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Jørdiss, ville de Tour en Velin

Le vent caressait le visage de Jørdiss en faisant virevolter ses cheveux blonds.

Une importante brise balayait la ville, ses alentours et la guerrière, au sommet de l’un des grands bâtiments du centre, appréciait ce vent plus que rafraîchissant. Elle était sur l’une des petites tours qui dépassaient des toitures et de sa hauteur Jørdiss dominait la ville qui s’étendait en contrebas de son perchoir en un monde de pierre, brique ou tuile.

Il y avait là autant de bâtiments que dans les plus grandes villes d’Eannheim et les murailles, elles, rivalisaient avec les solides défenses d’Ormstrang qu’elle avait toujours connues.

Un lieu des plus intéressants…

La ville, ce labyrinthe grisâtre, faisait ensuite place à quelques épars bâtiments sur sa périphérie ainsi qu’un port reconnaissable à ses hautes constructions ou grues. C’était par ce dernier que Jørdiss et ses compagnons d’armes étaient venus, il y a quelques jours de ça.

Peu d’édifices avaient été altérés. L’ordre d’Eirik avait été clair, Tour en Velin comme l’appelaient les continentaux devait devenir leur ville et nulle dégradation n’était tolérée. La voix du futur Jarl de ces terres était respectée et estimée. Nul n'avait dérogé à la règle chez les drengrs de l'expédition.

Quittant des yeux les constructions de l’homme, les œuvres des continentaux, Jørdiss aventura son regard sur les quelques plaines herbeuses qui prenaient ensuite le relais des bâtiments en courant jusqu'aux épaisses forêts qui entouraient Tour en Velin.

Les bois peuplaient la majeure partie de la région et la guerrière au bouclier pouvait bien s’en rendre compte à présent. Ce n’était pas là une lugubre forêt de sombres sapins couverts d’un manteau blanc comme elle en avait l’habitude. Mais plutôt un florilège de vert aux teintes bien diverses qui recouvraient les nouvelles terres des narlhinds. Et ce, jusqu'à l'horizon.

C’était un beau chez-soi, pensa Jørdiss. Un nouveau chez-soi payé au prix du sang…

Quittant le renfort de pierre sur lequel elle s’était tenue. Jørdiss se mit à dévaler les escaliers pour quitter la tour. Le soleil était déjà bien haut, la journée bien entamée, et Jørdiss se devait de rejoindre son frère. Il était sûrement déjà en prise avec ses ädlings pour parler de l’organisation de leur nouveau domaine.

Il fallait dire qu’il y avait fort à faire, le Althing d’Ormstrang n’avait alloué que peu de ressource à l'expédition, le grand prince du clan Snorrason avait vu tout cela comme un moyen de se débarrasser d’un de ses fils cadets. Le temps était compté, si ce n’est pour ne pas dire précieux pour les guerriers d’Eirik.

Durant sa descente, Jørdiss put continuer d’observer la ville et dans ce tableau de bâtiments intacts qui se présentait à elle un point semblait briser la monotonie de l’endroit en résonnant avec dureté face à ses pensées.

C’était un bâtiment noirci, détruit qu’elle regardait.

Les derniers miliciens de la ville avaient mis le feu aux réserves de grains lorsque leur dernière défense avait cédé. Laissant les narlhinds avec peu de vivres pour nourrir une si grande armée. Un acte loin d'être irréfléchi, une action décisive pour les mois à venir et tout cela allait forcer les narlhinds à trouver quelques nourritures pour survivre et vite…

Dévalant les longs escaliers qu’elle venait d’emprunter, Jørdiss quitta le bâtiment où elle se trouvait pour faire son apparition sur la grande place centrale de la ville.

Cette dernière était plus qu’animée et emplie du brouhaha ambiant, presque nocif.

Une grande foule était là, déplaçant ou rassemblant de nombreux chariots et caisses. C’était des richesses et possessions continentales qui appartenaient maintenant au Jarl Eirik. C’était le fruit de la rapine des drengrs et les biens étaient variés. Ils pouvaient aller de l’or et orfèvrerie aux simples armes ou bêtes sans omettre bien sûr les esclaves.

