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Lise Dhysoris, Bourg d’Allaume

Le soleil naissant éclairait Praveen de sa lumière. Il chassait les ombres qui siégeaient encore dans les rues d’Allaume tandis que les braseros et autres feux en manque de combustibles mouraient les uns après les autres.

Les rues prenaient lentement vie avec les commerçants locaux qui sortaient de leurs demeures pour s’occuper de leurs échoppes. Les rares voyageurs, les quelques étrangers présents, allaient quant à eux apprêter leurs montures pour reprendre leur route sur les dangereux chemins du royaume.

Allaume n’était pas une ville des plus importantes qu’il soit. C’était plus un hameau qui s’était développé grâce à sa présence sur l’une des seules grandes voies parcourant les marches de l’est. Ainsi, la ville était loin d’être notable ou grande, uniquement protégée par une muraille de bois qui confinait les quelques bâtiments de la bourgade dans un mince espace juste assez grand pour accueillir la cinquantaine qu’ils étaient.

Les rues étaient ainsi bien étroites et Lise traîna sa fatigue dans cette allée crénelée où les maisons vétustes lui donnaient comme une impression d’oppression en se dressant de toute leur hauteur de chaque côté de la voie.

Elle n’aimait décidément pas les villes…

Lise dut faire attention où elle posait le pied, car le chemin qu’elle empruntait n’était pas des plus praticables. Jonglant entre les planches posées sur le sol, elle tentait d’éviter la boue tenace qui recouvrait la voie en salissant tout au moindre contact. Comme pour ajouter plus de difficulté à la chose, elle dut longer le bord de l’allée pour éviter les chevaux et chariots qui empruntaient cette seule voie principale de la bourgade. Ces derniers ne manquaient pas d’éclabousser les alentours lorsqu’ils passaient sur les flaques d’eau qui recouvraient l’allée après l’importante averse qui avait sévi durant la nuit.

Une femme seule aurait été mal avisée de parcourir les rues de ce phare de la « civilisation », mais Lise était loin de l’être. Dans son sillage marchait d’un pas assuré un homme de bonne stature qui semblait capter les regards des quelques personnes présentes. Les locaux scrutaient ces deux étrangers, représentation du peu d’inattendu dans leur quotidien.

Passant de l’autre côté de la rue, tous deux furent bientôt en face de la seule auberge du bourg. C’était un bâtiment qui était d’ailleurs parmi les plus imposants de la ville, renforçant ainsi son aspect d’étape obligatoire dans les dures montagnes de l’est et ses mornes bourgades. La taverne était composé d’un corps en pierres claires qui faisait bien trois étages de hauteur pour seulement quelques rares vitres qui agrémentaient sa façade.

L’auberge couvrait de toute son ombre les deux arrivants à mesure qu’ils approchaient.

Ralliant la palissade qui officiait en tant que délimitation de la cour de l’établissement, Lise passa la frêle muraille branlante qui lui arrivait aux épaules en franchissant notamment le porche travaillé qui contenait quelques écrits officiels accrochés sur ses solides piliers. Le papier jauni par le temps avait été en partie rendu illisible malgré la relative protection qu’offraient les tuiles de bois qui les couvraient.

Les deux arrivant s’aventurèrent ensuite dans la cour de l’auberge qui était bien occupée même de si bon matin. Lise dut esquiver les chevaux qui prenaient place de part et d’autre de la porte car ceux-ci ne se dérangèrent pas pour les intrus qui avaient fait irruption dans leur domaine. Les bêtes étaient parquées avec plus ou moins d’ordre, toutes tournées vers les grands bacs latéraux qui contenaient le restant de foin de la nuit. Nourriture qui semblait capter à elle seule toute leur attention après avoir survécu jusqu'au petit matin.

La porte étrangement petite face à la taille de l’établissement était dominée par une enseigne qui grinçait avec le léger vent qui s’insinuait dans la rue. La petite effigie de bronze figurait une tête de sanglier sur un écu se finissant sur sa partie haute par une imitation de parchemin où une inscription à demi effacée offrait le nom de l’auberge sûrement connue et reconnue dans la région.

Approchant de la grande porte, Lise poussa le loquet de sa main gantée et le presque silence qui l’avait accompagnée fut bientôt coupé par les voix qui s’élevèrent quand elle entra dans l’établissement.

