Chapitre 1

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Jacinthe

L’angoisse me taraude. Je suis pourtant en sécurité, de retour à la maison, près de toi. Rien n’est plus réconfortant. Je ne suis plus seule dans une chambre qui n’est pas la mienne, qui n’est en réalité à personne. Toutes mes affaires sont posées sur le lit. Des vêtements, surtout. Quelques livres aussi. Je n’ai pas la force de tout ranger. Mes yeux se posent sur chaque objet, mon esprit me dit «Allez, range !», mais mon corps ne suit pas. Je sens les larmes affluer dans mes yeux; ma vue se brouille. Je m’effondre sur le sol. Je me sens perdue et frustrée de ne pas réussir à effectuer cette simple tâche. Mon corps se tord sous les sanglots qui m’assaillent. La douleur de mes émotions se fait ressentir dans ma poitrine : celle-ci me fait atrocement souffrir, ce qui m’empêche de respirer correctement. J’ai l’impression que mon cœur s’arrête, qu’une artère est coincée et que mes boyaux se tordent. Je dois expulser la douleur, à n’importe quel prix. Tandis que je me noie dans mes larmes, mes ongles trouvent instinctivement le chemin vers mon bras gauche, je n’ai plus besoin de les guider. Je plante mes ongles dans ma peau et la lacère jusqu’à ce que le sang afflue. Je regarde les ruisseaux rouges couler le long de mon bras. Mes larmes cessent, laissant place à la torpeur.

Je fixe le plancher de bois, le tapis et ses longs poils blancs. Mes yeux remontent vers les murs peints en bleu pastel. Tu m’as créé un refuge. De jolis meubles blancs, un canapé en tissu blanc avec ses coussins bleu ciel. La bibliothèque est remplie de livres, de bibelots et de photos. Je remarque que tu as acheté une nouvelle lampe en forme de lanterne. Tu as aussi ajouté quelques bougies décoratives. Tu es plein de petites attentions et moi, je ne t’apporte que de la souffrance. Songer à cela fait couler de nouvelles larmes sur mes joues. Je voudrais tant être la femme forte que tu mérites. Au lieu de cela, je me sens abattue, épuisée et c’est ainsi que je laisse mon corps glisser sur le tapis.

Allongée sur ce lit de poils blancs, je m’imagine être sur un nuage, sur lequel rien ne peut m’atteindre. Je suis sur le plus haut des nuages, aucun autre ne peut faire tomber la pluie sur moi. Aucune tempête ne peut m’emporter, je suis en sécurité. Je laisse mes yeux se fermer et le sommeil me prendre dans ses bras.

Anton

Je t’ai préparé un thé aux agrumes. Je voudrais que ton retour se passe pour le mieux. J’aimerais que notre chez-nous soit également ton cocon, qu’il t’enveloppe de douceur. De l’amour et de la douceur, c’est ce dont tu as besoin. C’est ce que j’espère pouvoir t’offrir. Je prends ta tasse et me dirige vers la chambre. Lorsque j’ouvre la porte, je remarque que toutes tes affaires sont éparpillées sur le lit. Puis je te vois sur le tapis blanc. Tu es allongée sur le côté droit, les jambes légèrement repliées, tes longs cheveux bruns tombant sur le sol. J’esquisse un sourire en m’approchant de toi. Ta bouche est légèrement entrouverte, je sens ton souffle lorsque je m’approche pour déposer un baiser sur ton front. Tu as l’air si paisible et pourtant, je remarque des traces de sang sur ton bras gauche. Je ne peux m’empêcher de me dire que l’on aurait peut-être dû attendre quelques jours de plus avant ton retour à la maison. Tu n’étais peut-être pas tout à fait prête. Qu’as-tu bien pu penser pour avoir envie de te faire mal ? J’hésite à te réveiller pour nettoyer ton bras et te donner ton thé, mais je décide de te laisser te reposer. Je prends la couverture noire si douce que tu aimes tant et la dépose délicatement sur ton corps endormi.

