Chapitre 8

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Note: Nous sommes toujours dans le passé pour ce début de chapitre, lors du premier rendez-vous entre Jacinthe et Anton.


Anton

            C’était bien la première fois que quelqu’un me confiait une chose aussi personnelle. Je viens d’une famille pour laquelle la réussite est la seule chose qui compte. Les problèmes personnels, on les garde pour soi ou on les confie à un psy, si c’est vraiment grave. Quand j’étais petit, on discutait de l’école, des devoirs, du travail, mais jamais des sentiments. Il me fallait être un homme, un vrai. Mon père n’a jamais vraiment changé à ce sujet, d’ailleurs. Ma mère, un peu plus.

            - Dans ta famille, tu n’as pas ta place ? t’ai-je demandé.

            Je voulais vraiment comprendre ce que tu ressentais. Je pensais que c’était pour cette raison que tu avais pleuré le jour de notre rencontre. Comme je n’étais pas à l’aise dans ma famille, que je ne m’y sentais pas pleinement épanoui, je m’imaginais qu’il en allait de même pour toi.

            - Si, bien sûr, enfin, je crois. J’habite avec ma mère, on s’entend très bien. Je suis fille unique et je ne connais personne d’autre dans ma famille. Mon père est décédé avant ma naissance.

            - Alors, où est-ce que tu n’as pas ta place ?

            - Partout. J’ai l’impression que les gens sont des moutons. Ils font ce qu’on leur dit de faire, sans se poser trop de questions. Ils n’aiment pas leur boulot, mais n’en changent pas. Certains font des enfants, mais ne s’en occupent pas.

            - Mais tu peux choisir ta vie, tu n’es pas obligée de faire comme les autres.

            - Je sais, m’as-tu répondu avec un petit sourire, mais c’est parfois pesant de le penser mais de ne rien pouvoir faire, de ne pas pouvoir changer les choses…

            Je te comprenais et en même temps, j’avais l’impression de faire partie de ces «moutons». J’aimais bien mon boulot et je n’avais pas l’intention d’en changer, mais peut-être que si je n’avais pas écouté mon entourage, j’aurais choisi une autre voie.

            - Tu peux les changer à ton propre niveau. Choisis une vie que tu aimes, déjà, t’ai-je conseillé.

            Devant ton air songeur, j’ai continué :

            - Par exemple, j’ai décidé de quitter ma famille à vingt ans. Je n’étais pas d’accord avec tous leurs principes, j’avais envie d’autre chose. Tu me diras, j’ai une vie aussi morne que celle de ces moutons dont tu parles, mais j’ai fait un choix qui m’a rendu un peu plus heureux, un peu libre.

            Je me sentais égoïste, à parler de moi de cette façon. Cependant, ton sourire a éclairé mes pensées, chassant les plus négatives.

                                                          *****

            - Je crois que je suis tombée amoureuse de toi à ce moment-là, me dis-tu en fixant la route. Je te trouvais éloquent, classe, sûr de toi, tout ce que je n’étais pas. Tu aurais pu faire de la politique.

            - J’aurais pu, mais je n’aurais pas été heureux.

            Nos deux rires se font écho dans la voiture. Tu sembles si enjouée, aujourd’hui, alors qu’hier tu sortais de l’hôpital. Tu as passé un gilet blanc par-dessus ta robe, malgré la chaleur de juillet. Je devine instantanément pourquoi. Les traces sur ton bras, tu ne veux pas que les gens les remarquent. Tu veux éviter les regards curieux et insistants, parfois remplis d’incompréhension ou de pitié. Tes cicatrices, je les aime comme je t’aime. Elles font partie de toi, même si j’aimerais que tu cesses d’en faire apparaître de nouvelles.

            Comme si nos pensées s'étaient rejointes, tu m’avoues :

            - Anton, j’ai peur que les gens me regardent.

            - Je sais, Jacinthe. Mais je suis là et personne n’a de raison de te fixer. Tu es tout à fait normale. On ne voit pas ton bras.

            - Tu ne me laisseras pas seule dans les rayons ? me demandes-tu, la voix tremblante.

            - Non, on restera ensemble, ne t’inquiètes pas. Et si vraiment tu as besoin, on sortira, d’accord ?

            - D’accord.

            Je me gare sur le parking du magasin. Nous descendons de la voiture, je vois que tu rajustes ta robe et tes cheveux, même si tu es parfaite, puis je te prends la main et tandis que nous avançons vers l’entrée, je te demande :

            - Prête ?

            - Prête. 

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