Les anciens habitants avaient été tous parqués en petit groupe, agenouillés sur le sol sous la bonne garde de guerriers qui naviguaient maintenant entre eux. Leur aide, leurs bras, allaient être fort utiles pour relancer la ville.

L'ambiance était toute festive, la nourriture et les boissons coulaient à flots comme il en était coutume après une telle victoire. Mais pour combien de temps encore ?

Tandis qu’elle progressait dans la cour, Jørdiss était approchée par les hommes et femmes présents. Un drengr la saluant lui tendit une cruche qu’elle saisit pour en boire son contenu aigre et relevé. Plus loin, après avoir effacé la grimace héritée de la boisson qu'on lui avait donnée, ce fut un fromage local tout suintant qui lui fut proposé. Mais elle le refusa net et de bon cœur.

Parmi toutes ces festivités, certains gardaient un semblant de sérieux.

Sous le couvert d’un des hauts bâtiments, Jørdiss put voir certaines guerrières au bouclier s’exercer en combattants. Leurs lames sifflaient et à chaque coup donné avec réussite quelques drengrs enivrés qui les entouraient saluaient l'action de leurs acclamations.

Les femmes étaient bien égales aux hommes dans la culture du vrai nord. Nombreuses étaient les sagas parlant des exploits des guerrières et Jørdiss ne pouvait qu'espérer figurer un jour dans de tels récits. Celui qui avait bercé son enfance était l’histoire de la reine Gunhild et de sa garde rapprochée de porteuses de bouclier. Une histoire dont elle ne se lassait de lire les exploits.

Son arrivée sur le continent allait lui permettre de faire grandir si ce n’est pour ne pas dire faire naître sa réputation. De se détacher de l’importante ombre de son frère.

Mais pour l’heure, Jørdiss pressait ses pas pour quitter l’ombre des hauts et imposants bâtiments qui l’encerclaient. Les constructions en pierre de plusieurs étages encadraient la grande cour pavée composant le centre-ville. De nombreuses fenêtres tapissaient leurs murs et leurs toitures, composées de tuiles orangées, étaient entrecoupées de petites tours comme celle que Jørdiss avait connue durant sa jeunesse. Il y avait un petit air de ressemblance avec le palais d’Ormtrang à ceci près qu’au lieu de coupole aux formes arrondies si caractéristique des palais d’Eannheim, les toits des tours étaient ici droits et recouverts des mêmes tuiles que les pesants et larges chemisages des bâtisses.

Malgré toute la beauté que revêtaient les constructions des continentaux, l’un des bâtiments du centre allait pourtant devoir être abattu. Si Eirik voulait faire de cette ville son domaine, il se devait de dresser un grand skali digne de lui et si Jørdiss devait mettre une pièce sur le bâtiment qui allait disparaître, elle allait miser sur le temple des locaux. Symbole d’une croyance bien différente des leurs.

En attendant un tel bâtiment d'importance, Eirik et ses ädlings étaient regroupés sous une sorte de petite construction jouxtant ledit temple. Les portes grandes ouvertes du lieu arboraient encore les traces des haches des drengrs d’Eannheim. Deux gardes encadraient le passage, immobiles et droits. Ils étaient comme deux statues d’aciers. Deux dragons des temps anciens avec leurs armures d’écailles.

Étant autorisée à avancer par les gardes de son frère qui ne bloquèrent le passage face à elle, Jørdiss se mêla à la foule présente. Le conseil de son frère était au grand complet et le Jarl semblait donner ses directives avec entrain. Peu avaient été les nobles du clan Snorrason à rejoindre Eirik dans son expédition. Mais ici, dans cet espace exigu, leur nombre semblait être plus que suffisant.

Il y avait de présent une pléthore de fourrures différentes, de capes, de broches travaillées et bien sûr de haches aux têtes et bois sculpté de main de maître. Dans cette foule d'accessoires de la noblesse narlhind, des vêtements semblaient détonner face à tous les autres. Une personne comme étrangère, malgré l’endroit où étaient regroupés tous ces nobles du clan Snorrason. L’homme, rien qu'à voir son visage rasé de près, semblait être du Corvin. Un guerrier à voir le pourpoint qui le revêtait ainsi que la cotte de mailles lassée.