Abaissant son capuchon elle regarda alors son compagnon de route qui refermait l’entrée de l’auberge.

— Tu es sûr qu’il est ici ? dit Lise d’une voix assurée, presque impérieuse.

— Pour être sûr, je le suis, répondit Cothyard en souriant. J’ai quitté notre cher ami à la lune décroissante et je ne pense pas qu’il ait bougé depuis. Ou qu’il fut en état de le faire d’ailleurs.

— Si j’étais toi, j’effacerais ce sourire béat, il n’y a pas de quoi être fier…

— Je te trouve bien dur !

— Et je vous trouve, vous les hommes, bien simplets parfois.

Soufflant comme en désaccord, Cothyard passa alors aux côtés de Lise pour mener cette fois la marche. Tous deux quittèrent le couloir d’entrée pour faire leur apparition dans la salle commune. Les auberges devaient être légion dans les royaumes centraux et de par le monde.

Mais si une chose était la même, c’était leur arrangement presque sacré. L’établissement dans lequel Lise et Cothyard se trouvaient ne dérogeait bien sûr pas à la règle.

L’auberge était agencée avec un rez-de-chaussée occupé par une salle commune entourée du cellier et des cuisines. Les chambres quant à elles dominaient ces premiers lieux en occupant les deux étages supérieurs, c’était là la destination des deux voyageurs.

Malgré l’aube encore relative, l’auberge était comble. L’ensemble de l’espace était occupé par les clients répartis sur les nombreuses tables. Leurs rires résonnaient dans cet espace large qui se voyait dominer par une grande roue de charrette agrémentée de chandelles qui finissait d’éclairer péniblement la pièce en compensant le manque de clarté dû aux rares vitres présentes.

Les bières et autres boissons ne coulaient pas de si bon matin. Les servantes étaient plutôt chargées de plat copieux pour les personnes qui allaient affronter une énième journée de dur labeur.

La chef d’orchestre observait le spectacle de sa salle commune depuis le comptoir. Nul bedonnant tenancier ne semblait posséder l’auberge. C’était au contraire une maigrelette femme ayant vu déjà trop d’hivers qui observait ses employés de son regard appliqué et accoutumé.

Traversant cette grande pièce, Lise et Cothyard se dirigèrent vers les escaliers qui menaient aux chambres en slalomant entre les îlots créés par les tables des affamés clients. Disparaissant à la vue de tous en s’engageant dans cet étriqué passage, les deux furent accompagnés par les voix faiblissantes des clients et le grincement du bois à chaque fois qu’ils foulèrent une des marches du passage.

— Tu sais, rien qu’à entendre tes pas, je te sens énervée, s’aventura à dire Cothyard qui avançait juste devant Lise. Tu devrais te calmer.

— Avec son rôle, c'est lui qui devrait se montrer raisonnable…

— Et non nous ?

— Oui, fit-elle simplement.

— Je te trouve dur.

— Ça fait quoi, presque une année depuis que sa famille et son ami sont morts et il ne semble toujours pas aller mieux. Où vouloir aller mieux.

— Certaines cicatrices sont plus difficiles à cicatriser que d'autres. Tu devrais le savoir.

— Je sais, il n’est pas le seul à avoir perdu ses proches…

—Hum, quand on était à la guerre, il n’avait pas le temps pour ressasser ce qui lui était arrivé alors qu’ici son esprit vagabonde et se perd. Je ne sais pas quoi faire pour l’aider.

— Ce dont Pierre a besoin, c'est d’un petit coup de pouce de notre part, dit Lise en croyant elle-même à moitié ses propres mots.

— Tu as raison, en plus, il devrait se réjouir. Il va se marier.

— Heureux, je ne sais pas, mais il doit tout de meme se montrer raisonnable. Tu serais heureux de te marier à une inconnue toi ?

— Avec une femme de ce rang ? Oui, bien sûr !

Et Lise souffla par désespoir.

— Entre le seigneur et son bras droit, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre… Je sais que c’était son destin, d’être marié. Être noble ne peut quand même pas avoir que du positif et il faut parfois savoir donner de soi comme tout le monde. Mais il devrait se montrer un tant soit peu positif même si certains seraient heureux d’être à sa place, hein ?

— La voix de la raison incarnée, fit Cothyard.

— Si seulement c’était vrai. Bon, trois jours à végéter dans ce cloaque de ville, il est temps de se remettre en route.

