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Thadeus Kreisth, village de Vedènne

Kreisth marchait dans une demeure qui n’en avait plus que le nom au vu de sa triste apparence. Le vent sifflait en s'infiltrant par chacune des faiblesses du lieu en de sinistres et longues complaintes. Vedènne était un village désoeuvré et la guerre qui faisait rage n’avait pas arrangé le sort peu glorieux de ce morne et triste endroit. Vidant la bourgade de ses rares forces vives.

L’inquisiteur n’était bien sûr pas là par pur plaisir. Sa chasse au Ghesïl l’avait mené toujours plus au nord et à présent, il parcourait les frontières septentrionales du Haut Corvin. Ses insignes et son office lui avaient ouvert bien des portes, mais la traque restait des plus ardues. Les créatures qu’il poursuivait avaient anticipé d'éventuelles trahisons et leur fuite avait été rapide, efficace. Mais l’inquisiteur savait qu’elles étaient encore présentes au Corvin, partir aurait été un aveu d'échec envers leurs maîtres. Quels qu’ils soient…

Les derniers mois avaient ainsi oscillé entre escarmouches et pistes infructueuses. Kreisth avait bien sûr pu se débarrasser que de quelques Ungoïs ou ombres de bas rangs, cependant les deux anciens survivants du haut cercle de Périssier restaient toujours hors de sa portée. Ils disposaient encore de soutien dans tout le royaume et l’inquisiteur prenait grand soin de les faire lentement disparaître aux profits de ses propres agents.

Juliano Petiti était de ceux-là.

L’homme des duchés lui avait d'ailleurs donné rendez-vous en cet étrange lieu pour lui faire part de son avancement. S’approchant d’une fenêtre orpheline de toute vitre, Kreisth observait la cour du bâtiment où une partie de ses hommes attendaient. Les sens en éveil et les armes à portée de main.

L’heure tardive avait plongé la bourgade dans une nuit tenace où la lune pâle ne semblait être présente que pour éclairer les nombreuses gouttes de pluie qui s’abattaient sur les bâtiments formant la rue.

À l’image de celle qu’il occupait, les maisons alentour n’avaient pas fière allure. Une bonne partie d'entre elles devaient encore être habitées à voir les quelques lumières qui en émanaient, les autres n’étaient plus que des reliquats des souvenirs du passé. Des demeures figées dans le temps et hantées par les traces de leurs anciens habitants à présent oubliés de tous. Un terreau fertile pour les Elkïhms, ses esprits de la nature vestige du temps ou les créatures étaient légion.

Nombre de ces esprits sauvages encore en vie étaient inoffensifs pour l’homme, le Créateur n'avait pas formé et modelé que de la haine durant son existence. Mais les villes et villages toujours plus nombreux avaient au fil des siècles grignoté les forêts. Ces demeures d’esprits et autres créatures non humaines devenaient de plus en plus rares et de moins en moins protectrices. Certaines créatures vivaient à présent dans les villes, forcées de subsister, à l'insu même des hommes qui avaient détruit leur chez eux, au plus près de leurs oppresseurs, mais ironiquement éloignées du danger de la chasse qu’on leur faisait.

Malgré son rôle, Kreisth n’éprouvait que peu de plaisir à les tuer. Il avait vu plus de sang couler qu’il n’en fallait à un homme dans toute sa vie. Tuer ce genre de créature était inutile, mais cela avait néanmoins le mérite de calmer la populace. Chose des plus importante avec l'époque actuelle. Les créatures qu'il chassait étaient quant à elles bien différentes et nettement plus dangereuses.

Le regard de l’inquisiteur s’était à nouveau porté vers ses hommes juste en bas du bâtiment et il vit un groupe important se porter à leur rencontre. La nuit et la pluie l'empêchaient de voir correctement ces nouveaux arrivants, mais ces derniers furent autorisés à entrer dans le bâtiment.

Reniflant bruyamment, l’inquisiteur refréna son envie d'éternuer et se mit à quitter son perchoir. Sa chasse n’avait pas été gâtée par le temps et les dernières semaines s'étaient faites sous le couvert des nuages et l’assaut incessant de la pluie au détriment de la santé de l'inquisiteur. Alors qu’il avançait dans le sombre bâtiment, son regard entraîné et affûté repérait aisément ses hommes d’armes. Ils faisaient comme partie du décor dans leurs accoutrements bien sombres. Kreisth avait attendu la venue de Juliano Petiti depuis le dernier étage du bâtiment. L'inquisiteur aimait avoir du recul sur les choses, observer son environnement, mais il était question d'accueillir le mercenaire comme il se devait.

Chaque combattant qu’il croisait emboitait ses pas et lorsque l’inquisiteur eut fini de dévaler les escaliers de la vieille demeure, ce fut une petite troupe qui se tenait derrière lui. Kreisth vint se porter à la rencontre de Juliano dans la grande pièce du rez-de-chaussée. Les fenêtres étaient presque entièrement remplacées par des planches et les seules sources de lumière provenaient des torches portées par les hommes de l’inquisiteur.

L’aura vive de ces quelques sources orangées éclaira bientôt les mercenaires du sud qui firent leur apparition dans la pièce. Ils n’étaient pas différents des hommes de l'inquisiteur. Ils étaient tous vétérans de conflit, habiles combattants et leurs regards en disaient long sur leurs pensées et forces.