Quittant du regard cet intrigant inconnu, Jørdiss se concentra à nouveau sur les paroles de son frère. Dans ses phrases revenaient incessamment les notions d’ordre, de préparation et bien sûr la question qui allait bientôt tenailler les ventres de chaque narlhinds. L'approvisionnement en nourriture.

La guerrière au bouclier suivait par à-coups le discours de son frère. Son regard s’aventurait dans la foule. Elle croisa celui de Vibord qui était juste derrière son frère avant de regarder à nouveau l’homme qui devait être un natif du pays.

Les principales informations qu'elle retint furent l’envoie dans la matinée de guerriers censés ratisser la campagne pour “informer” les locaux de leur nouveau maître. De les rassurer quant à leur sécurité si la nourriture continuait à alimenter la ville.

Un autre groupe semblait être prévu et le natif allait en être.

Vibord n’allait étonnamment pas le diriger. La tâche revenait à un certain Jodhr. Eirik devait vouloir garder son homme de confiance à ses côtés.

Logique, pensa Jørdiss.

Mais elle, elle se devait d’en être.

Les explications d’Eirik ne tardèrent pas à venir. Lorsqu’il confirma cela, les nobles quittèrent le lieu. Une véritable foule s'engouffra dans la sortie telle une vague dans un goulet de rivière. Faisant de même et écartant les nobles de son chemin, Jørdiss approcha le dénommé Jodhr.

Le drengr déjà âgé en témoignait son crâne chauve et sa longue barbe tourna sa tête lorsque la guerrière se mit à marcher à ses côtés.

— Alors, Eirik te donne un guide ? fit Jørdiss.

— Hum, répondit Jodhr en un grognement de gêne. Il est censé pouvoir nous aider à accélérer les choses.

— Un visage connu ou tout du moins semblable devrait les aider à nous faire confiance…

— C'est surtout un homme en qui je n'ai pas confiance qui va se balader avec nous armé.

— L’idée n’a pas l'air de te plaire.

— Loin de là. Mais parfois, il faut faire des concessions pour arriver à ses fins. Enfin, je crois, dit le drengr peu enclin à croire ses propres dires.

— Des nouvelles des drengrs envoyés ce matin ?

— Aucune, et c'est là une raison supplémentaire de me méfier de toute cette mission.

— Et cet homme, ce continental, fit Jørdiss en pensant à l’homme qu’elle avait tant observé. On sait pourquoi il nous aide au moins ?

— J’ai vaguement écouté une histoire parlant de traîtrise, de prison.

— Il était prisonnier, ici ?

— C’est ça, dit Jodhr en hochant de la tête. Et tu sais ce qu’on dit l’ennemi de mon ennemi.

— N’est pas forcément mon ami…

— Mais il est plus enclin à l'être.

— On sait au moins son nom ?

— Godric, lui répondit simplement le vieux drengr.

— Il faudra l'avoir à l'œil alors.

— Tout à fait.

— Tu emmènes beaucoup de combattants ?

— Le Jarl m’a donné une trentaine de guerriers, c'est suffisant à condition qu’on ne tombe pas sur une importante troupe de continentaux.

— En terrain inconnu, en petit nombre. Tout cela paraît compliqué.

— Compliqué et dangereux si tu veux mon avis.

— Alors une hache supplémentaire ne serait pas de refus, je me trompe ?

— Si c'est la tienne, je peux m’en passer, fit Jodhr en souriant.

— Je ne pourrais pas venir, car je suis sa sœur !? dit Jørdiss en amenant son frère dans la conversation.

— C'est l’idée…

— J’ai fait mes preuves.

— En témoigne ton épaule, rétorqua Jodhr sceptique.

— Les risques de la vie de guerrière, lui répondit Jørdiss en levant les bras.

— Tu ne te contenteras pas d'un simple non, je me trompe ?

Et Jørdiss secoua la tête.

— C'est le début des problèmes, fit Jodhr en soufflant. Mais un bouclier de plus ne sera pas de refus, c'est sur…

— À LA BONNE HEURE ! s’exclama Jørdiss un brin victorieuse.

— C’est le début de mes problèmes, chuchota alors Jodhr dans sa barbe.

Mais Jørdiss, trop heureuse pour y prêter attention, se contenta de le suivre. Ils avaient du chemin à parcourir après tout.

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