphes ?", se demandait Nick. "Croit-elle vraiment que je vais aller la rejoindre dans le jacuzzi que j'ai poussé Joe à faire installer sur sa terrasse ?"

Nick était écoeuré. Il avait toujours su qu'elle n'avait jamais aimé son mari, le père de son enfant, et qu'elle l'avait épousé pour son argent. À cet instant, il se rendait compte que cette femme n'avait vraiment aucune empathie envers son mari décédé. Son manque de retenue et de dignité la rendait tristement pathétique et Nick réalisa qu'il lui faudrait esquiver ses avances en catimini. Il répondit avec un "trèfle à quatre feuilles" qui pouvait s'interpréter de mille manières entre "Inch Allah", "bonne soirée" ou "souhaite-moi bonne chance". Avec ce stratagème il gagnait du temps ; il serait toujours temps de plaider le malentendu.

En arrivant devant la tour, Nick fut surpris de voir que ses collègues l’attendaient sur le trottoir. La directrice des finances entra dans la limousine en premier :

  • Bonsoir Nick. Contente de te voir ! Tu vas bien ?
  • Bonsoir Elisabeth. J'ai eu des jours moins mouvementés, mais ça va. Et vous ? Que se passe-t-il ? On ne devait pas se voir en haut ?
  • Tu penses bien qu'avec ce qu'il s'est passé ce matin, nos bureaux sont sous scellés. Du coup, c'est nous qui nous déplaçons chez nos nouveaux amis.
  • Parfait. Je me réjouis de voir leurs locaux. Tu as les contrats ?
  • Oui. On a une heure pour te faire un résumé. Nous avons tout passé au crible avec Lucy et Fred.

La directrice des affaires légales Lucy Jones et le DRH Fred Goldberg s'installèrent à leur tour à l'arrière de la limousine. Pendant le topo qu'on lui fit, Nick constata avec soulagement que l'affaire était dans le sac et que les contrats semblaient en tous points conformes avec ce qui avait été convenu oralement. Cela n'allait donc être qu'une formalité.

Quand le chauffeur les déposa, Nick sorti du véhicule d'un pas résolu. Soudain, il s’immobilisa. Où étaient-ils ? Il ne s'attendait pas à se retrouver dans une impasse si peu luxueuse pour une transaction de cet ordre. Dans quelle partie de la ville avaient-ils été amenés ? Il regarda autour de lui, dubitatif. Cette impasse ne lui était pas totalement inconnue. Une odeur de cocotte agressa alors ses narines et sa mémoire s'éclaircit soudain : l'enterrement de vie de garçon sordide de ce vieux copain d'école ! L'endroit où il avait rencontré Julie pour la première fois. Il leva alors les yeux pour en avoir confirmation : l'enseigne rose était toujours là : le Lust Lagoon.

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