CHAPITRE 6

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Raphaël

Une semaine s’est passée et je me suis fait chier. C'est vrai, Santa Monica n'a rien à voir avec Clearwater. Il y a bien plus d'activités à faire et surtout, je travaille là-bas. Ici, je me fais chier comme un rat mort.

Assis devant Frank, le meilleur ami de mon père, je baille à m'en faire décrocher la mâchoire. Frank est quelqu'un de simple, attentif aux autres et surtout, une personne fidèle. Dans la salle de réunion des chasseurs, nous attendons depuis une vingtaine de minutes nos collègues. Un groupe plus loin est déjà arrivé, reclus dans une bulle plus distante.

— Mauvaise nuit ?

— Toujours ce cauchemar, le même depuis le début.

Frank fronce les sourcils. Il est considéré comme un second père pour moi et Samuel. Un homme fort, avec les mêmes valeurs que mon père, mais largement plus compréhensif.

— Tu devrais en parler à ta mère, propose-t-il.

— Pour lui dire quoi ? Que je suis un mec fragile qui a peur de s'endormir ? Elle va me rire au nez.

Frank soupire, passant une main dans sa barbe hirsute.

— Elle t'aime Rapha.

Je ne dis rien. À quoi bon ? Il peut me le répéter des milliers de fois, je n'y crois pas. Je n'y crois plus depuis bien longtemps. Un gobelet en plastique dans les mains, je ne bronche pas lorsque la chaleur me fait mal aux doigts.

— Je peux lui en parler à ta place, ce n'est pas facile pour elle en ce moment.

Ouais. Elle vient de perdre mon père. Malgré leurs discordes incessantes, elle l'a aimé. Enfin, je pense. Soupirant, je frotte mes yeux, étire mon dos et grommelle.

— De toute façon, ce n'est pas le sujet.

— Effectivement, le sujet est de savoir si la chasse de ce soir est toujours d'actualité, dit Frank.

L’adulte devant moi s’est crispé face à mon anticipation à changer de conversation. La porte de la salle de réunion s’ouvre sur Clara, Dan et Carl. Clara s’approche de moi et me tape brutalement sur l’épaule, s'exclamant.

— Ver de terre ! Ça fait un moment que l’on ne t’a plus vu, tu vas bien ? Et ta maman ? Et Sammy ? Tu es prêt pour la chasse ? Au fait, il paraît que bon nombre d’hommes ne vont pas chasser, depuis la mort de ton père, ils n’ont plus le cœur à partir en forêt. Comme c’est trop récent, ils vont plutôt faire une simple battue de daim, mais pas de loup.

Clara a le chic pour parler beaucoup, c’est une pile électrique. Souriante et pleine d’entrain, il me faut rassembler mes pensées pour suivre ce qu’elle me dit. Je la connais depuis que nous sommes aux berceaux, nous avons vécu toutes sortes de choses, notamment la chasse et les réunions des chasseurs. Avant que tout ne se gâte pour moi, nous nous amusions à faire semblant de faire à manger avec de la boue, des feuilles et des vers de terre. A croire que ce surnom revient à toutes les sauces. Ça me décrédibilise. Durant sa tirade, Dan s’est assis à côté de Frank, tandis que Carl s’assit en face de moi. Clara est à côté de moi, presque sur mes genoux tant elle s’agite sur sa chaise.

— Nous sommes combien alors ? dis-je

— Dix, environs, dit Carl

Je lève les yeux sur lui et je le surprends à me regarder avec hargne. Lorsqu’il s’en rend compte, il me fait un sourire indéchiffrable. Je ne me pose pas plus de question lorsque Dan prend la parole.

— C’est vers seize heures que nous nous réunissons ?

— Plutôt vers quinze heure trente, le temps de faire un check-up sur les consignes de sécurité mais aussi pour savoir dans quelle zone on va chasser. Ainsi, vers seize heure vingt, nous pourrons commencer la battue, propose Clara.

Ce bout de femme semble décidée à parler beaucoup, d’ailleurs, je me demande comment elle fait pour respirer. Aucun des chasseurs ne s’est opposé à sa proposition, c’est décidé.

— J’aimerais savoir, qui reprend la coalition ? demande un homme moustachu.

— Ce n’est pas le sujet, dis-je.

— C’est vrai Raphaël, il n’a pas tort. Depuis que ton père est mort nous ne savons pas quoi faire et la trêve avec la meute n’est plus valide depuis qu’il est enterré, explique Clara.