Presque tout le contraire de leur leader pouvait-on en conclure si on ne connaissait pas la famille Petiti. Juliano était encore un jeune adulte, il arborait un visage presque enfantin, juvénile, et camouflait ainsi à la perfection son rôle et ses qualités. Les mois de chasse semblaient avoir eu néanmoins un impact sur l’homme des duchés. Son visage arborait à présent une légère barbe de trois jours le vieillissant quelque peu.

— Vous voilà bien négligé Petiti.

— C'est que je suis à l'image de ma profession maintenant, n’est-ce pas, messieurs ?

Les hommes de Juliano corroborèrent ses mots en brèves acclamations.

— On dirait que votre chasse a été couronnée de plus de succès que la mienne.

— Voyons, fit Juliano en levant les bras. Vous en doutiez ? Après tout, vous me payez bien cher pour toute cette affaire. Mais je dois bien avouer que la prise que vous voyez là ne s’est pas faite sans mal.

Les hommes de Petiti avaient amené avec eux cinq prisonniers. Tous liés par de solides cordes et portant des sacs de jutes sur leurs visages. Les mercenaires les avaient fait s’agenouiller avec plus ou moins de fermeté face à l'inquisiteur et ses acolytes.

— Un Ghesïl ? demande Kreisth avec un soupçon de victoire dans le ton de sa voix.

— Oui.

— Et qui sont ces gens ? continua l’inquisiteur en pointant les quatre prisonniers qui encadraient le Ghesïl facilement reconnaissable à sa forte carrure. Des amis ?

— Non, dit avec difficulté la créature derrière le sac de jute qui lui couvrait le visage.

Et l'inquisiteur sentant la souffrance du vieil Ungoïs reporta son regard vers Juliano.

— Ils ont essayé d’attraper votre proie, je pensais qu’il vous plairait de les rencontrer vu le nombre de mes combattants qu’ils ont tués avant d'être capturés.

— Des invités surprises… conclut Kreisth en marchant entre les captifs le regard mauvais avant de faire un signe de tête a ses hommes qui amenèrent un brasero. La chaleur et la lumière de l’objet couvrirent bientôt la pièce. J’aime les surprises...

Les hommes de l’inquisiteur se saisirent du premier inconnu l'amenant proche du feu. Kreisth avait plongé une tige de fer dans le brasier.

— Je n’ai besoin que d’un seul d’entre vous… Celui qui me dira le nom de son employeur pourra se voir accorder la vie !

Les hommes de Kreisth maintenaient fermement le premier inconnu qui allait avoir l’honneur d’ouvrir les réjouissances. Ils observaient l'inquisiteur ressortir le fer rouge vif des flammes. Il le colla sur le torse du malheureux. Les grognements du supplicié passèrent bientôt aux cris, mais nul mot ne passa ses lèvres tandis que ses habits ne firent bientôt plus qu'un avec sa peau noircie.

Répétant l'opération, les hommes de Kreisth soumirent à la question bien trois des hommes sans succès, mais tandis qu’ils travaillaient toujours sur le troisième individu, le quatrième d’entre eux prit finalement la parole.

— Ils se demandent simplement quelle logique il y a à révéler sa noirceur à un inquisiteur. Car c'est la mort qui nous attend tous n’est -ce pas ?

L’homme avait une voix bien calme face à la situation. Presque assurée et moqueuse. Kreisth, échangeant un regard avec Juliano, se dirigea vers lui en faisant signe à ses hommes de le faire se relever.

— Toi au moins tu parles. Qui es-tu ?

— Peu importe notre identité, le nom qu’on nous a donné à la naissance. Seul compte notre cause, notre plan…

L’inquisiteur qui échangeait des regards étonnés avec Juliano se mit à enlever lentement le sac qui avait couvert la tête de l’homme et un visage brûlé, marqué au fer, se révéla à lui. Une peau ravagée comme Kreisth n'en avait jamais vue durant sa vie chez un homme vivant.

— Personne ne se souciait de qui j'étais avant de purifier ma chair.

Souriant, l’inquisiteur reprit la parole avec aplomb.

— Ça faisait partie de ton grand plan de te faire capturer !?

— Bien sûr ! fit l’homme comme choqué par la question posée en souriant. Vous n'êtes pas les seuls à chasser les Ungoïs. Il me fallait connaître notre nouvelle adversaire.

— Alors toutes mes félicitations ! fit Kreisth qui s'était placé juste en face du mystérieux inconnu. Quelle est la prochaine étape maintenant ?

— Détruire toute opposition !

Les hommes de Kreisth et Petiti l’air médusé ne savaient que penser de cette réponse, l'atmosphère était lourde. L’inquisiteur réfléchissait, l'homme face à lui pouvait-il être celui auquel il pensait… Leur guerre contre l’ordre les avait empêchés de continuer la lutte contre le culte, mais ces quelques mois de sursis ne pouvaient les avoir enhardis au point d'attaquer frontalement ?

— Enselm ! dit l’inquisiteur en appelant l’un de ses hommes.

— Oui, fit l'intéressé.

— Vérifie leurs poignets.

S'activant l'acolyte de l’inquisiteur écarta les liens d’un des prisonniers révélant une marque bien connue.

Celle du pacte saisirentVel

— Que le Créateur m’emporte… eut juste le temps de dire Kreisth avant que l’un de ses hommes proches de l'entrée ne s'effondre sur le sol après s'être pris un carreau.

Le prisonnier scarifié, toujours debout au centre de la pièce, souriait en affichant presque toutes ses viles dents jaunes. Le chasseur devenait le chassé.

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