Histoire d'un flic

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J’étais flic. Comme les autres. Pour ressembler à Papa, pour posséder un flingue, pour faire la chasse aux voyous. Pour retrouver Noël, en fait, tout simplement ! Le jour où la famille se réunit sans s’engueuler, ou moins que d’habitude. Le jour où on mange autre chose que des pâtes à la viande dure. Le jour où on a envie de pleurer tellement le bisou de Maman est mouillé et la claque de Papa amicale. Le jour où on peut rêver avec nos cadeaux. Lego policiers réveille l’ego enfoui. On aura l’uniforme et on sera quelqu’un.

J’étais flic. Pas commode. Quartier difficile, collègues blasés, violence quotidienne. J’avais mon flingue, juste pour causer d’égal à égal avec les chefs de clans, les truands en formation, les parrains malins en pré-retraite. Je parlais à mon miroir le matin, le loup solitaire à la barbe grise avant l’âge. Putain de vie ! La trouille à l’arrêt de bus, la menace sur la dalle, la détresse au bout de l’allée, la misère après le rond-point, la terreur dans l’escalier, la peur, compagne de vie, de l’enfance à la mort.

J’étais flic. La brute silencieuse. Le costaud sans dents, pas misérable, mais inconnu le sourire aux lèvres. Un flic d’humeur constante, un grincheux du lever au coucher. C’est l’espoir qui rend gai… J’étais en panne de foi, comme le curé de la cité, qui avait du mal à faire croire en un dieu absent, laissant les bandes rivaliser de violences, et les familles ordinaires trembler pour la survie de leurs rejetons. Flag, procès-verbal, transmission au parquet, correctionnelle, et retour sur la dalle, un peu plus fanfaron, un peu plus hostile.

J’étais flic. Encore deux ans à tirer. La motivation en berne comme les drapeaux d’une république honnie par les caïds qui imposent les lois de leur milieu. Je rêvais d’une sortie brillante, une revanche, un point final pour clouer le bec aux interrogatoires, aux suspensions de séances, aux exclamations outrées, aux mises entre parenthèses… Une preuve irrévocable, énorme, un pavé sur le bureau du juge, si volumineux qu’il n’entrerait pas dans sa corbeille.

J’étais flic. Homme de terrain, homme de dossier. L’accès direct aux informations, à l’identité des joueurs, témoins, auteurs, suspects, relaxés, condamnés… Beaucoup de chapitres et peu de conclusions. Et si je m’invitais pour aider le destin à écrire The End ?

Il était banquier. Mon jumeau, mon alter ego, mon double, ma connivence. Au service des puissants (presque) tous honnêtes, pour chasser les impayés et les découverts des faibles (presque) tous malhonnêtes. Encore deux ans à tirer, acariâtre et terne, souvent sollicité, jamais remercié. Entre nous c’était à la vie, à la mort.

C’est grâce à lui que j’ai réussi le coup de maître cité (parfois) dans les formations des jeunes recrues des écoles de police. Opposer les clans après avoir choisi le futur vainqueur, celui qui sera plus facile à influencer. Pour tout un tas de raisons bonnes ou mauvaises. Les vôtres. On sort du cadre légal, on adopte les lois des zones de non-droit. Moi, je préfère les rousses aux crânes rasés. J’ai misé sur Peau d’orange.

Une rousse arrogante au regard de fer inflexible. Suspectée dans deux affaires de meurtre, sauvée par des zonages téléphoniques qui confirmaient les dires du commis d’office. Repérée à plus de deux cents kilomètres dans les deux affaires. Une fois, j’y crois, deux fois, ça passe pas. J’ai appelé mon frère, homme de dossiers et surtout de dossiers. Il n’a pas trouvé Peau d’orange mais Lisette Chaufournier. Des versements rares, mais très élevés, surtout en février 2014 et en mai 2015.

J’ai rencontré Peau d’orange. Cartes sur table. Pas de poker menteur, pas de flingue, pas d’uniforme. Elle et moi dans l’aire de jeux où elle surveillait sa petite un dimanche matin. Les tueuses à gage ont aussi le droit de mettre au monde.

Je lui ai brossé le tableau. Moi, vieux flic en fin de carrière, sans relief et sans médaille, à la recherche d’un coup de projo avant de décrocher. Elle, connue des services, plombée par mes recherches, fragile mère de famille. L’alliance de la carpe et du lapin, en somme. Une promesse de casier vierge pour la remercier de sa collaboration… On a topé, on a même bu un coup de rosé européen dans sa piaule avec la petite qui somnolait en rongeant un croûton de pain.

J’étais flic. Pour l’uniforme, pour le flingue, et tout le toutim. Pour protéger les faibles et les honnêtes gens contre les puissants. Les faibles sont (presque) toujours honnêtes et les puissants (presque) toujours malhonnêtes. Flic un jour, flic toujours. Je vous renvoie à l’article R. 434-9 du code de déontologie sur la probité.

Il était banquier. Acariâtre mais dévoué. Il a appelé Peau d’orange. Mauvaise nouvelle, mademoiselle… Un commissariat a reçu des déclarations spontanées d’un surnommé Fred l’anguille. Celui-ci reconnaît avoir détenu votre téléphone portable à plusieurs reprises, et notamment le 4 février 2014 et le 16 mai 2015, avec pour consignes de votre part de circuler à plus de deux cents kilomètres de votre domicile…

J’étais flic. Il était banquier. Peau d’orange, elle, elle était dépassée, alors elle a parlé. Elle nous a permis d’écrire « The End » sur les murs du quartier. Je ne suis pas sûr que pour la petite, ce soit vraiment terminé.

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