Je regarde les visages fermement, décelant chez chacun d'entre eux une véritable jubilation.

— Qu’est-ce que vous me faites là ?

— On veut avoir un leader, commence Carl, et si tu n’es pas disposé à le faire, moi je le suis.

Dan et plusieurs des gars approuvent, tandis que Clara soupire et Frank murmure dans sa barbe. Carl joue bien son coup, maintenant que la trêve entre les loups et les chasseurs est obsolète, ils ne vont pas hésiter à attaquer le moindre loup qui s’approchent trop près de leur fin de territoire. Sans cette trêve, Théodore est en danger. Je soupçonne les gars de connaître ma tolérance face à la meute Greed, profitant de ça pour me faire choisir entre deux propositions totalement dégueulasses. Soit ma liberté ou le massacre de toute une famille innocente. Alors certes, ce sont des loups que j’ai en horreur, mais dans le tas, il y a cet énergumène, le meilleur ami de Samuel. Si je choisis de partir maintenant, ça laissera une opportunité aux chasseurs d’enfreindre tous les codes, dont la plus importante, ignorer les ordres d’un héritier ou d’un chef de clan. N’étant pas chef de clan, mais l'héritier de la coalition, je peux me permettre de donner l’ordre de n’attaquer aucun loups garous, mais ils ne vont pas obéir.

— Alors ? s’impatiente l’homme moustachu.

— Je prendrai ma décision demain matin, après notre chasse de ce soir.

Un brouhaha assourdissant me tape sur le système. Sans envie de rester là, je pars du bâtiment, rejoignant la voiture. Le trajet se fait avec, comme bruit sonore, la radio. Le couvre-feu a été levé il y a trois jours, nous pouvons à nouveau sortir, mais les habitants doivent rester vigilants.

Je n’ai pas le temps de voir Samuel et Rose, trop occupé à ranger la pièce d’arme de mon père, mais aussi à rassembler mes affaires pour ce soir. Mon gros sac sur le dos, je prends mon téléphone et appelle Samuel, qui décroche directement.

— Sam ? Où es-tu ?

— Chez Théo avec maman, on renforce les protections, pourquoi ?

— Restez-y, ce soir nous avons une grosse chasse et les gars ne rigolent pas. Le moindre loup dans les parages et ils tirent.

— Je préviens la meute. Raph’ ?

— Oui, dis-je.

— Fais attention à toi.

Je lâche un rire franc avant de raccrocher. Mon sac dans le coffre, je contourne la voiture pour prendre la place conducteur. Arrivé dans la zone Nord-Est de la forêt de la ville, je me gare à côté de plusieurs autres voitures. Clara et Frank parlent bruyamment devant le véhicule de ce dernier. Je m’approche et demande ce qu’il se passe, Frank répond

— Carl pose des pièges anti-loups partout, il psychote sur le fait que la meute Greed pourrait sortir.

— Il avait donc bien l’intention de tuer les loups-garous, murmuré-je.

— Ecoute mon ver de terre, je ne sais pas ce qu’il se passe et je te suivrai, peut-importe ce que tu comptes faire, mais une majorité des chasseurs trouve que tu n’es pas un vrai leader. Des rumeurs commencent à me faire peur.

— Clara, j’apprécie ton angoisse, mais je suis grand, je sais me débrouiller seul.

— Ça ne dépend pas que de toi, assène-t-elle. Le meilleur ami de ton frère est la cible de Carl, il veut cet oméga pour lui, il compte y arriver et avoir le pouvoir de la coalition lui permettra de faire ce qu’il voudra.

Merde. Autant Théodore m’exaspère, autant le savoir entre les mains de Carl me dérange. Il ne faut pas être devin pour savoir que Théodore est un oméga. Son comportement ne reflète pas du tout celui des autres races de loups. Je me souviens qu’Andros Nore, un ancêtre de la famille, a écrit un livre sur toutes les particularités des loups-garous. C’est devenu une obsession pour lui, si bien qu’il est mort, une plume à la main, encre sur un parchemin tacheté. Enfin du moins, c’est ce que mon père m’a raconté. Andros a écrit sur les omégas et ce dont je me souviens c’est qu’il n’y a, logiquement, que des femelles. Le seul oméga mâle qu’Andros a rencontré était en gestation, de là, je ne sais pas grand-chose. Peut-être qu’un oméga mâle est suffisamment rare pour intéresser Carl et si Théodore a la même capacité de procréation en plus d’un pouvoir qu’il convoite, ça risque de faire des dégâts. Un poids dans mon estomac me rend malade. Je ne peux pas accepter que cette merde touche à Théodore. Les autres loups, rien à battre, mais l’énergumène maladroit certainement pas.

