La bibliothèque du désert  2/2

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Je marche dans la neige, des raquettes aux pieds, il fait très beau, le ciel est bleu, le fond de l’air frais. En une seconde, le ciel blanchit, se pare de gros flocons, je ne vois plus rien devant moi, j’ai froid, j’ai peur, je n’ose pas avancer. C’est le froid surtout qui me réveille, un froid intense, qui me court le long du dos, remonte jusqu’à ma nuque, fait dresser mes cheveux sur ma tête. Je regarde tout autour de moi : je ne sais plus où je suis… Paris ? Buenos Aires ? Ushuaia ? Dakar ?  Au-dessus de ma tête un plafond blanc, immaculé. Les draps de mon lit sont eux aussi d’une blancheur d’hôpital. C’est l’air conditionné réglé sur une température polaire qui me fait grelotter. Quelqu’un se penche au-dessus de moi : Maman ! Son visage est flou mais je peux voir qu’elle a pleuré.

— Gisèle ! Mon Dieu, Gisèle, tu m’entends ?!

Je ne parviens pas à répondre : je me demande vraiment ce qui m’arrive, où je suis et ce que je fais là…

— Tu nous as fait tellement peur ! poursuit ma mère. Tu m’entends, ma chérie ? 

Et en une seconde, tout me revient : les dunes de sable, les enfants autour des quads, les livres jaunis, la petite pièce sombre et poussiéreuse, la chaleur, le soleil, les flammes, le feu…

— Le feu !

Je viens de crier, sans même m’en rendre compte ! Papa entre précipitamment dans la pièce, en réaction à mon cri évidemment, et je vois tout de suite que ses yeux sont aussi rouges et gonflés que ceux de Maman.

— Gisèle ! Tu es réveillée, enfin ! Reste calme, allonge-toi ma chérie, tout va bien !

Rester calme… Mon coeur bat trop fort, tout se bouscule dans ma tête ! Je revois Tidiane, le gardien des livres, l’étonnante bibliothèque de Tichitt, les images du kaléidoscope, les flammes, la cendre qui vole… Maman serre fort ma main dans la sienne tandis que Papa se penche sur moi :

— Tu as fait un malaise à cause de la chaleur, mais tout va bien maintenant, tu vas reprendre des forces ici aujourd’hui encore, et si le Docteur est d’accord, tu sortiras demain.

Je pense soudain à mon petit frère Alphonse, je le cherche des yeux, il est là, derrière Papa, son pouce dans la bouche et un nouveau doudou dans les bras, un doudou que je ne connais pas mais qui, tout de suite, me rappelle Saucisson-Sec, le premier…

— Monsieur Jean-Pascal Lesec ? Mohamed ? Et Tidiane ? Où sont-ils ? Comment ils vont ?

Papa sourit :

— Tout va bien, Gisèle, ne t’inquiète pas. Monsieur Lesec est rentré chez lui, à l’hôtel, et Mohamed nous a conduits ici. Tidiane va bien aussi, tous attendent de tes nouvelles. Nous irons les voir demain. Repose-toi encore un peu, ferme les yeux, nous allons rester près de toi, tous les trois, un moment.


Je n’ai pas la force d’insister, même si des tonnes de questions se battent dans ma tête. Que s’est-il passé ? Où suis-je ? La bibliothèque a-t-elle brûlé ? Ont-ils réussi à sauver les livres ? A quel moment me suis-je évanouie ?

Je pousse un soupir profond et je ferme les yeux.

**********

J’ai quitté le dispensaire de Tichitt ce matin, ragaillardie et « les joues roses » d’après Maman, mais sans avoir reçu de vraies réponses à mes questions. « Un coup de chaud », « un étourdissement », « un malaise vagal », voilà les mots que les médecins ont mis sur mon évanouissement, aucun d’eux ne pouvant faire le lien avec les images de mon kaléidoscope puisque je ne leur en ai pas parlé. Ma perte de connaissance n’a rien à voir avec le feu en tout cas : la bibliothèque du désert n’a pas brûlé. Je devrais m’en réjouir, et je m’en réjouis bien sûr, pourtant je ne peux m’empêcher d’avoir peur car je sais que cela va arriver ! Je ne sais pas quand, ni comment, mais c’est écrit, gravé dans le kaléidoscope, ça je peux l’affirmer ! D’une certaine façon, j’aurais préféré me réveiller avec des brûlures sur le corps, et apprendre que je n’avais pas sauvé tous les livres mais que tout le monde était sain et sauf. À côté de ça, je redoute le pire si cela survient en mon absence…

Nous sommes repassés à « La Rose des Sables », l’hôtel de Monsieur Jean-Pascal Lesec. Sur mon insistance, nous sommes aussi retournés à la petite bibliothèque de Tichitt, non seulement pour dire au revoir à Tidiane, mais aussi pour me rassurer et me prouver que tout allait bien, qu’après mon alerte, toutes les précautions avaient été prises pour qu’aucun incendie ne puisse se déclarer, et que les livres avaient été, autant que possible, mis en sécurité.

— On devrait rester encore un peu, Papa. Le kaléidoscope n’a jamais menti auparavant, tu le sais… Je ne comprends pas pourquoi il m’a envoyé ces images mais je les ai vues, je te le jure, ce n’était pas un délire, elles sont encore très claires dans ma tête.

Papa me sourit mais je sens bien qu’il ne me croit pas. Il m’a trop répété que le soleil n’était pas bon pour moi et que mon malaise m’avait fatiguée, pour me donner l’impression d’être vraiment de mon côté. Tidiane aussi me sourit affectueusement. Avec l’aide de mes parents, il a rangé les livres. Ensemble, ils les ont époussetés avec soin, traités contre le feu, ils ont éloigné tout ce qui pourrait faire loupe et créer, d’une façon ou d’une autre, un risque d’incendie. Je fais un dernier tour d’horizon : tout semble en ordre. Mon objet magique est sage, il ne chauffe pas, ne vibre plus, m’offre à nouveau, comme si de rien n’était, les jeux de lumière colorés que j’aime tant… Je dois m’incliner, mais je ne suis pas tranquille : soit la prédiction n’est pas encore arrivée, soit mon kaléidoscope délire, soit c’est moi qui deviens folle. Dans tous les cas, rien de réjouissant ! Je serre une dernière fois Tidiane dans mes bras, puis je me mets sur la pointe de pieds pour embrasser Monsieur Jean-Pascal Lesec. Dans son empressement à déposer un baiser sur mon front, ni lui ni moi ne voyons tomber la cigarette qu’il a posée dans le cendrier, juste à côté…

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