Chapitre 17 - Désespérance - partie 3

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Chapitre 17

Désespérance

(partie 3)

                       Mon cher Sandro,



Tu as eu raison sur toute la ligne.


Tu as eu raison de me parler, tu as eu raison de me dire qui est vraiment cette femme qui a tant choyé mes vacances de jeune fille. Tu as eu raison et pourtant j’aurais aimé pouvoir encore fermer les yeux face à une telle réalité. J’avais longuement posé un voile sur ma face et tu viens de le déchirer sèchement. Pardonne-moi, je t’aimais et pourtant je n’ai pas levé le petit doigt pour te protéger.


Tu as été honnête avec moi et je vais faire de même, parce que tu le mérites. Mais je n’ai ni ta force ni ton courage, et tout à l’heure quand tu es parti de chez moi, je suis restée muette et anéantie au lieu de te retenir pour te parler. Pourtant j’ai moi aussi des choses terribles à te dire, je crois qu’il est temps, quel qu’en soit le prix.


J’avais vu, Sandro. Pas tout, bien sûr, je n’ai jamais deviné le meurtre de ton père ni tous ces viols qui te collent aux os. Mais j’avais vu que tu étais tout maigre, j’avais vu que tu étais tout triste, j’avais vu que tu étais tout sale. J’ai aussi vu un soir, pendant que tu dormais, que ton dos était lézardé de sang et de cicatrices. Et pourtant tous les ans, à la fin des vacances, je t’ai laissé seul avec elle sans état d’âme.


Un jour j’ai quand même essayé d’en parler à mon père, mais il m’a dit que ce n’était pas nos affaires et je n’ai pas insisté. Je ne te dis pas ça pour cacher ma lâcheté derrière la sienne. Mais je réalise enfin à quel point son attitude a été effroyable, cela me fait honte et cela me fait mal. Si tu le croises au bord de ma tombe et que tu n’as nulle envie de lui serrer la main, ne te force pas.


Tu es une sacrée tête de mule et je commence à te connaître, petit frangin : tu vas penser que tout est de ta faute et que tu aurais dû te taire. Mais tu te trompes, Sandro, ce n’est pas toi qui es responsable, c’est cette femme impitoyable et glaçante comme un spectre flamboyant. C’est elle qui a tué ton papa qui était si doux, c’est elle qui a brûlé ta vie dans le sang et dans le sexe, c’est elle qui a embourbé mon père dans un silence coupable car complice. Et tu as bien fait de la mettre hors d’état de nuire derrière les barreaux de ton pays : cela n’effacera rien, mais tant qu’elle sera incarcérée, tu pourras vivre libre.


Et aujourd’hui, Sandro, c’est tout ce qui compte à mes yeux. Tu croules sous la honte du viol et de la misère, et pourtant tu sors de cette folle histoire debout et droit, magnifique et rayonnant comme les quelques souvenirs que je garde de ton père. Tu en seras le seul rescapé, puisque notre grand-mère est en prison, puisque mon père s’étouffe avec ses secrets, puisque je ne serai plus là. Profite bien de ta vie et de ta renaissance, mon Sandro. Et sache tout au fond de toi que je suis bien fière de ce que tu es sans pour autant avoir honte de ce que tu as été. Pardonne-moi simplement de ne pas avoir la force de t’accompagner plus longtemps.


Si tu le veux bien, j’aimerais que tu expliques tout cela à John, et un jour, à mes deux enfants. J’espère que ma mort fera exploser la bombe de silence qui nous asphyxie depuis tant d’années, que Claire et Frank y échapperont et vivront beaux et libres comme tu as su le faire.


J’espère aussi que tes filles resteront pétillantes et merveilleuses, et qu’elles garderont quelques souvenirs de leur Tata bruxelloise. J’espère que ton fiston grandira en beauté et en lumière. J’espère enfin et surtout que tu tiendras le coup, une fois de plus, pour eux, pour moi, pour toi-même.


Dis s’il te plaît à John que je l’aime de tout mon cœur et que je m’en veux de le laisser seul si brusquement, si volontairement, si injustement.


Puisse-t-il me pardonner un jour, puisses-tu te pardonner enfin.



                                                                                          Je t’aime et je t’embrasse,


                                                                                                                        Livia.

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