— Je suis bien de ton avis, encore quelques jours et il risque de rater son propre mariage.

Gravissant le reste de la montée en un mélange d’attention et d’agilité pour ne pas rater les traîtresses marches, Lise et Cothyard rallièrent l’étage supérieur de l’auberge. Il n’y avait pas une légion de portes à ce niveau. Seulement quelques entrées menant aux plus larges pièces de l’établissement destinées aux clients les plus fortunés ou simplement les mieux nés.

Lise, qui s’était arrêtée aux abords de l’escalier, laissa Cothyard reconnaître les lieux. Ceux-ci, familier, furent vite observés et le pravien montra la porte qu’ils cherchaient. S’arrêtant devant, il fit alors un signe de tête pour inviter Lise à le rejoindre et entrer.

La porte n’était même pas fermée, Pierre devenait négligent ou trop sûr de lui. De ces deux possibilités, Lise ne savait laquelle était la meilleure, ou la moins mauvaise.

Ouvrant le passage, Lise dévoila la pièce occupée par le seigneur d’Ambroise. Elle était dans une sorte d’ambiance tamisée. Lise pouvait discerner le grand lit qui prenait place de l’autre côté de la pièce. La fenêtre qui bordait ce dernier était occultée par une loque fendue en son milieu qui faisait office de rideau. Un petit et fluctuant filet de lumière venait ainsi éclairer la salle en chutant en son centre.

Les yeux de Lise qui s’étaient acclimatés à la semi-pénombre ambiante distinguaient deux formes dans le grand lit et Cothyard, qui avait quitté l'entrée où Lise se tenait, avançait déjà vers la couche à pas de loups.

Demoiselle, fit-il proche d’un des occupants du lit à voix basse. Demoiselle, il est temps de partir.

Pourquoi ? entendit Lise qui s’en allait vers la fenêtre.

La journée a commencé dehors et elle est bien entamée. Il ne faudrait pas être en retard à vos tâches. Venez levez-vous il est important que vous partiez.

La femme encore à moitié endormie se leva péniblement. Elle était accompagnée par le pravien qui l’aida à s'asseoir sur le bord du lit.

— Voilà c'est bien. C’est ça, levez les bras, dit-il en aidant la femme à passer sa longue robe. Très bien…

Et il la raccompagna jusqu’à l’entrée avant de fermer la porte.

Lise qui avait observé la délicatesse du natif de Villeurves ne fit pas tant de manières. Écartant les rideaux elle laissa la vive et douloureuse lumière entrer dans la pièce d’où le gémissement quelque peu réprobateur de Pierre fut la seule réaction audible.

Mais il ne bougea pas pour autant.

— Peut-être… s’aventura à dire Cothyard avant d’être arrêté par un signe de mains de Lise qui s’en allait prendre un des seaux d’eau de la salle.

— Je n’aime pas ce regard.

— Quel regard, lui répondit-elle d’un air forcément innocent.

Se mordant les lèvres en imaginant facilement la suite, Cothyard la vit vider le contenant sur Pierre et le lit. Le seigneur d’Ambroise se leva en un cri qui résonna dans la chambre agrémenté de noms d'oiseaux tels que sorcière. Reproche qui devait paraître comme simple affabulation pour Cothyard

— Bonjour mon seigneur, dit ce dernier. Je vous assure qu’elle m’a menacé du même traitement si je ne me levais pas de suite pour venir ici.

— Il est temps de partir ! fit Lise.

— Ce n’était pas nécessaire, rétorqua Pierre l’esprit encore embrumé.

— Et il n’est pas nécessaire de boire et courir les catins comme vous le faites et pourtant…

— De quel droit…

Et le second seau de la pièce y passa.

— LISE ! s’écria le seigneur d’Ambroise en se levant d’un bond en se cognant à l’une des poutres du toit.

— J’attendrai avec les chevaux en bas, finit par dire cette dernière en quittant la pièce. Ne trainez pas.

Elle laissa ainsi Pierre s’habiller pour rejoindre Leto, Folder et les restes des hommes de leur troupe qui devaient à présent attendre dans la cour. Le temps était compté. Le domaine du seigneur Boiscendre n’était certes plus très loin, mais il fallait dire qu’eux même n’étaient pas tout à fait en avance non plus.

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