Partie 3

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Je sortis du tourbillon de mes pensées lorsque je vis leurs yeux implorants. Je me rendis soudain compte qu’ils devaient affamés. Leur faisant signe d’attendre, j’allai dans la cuisine et leur préparai à chacun un chocolat chaud et quelque chose qui s’apparentait à un sandwich. Lorsque je leur offris, je me demandai quel calvaire ils avaient du endurer pour considérer ce maigre repas comme un festin de rois.

Alors que je méditais la situation en fixant les flammes, Adjan me rejoignit. Je me retournai et vis qu’Ilies s’était endormi à même le carrelage.

« Qu’est ce que l’on va faire ? » me demanda-t-elle en anglais d’une voix enrouée.

Je décidai d’être sincère et lui répondis presque en chuchotant :

« Je ne sais pas. »

Puis, me rappelant du récit qu’Ilies m’avait fais, je me ressaisis et ajoutai :

« Vous allez dormir ici. Je vais essayer de trouver une solution. Viens, je vais te montrer là où vous allez dormir.»

L’endroit en question était le cellier. Plus personne n’y allait jamais, je m’y étais donc aménagé une sorte de cachette pour être au calme et éviter le monde. J’y avais installé un vieux canapé défraichi, un bureau et un tapis.

Tandis qu’ils découvraient leur nouveau « chez-eux », j’allai chercher les couvertures, un matelas et une bouteille d’eau. Ils se couchèrent rapidement et s’endormirent surement tout aussi vite.

Je remontai à pas de loup les marches de ciment, gagnai ma chambre et m’assis sur mon lit. Mes faits et gestes avaient conclu ce que je devais faire. Je cachais des migrants.

Je dus m’endormir car vers une heure du matin, je fus tiré de mon sommeil par mes parents qui rentraient. Mon ventre se souleva de nouveau. Il ne fallait surtout pas qu’ils s’approchent du cellier. Alors que mon père pestait et jurait contre la pluie comme un chauffeur de bus, je descendis les escaliers de bois. Ma mère était en train d’accrocher son imperméable en effet dégoulinant au porte-manteau. Elle leva la tête en ma direction. Même s’il n’en était rien, je jurai qu’elle savait. Elle ouvrit la bouche pour parler et je sursautai, redoutant le pire :

« Jonah, mon chéri, tu n’es pas couché ? Tu n’as pas l’air bien !

-J’espère que ce n’est pas la télé qui t’a abruti ! renchérit son père.

- Non, non, ça va… Je suis juste un peu fatigué.

-Tu devrais aller dormir. À demain, mon cœur ! »

J’obéis sans discuter et plongea dans un sommeil éreintant de longues marches et de peur.

Je me réveillai plus tôt que d’habitudes le lendemain. Avant de me préparer pour le collège, je me rendis dans le cellier avec des sandwiches. Ilies était debout mais Adjan semblait encore dormir. Je lui chuchotais que je devais aller au collège, lui intimai de rester cachés ici et lui remis leur repas… Il acquiesça. En sortant, du coin de l’œil, je vis Adjan sourire faiblement.

Je m’habillai en vitesse et avala mon bol de céréales sans grand appétit. Je sortis de la maison en même temps que mes parents qui se rendaient à leur travail. Après deux baisers de ma mère et une accolade de mon père, je pris mon bus et arrivai devant le collège des Cordeliers.

Ma journée passa lentement, trop lentement. Les secondes s’étiraient en heures, semblant vouloir me torturer. Je reçus de nombreuses remarques de mes amis qui me reprochaient d’être absent et ça serait mentir de dire que je retins quelque chose des cours.

À la fin de la journée, après un moment d’hésitation, je ne repris pas mon car et me rendis à pied à la sous-préfecture. J’y demandai un entretien dans le bureau des droits des séjours. L’homme en charge de cette section parut surpris de voir un adolescent mais accepta de répondre à mes questions. Prétextant un exposé, je demandais ce que l’on devait faire en cas de rencontres avec des migrants. Il me répondit que la loi n’autorisait pas l’hébergement illégal de ces personnes-là et qu’on devait le déclarer aux autorités pour qu’elles soient prises en charge. Je le remerciai et quittai la sous-préfecture pour rentrer chez moi.