— Je peux vous faire confiance, ou je vais devoir compter que sur moi-même ?

Clara s’emballe directement. Elle m'assomme de mièvreries toutes plus ridicules les unes que les autres, prônant une amitié à toutes épreuves. Je jette un coup d'œil à Frank qui n’a rien dit jusqu’à maintenant. Il semble gêné, grattant l’arrière de son crâne.

— Je suis le meilleur ami de ton père, mais je sais que pour toi ça ne compte pas. Je ne peux pas te faire la même promesse que Clara, car je hais les loups. Mais, je t’aime suffisamment pour te considérer comme mon fils, alors si tu as besoin de moi pour faire valoir tes choix, je serai là.

Je reste pantois face à la sincérité de Frank, sans m’en apercevoir, nous sommes l’un contre l’autre, s’échangeant un câlin musclé. C’est étrange, mais avec Frank, c’est une habitude que j’ai dû prendre adolescent. Si je dois me projeter sur le plan familial, Frank est Rose. Frank est une maman, cette présence rassurante que je n’ai jamais eue. Ugo était l’autorité, c’est certain, mais avec la compagnie de Frank à ses côtés, il était bien plus clément que lorsqu’il était avec Rose. Une image de Frank et mon père l’un contre l’autre se glisse dans mes pensées. Un sourire léger étire mes lèvres, approuvant cette image

— Il me faut votre soutien, dans ce cas. Théodore est la priorité, si vous deviez choisir entre lui ou moi, sauvez-le.

Une flopée d'exclamations me fait soupirer. Je n’écoute rien, sortant mon sac de la voiture. Clara a les larmes aux yeux, alors que Frank s’approche de moi, le visage grave.

— Tu ne penses pas ce que tu dis, n’est-ce pas ?

— Je suis bien conscient de ce que j’avance Frank, promet-le moi, dis-je.

Après plusieurs minutes de réflexion, Frank soupire et accepte. Le soleil décline, plongeant la forêt dans une nuit angoissante. La première battue a déjà commencé, mes collègues éclatant avec exubérance leur joie. Depuis la conversation avec Frank et Clara, mon corps tremble. Aucun sentiment de joie ni d’excitation dans mes mouvements. Je veux partir et rejoindre Samuel, prendre des nouvelles de Théodore. Alors que je m’avance lentement vers un arbre qui débouche sur une allée dégagée, mon téléphone vibre dans ma poche. Je ne fais pas attention à l’objet, trop concentré dans ma recherche d’un animal qui n’est ni un grizzly, ni un loup. A nouveau, mon téléphone vibre, mais plus longtemps cette fois. Tout en restant concentré sur ma ligne d’horizon, je sors mon téléphone et décroche sans regarder le nom du gêneur.

— Allô ? chuchote-je.

— Raph ? Bordel, tu ne sais pas répondre quand on t'appelle ?!

Ma carabine collée contre mon épaule, plusieurs détonations me coupent la respiration. C’est passé super proche de moi. Un cri de douleur et le hurlement d’un ours noir me pétrifient. Est-ce que l’un des gars a été touché ?

— Sam, je dois te laisser je-

— Non écoute moi, Théodore a disparu !

Pause. Trente secondes. On arrête tout. Théodore n’est pas là où il doit être. Théodore est en danger. Putain. Calmement, j’inspire, je ferme les yeux, puis je relâche mon souffle. D’une voix froide et menaçante, je prends la parole.

— Et je peux savoir où il se trouve ?

— Je n’en sais rien, il ne m’a rien dit ! J’te jure Raph, j’ai prévenu tout le monde, panique Samuel.

Visiblement pas tout le monde, je veux lui dire, amère. Un mouvement du coin de l’œil me fait devenir blanc. C’est lui. Il est là. Nu, courant entre les arbres, un ours derrière lui. Je lâche mon téléphone, vise et tire sur la bête qui manque de griffer violemment Théodore sur le dos. Les cris des chasseurs, prévenant qu’un loup est dans la forêt, me retourne l’estomac. Ravalant la bile coincée dans ma gorge, je m’élance dans la direction de Théodore.

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