Jacquie

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Jacquie, c'est ma grand-mère paternelle.

Femme au foyer. Femme de militaire. Le mieux pour vous en parler, c'est de vous raconter un épisode de ma vie.

J'avais 13 ans, et mon grand-père venait de mourir. Cancer de l'estomac. Le jour de l'enterrement, je m'avançais tremblante en direction du parvis de la cathédrale, la vue brouillée, accrochée à la main de ma sœur comme à une bouée de sauvetage. Et elle, elle était là. Droite dans son grand manteau de velours noir, la toque assortie vissée sur les oreilles et sa broche en émeraude offerte par mon grand-père, comme une insigne, sur la poitrine.

Parfaitement digne.

Elle serrait les mains, avait une attention, un mot pour chacun, recevait ceux des autres avec élégance.

Elle ne regarda ni ma sœur ni moi.

Après l'office, toute la famille se retrouva chez elle pour boire un verre en l'honneur de mon grand-père et manger un morceau.
Mamie nous colla ma sœur et moi au service. J'étais là, dans ce salon rempli d'hommes, parce que toutes les femmes — les tantes, les grandes-tantes — étaient en cuisine.

Je tenais mon plateau, un peu vacillante, passant entre les convives, écoutant à peine. De toute façon, on ne faisait pas attention à moi.
J'avais envie de pleurer. J’essayais de me concentrer de toutes mes forces sur un coin décollé du papier peint jauni, laid, représentant plusieurs petites scènes de chasse à courre. Papy n’avait jamais touché un fusil de chasse de sa vie. C’était ridicule.

Je commençais à regarder mes pieds, la mâchoire tremblante, les yeux humides. Bref ! J'allais chialer, quoi. Mais en redressant la tête, j'ai rencontré le regard de ma grand-mère. Un regard dur, courroucé. Elle posa un doigt impatient et autoritaire sur ses lèvres, m'intimant de me taire. Est-ce qu'elle pleurait, elle ?! Non mais !
Je trouvais ça injuste, parce qu'autour de moi tous ces hommes se donnaient des accolades, se prenaient dans les bras et se laissaient aller à leur chagrin.

Non, vraiment, il fallait que je pleure.

Mamie avait toujours l'air aussi en colère, ses yeux de plus en plus écarquillés, sortant presque de leurs orbites. Elle me poussa vivement en cuisine. Une fois devant la table en formica rouge, j'éclatai en sanglots au milieu de tout le monde.

Ah... je ne l'avais pas vue venir, cette gifle-là !

Surprise, je me calmai immédiatement, me tâtant la joue, hébétée.

— Tu fais honte à la mémoire de ton grand-père ! Est-ce que tu crois que ça lui aurait fait plaisir de te voir pleurer Tu es une femme de la famille, tu n'as pas le droit de poser genou à terre ! Jamais. Alors tu te reprends, tu recharges ton plateau et tu vas servir.

Je n'ai pas demandé mon reste.

Voilà, ça, c'est Jacquie. La femme au foyer, la mère, forte, respectueuse des conventions sociales. Qui jamais, ô grand jamais, n'aurait donné une image non lissée d'elle. Surtout pas de vagues.

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