De retour à la maison, je me rendis dans le cellier. Mes parents n’étaient pas encore rentrés. Je leur apportai du pain et de l’eau. Je leur rendis ensuite compte des informations que j’avais pu avoir. En apprenant cela, ils me supplièrent de ne pas les dénoncer. Démunis, je ne pus qu’accepter. Je discutai ensuite un peu avec eux. Alors que j’allais partir, Adjan me retint, et, dans un sanglot, me supplia de les laisser sortir un peu. Je ne sus que répondre ; mes parents pouvaient rentrer à tout moment et je ne pouvais risquer de me faire voir avec eux. Ma conscience déchirée, je refusai. Je sortis précipitamment pour éviter leurs regards.

La semaine passa ainsi, rencontres furtives avec Ilies et Adjan, sorties précipitées à la bibliothèque pour consulter des ouvrages sur mon cas, tension. Je savourais chaque instant où mes parents n’étaient pas là. Je me demandais s’ils soupçonnaient quelque chose ; car bien que j’essaye de faire bonne figure, je me doutais bien qu’ils se rendaient compte que je n’étais pas dans mon état normal.

L’état d’Adjan et Ilies se détériorait sous l’effet de l’enfermement et ils parlaient peu. J’essayais de les distraire comme je pouvais, leur apportant jeux et revues, musique et films, mais plus que tout, ils voulaient goûter l’air libre. Cependant, je ne pouvais toujours pas les laisser sortir, bien que cela les rendaient malheureux. Surtout depuis ce mercredi…

Alors que je trainais encore devant la bibliothèque, je remarquai une nouvelle ombre qui semblait m’épier. J’hâtai le pas, craignant qu’elle ne me suive. Mais au contraire de cela, il entra dans la bibliothèque et parut parler à la bibliothécaire. Mon sang ne fit alors qu’un tour : il savait ! Il demandait à la bibliothécaire qui j’étais et ce que je cherchais ! Il faisait parti des autorités !

Mais le pire était encore à venir. Je revis cette ombre à de nombreuse reprises, toujours quand j’étais devant la bibliothèque. De toute évidence, elle essayait de se faire discrète, mais je l’observais souvent. Un mardi, un soir plutôt venteux et désagréable, je rentrais chez moi quand soudain une main s’abattit sur mon épaule. Je me retournai. Mon cœur battait la chamade. C’était un homme, que je reconnus en tant que l’ombre. Je me mis à suer, pétrifié. Avec une cruelle lenteur, les lèvres de l’inconnu s’ouvrirent.

« Bonjour, Jonah. Je m’appelle Antoine, Antoine Desmoulins. J’ai une question à te poser. Héberges-tu des migrants chez toi ?

-Vous allez m’arrêter ? » bafouillai-je.

L’homme sourit.

« Non, bien au contraire. Je fais partie d’une association d’aide aux migrants, Oloron Urgence Réfugiés. Je t’observe depuis un moment, et je suis arrivé à cette conclusion. Est-elle erronée ?

-Non… Vous avez raison. »

Antoine Desmoulins vint ensuite chez moi pour expliquer la situation à mes parents. Je vis bien qu’ils m’en voulaient de ne leur avoir rien dit, mais ce sentiment était partagé avec une fierté orgueilleuse que leur fils ait aidé des migrants. Tous me sermonnèrent sur le fait que j’aurais dû en parler à des adultes responsables. Ils avaient raison, mais j’avais le sentiment qu’eux auraient fait pire.

Adjan et Ilies furent emmenés dans un centre où l’on me promit qu’on s’occuperait bien d’eux. Alors j’aurais pu être heureux, disant tout est bien qui finit bien. Mais leur regard m’en empêcha. Un regard voilé de tristesse et de trahison. Dans les derniers mots que l’on put échanger, ils me maudirent.

Pourquoi ?

Parce qu’on les privait de nouveau de chez eux.

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