De retour dans la cuisine, je dépose ta tasse sur le comptoir et vais m’asseoir devant mon ordinateur posé sur la table. Je devrais avancer ma présentation pour le boulot, mais mes pensées voguent vers notre rencontre, vers cet instant où ma vie a basculé sans que je ne m’en rende compte. C’est ce jour-là que j’ai rencontré mon âme sœur, toi.

*****

J’étais allé faire un tour à la petite librairie de la rue où j’habitais. C’était un samedi, j’avais envie de me détendre et, comme tu le dis si bien, «il n’y a rien de mieux que les livres pour passer un bon moment». Je parcourais la section classique lorsque tu es apparue près de moi. Tes cheveux, mouillés par la pluie, tombaient devant tes yeux verts rougis par tes larmes. Dès le premier regard, je me suis rendu compte que tu avais pleuré. Mais comment aurais-je pu te proposer mon aide sans paraître indélicat ? Je me suis contenté de t’observer en faisant mine de chercher des livres. Ta façon les consulter me subjuguait. Tes yeux brillaient, tes mains caressaient doucement les couvertures, empoignaient et retournaient délicatement les romans que tu choisissais. Tu allais même jusqu’à sentir l’odeur du papier. À ce moment-là, j’ai compris que tu étais habitée par l’univers littéraire. Je n’avais pas besoin de te connaître pour le deviner.

Tu t’es dirigée vers une table sur laquelle trônaient des classiques. L’instant d’après, j’étais à côté de toi devant cette même table et je te demandais :

- La nuit des temps est mon roman préféré, l’avez-vous lu ?

Tu as levé les yeux vers moi puis tu as secoué la tête. J’étais hypnotisé par ton regard, démontrant à la fois ta souffrance et ta force.

- Je le lirai, alors. Le mien est La symphonie pastorale d’André Gide.

- Je ne l’ai pas encore lu. Je le lirai si vous me promettez de me retrouver ici samedi prochain, vers quinze heures. Nous pourrons échanger nos impressions et peut-être nous conseiller d’autres livres.

La surprise se lisait sur ton visage. J’avais l’impression de t’avoir parlé comme je parle à mes clients. Tu as légèrement rougi puis tu as hoché la tête en faisant un petit sourire gêné.

- Bien, à samedi alors, m’as-tu dit.

Tu es partie en me faisant un petit signe de la main. J’avais complètement oublié de te demander ton prénom.

*****

Jacinthe

J’ouvre les yeux, une couverture sur moi. Je suppose que c’est toi qui l’as déposée là. En me relevant, j’entends un papier tomber. À toi.

En dépliant la feuille, je songe à cette petite habitude qui s’est instaurée dans notre relation. Chaque fois que je n’arrivais pas à te dire quelque chose, que les mots ne sortaient pas, je t’écrivais en notant bien À toi. Tu as décidé de faire de même au bout d’un moment, m’adressant des petits mots gentils, des petites pensées. C’est le premier que je reçois depuis ma sortie de l’hôpital et il me renvoie à de jolis souvenirs, qui semblent si lointains…

Ma Jacinthe,

Je suis venu t’apporter un thé, mais tu étais endormie. Tu es si jolie dans ton sommeil, si calme. Je n’ai pas eu envie de te réveiller. J’ai remarqué le sang sur ton bras. Je ne sais pas pourquoi tu as fait ça. Tu es à la maison, je suis là, je vais m’occuper de toi. Il faudra nettoyer ton bras à ton réveil. Ne t’en veux pas mon amour. Moi, je ne t’en veux pas. Je t’aime.

Lire tes mots me fait du bien. Ils me rappellent que je suis à ma place, chez moi, avec quelqu’un qui m’aime. Tu me connais par cœur. Tu sais très bien que je m’en veux. La culpabilité me ronge chaque seconde, elle s’insinue en moi, même lorsque je ne m’en aperçois pas. Elle se cache quelque part dans les abysses de mon cœur et choisit son moment pour apparaître. C’est souvent dans ces moments-là que je perds le contrôle. Et c’est dans ces moments-là que toi, tu gardes ton sang-froid, que tu me montres tout l’amour que tu as pour moi.

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