Le deuil d'Ihlo

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Ihlo est l'héroïne de « .Rhulvas. le Sommeil de la Guerrière », un livre que j'ai commencé à écrire. En réponse au défi d'Irishcaya, je souhaitais revenir sur ce personnage, pour pouvoir mieux le décrire, et pour qu'il vous soit peut-être plus compréhensible. Attention, tout de même ! A ceux qui auraient souhaité des spoils concernant mon roman, et bien c'est raté ! Tout ce qui sera noté ici appartient à l'ordre des premiers chapitres (1-2, et peut-être 3). C'est tout ! Bonne lecture !

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C'est en une longue soirée d'été que je vous conte ceci. Le soleil venait à peine de descendre au loin, derrière les grands pins de la forêt de Lorhi, là d'où je suis originaire. D'immenses arbres chargés d'épines noires et de sève dorée entouraient Hameek, le petit village de bûcherons où j'ai grandi, et les derniers rayons de l'astre du jour empourpraient leurs fines branches et faisaient briller les amas de résine accumulés sur l'écorce. Une odeur de feu de bois planait sur mon village, et les lumières étaient allumées dans chaque bâtisse. Tous dînaient en riant, partageaient des moments conviviaux ou se préparaient pour la nuit, tandis que, seule dans ma chambre, je contemplais le ciel strié de nuages rougeoyants. Il y avait quelques semaines de cela, j'avais vécu l'un des évènements les plus terribles de ma vie ; ma mère était morte. Atteinte depuis plusieurs années par une maladie incurable et mortelle, que les anciens du village appelaient tehüril, elle avait fini par succomber, parcourue d'une douleur inimaginable de la tête aux pieds, avant que ses yeux ne se figent dans les miens, et que son âme ne s'envole vers les cieux. Mon deuil était profond, j'essayais de me débarasser des images de ses derniers instants, en vain. Ma mère était là, près de moi, je ne pouvais l'oublier.

Ma mère me ressemblait beaucoup, nous partagions toutes deux les mêmes grands yeux du même vert qu'arbore la douce herbe de Lorhi en été. Nos cheveux étaient longs et épais, d'une couleur brun-rousse, bien que les miens fussent plus roux qu'auburn. Nos joues étaient souvent rosies par le travail dans les bois. En effet, ma mère était bûcheronne, un métier étrange pour une femme, disait-on au village. J'amais beaucoup l'aider. Souvent les habitants de Hameek nos toisaient avec haine, peur, dégoût ; il faut dire que notre race, celle des gnomes, n'était pas respectée ni en Yhujal, le Petit Monde, ni en Rhulvas, le Vaste Monde. Notre petite taille était aussi sujette de moqueries.

Souvent, je voyais ma mère, assise sur une chaise, regardant par la fenêtre, les yeux brillants et l'air pensif. Elle était triste, insatisfaite de sa vie, et cela me tourmentait presque autant qu'elle.

Lorsque nous avons appris, elle et moi, qu'un terrible fléau invisible la rongeait, nous avons pleuré, très longtemps, jusqu'à ce qu'elle relève la tête, et me prenne dans ses bras, tout en me chuchotant : « Ce n'est pas grave, Ihlo, plus rien n'est grave, tout est surmontable... ». Je n'osais pas la croire.

Lorsque je souffrais, je me rendais en forêt, attrapant mon long bâton de combat au passage. On ne pouvait pas qualifier cela d'arme, à proprement parler, car seule sa pointe était aguisée, le reste était taillé dans un solide bois vert. Je me rendais dans ma clairière, mon lieu personnel, et je tailladais mon arbre, jusqu'à en avoir mal aux phalanges. Ensuite, je pleurais un peu, puis je rentrais chez moi, faisant comme si de rien était, rammenant parfois des champignons, des baies ou du petit bois pour le feu.

Je ne subissais pas beaucoup de moqueries, souvent, ce n'étaient que de simples regards haineux, hargneux, qui se voulaient offensifs mais discrets. Ces expressions avaient beaucoup d'effet sur moi, je pouvais ressentir ce mélange de dégoût et de peur que j'apercevais dans tous les autres habitants de Hameek à chaque fois que je passais près d'eux. Selon les renseignements que j'avais lus, nous, les gnomes, avions besoin d'être dominés. Il en était ainsi. Une question me torturait, et la réponse, je ne l'avais jamais trouvée : pourquoi ?

Je me rappelais encore aujourd'hui de mon passé, et ces souvenirs étaient les plus cruels qui ne m'avaient jamais assaillie. Je me souvenais des moments que j'aimais, lorsque j'étais blottie contre les seins de ma mère, et je pouvais entendre les battements de son coeur, qui me rappelaient que j'étais en sécurité. Les nuits d'orage passées en sa compagnie, blottie dans son lit douillet, l'odeur de sa délicieuse soupe de morilles, les jeux dans la clairière, les chocolats chauds après un dur travail dans la forêt, alors que les flocons tombaient drus...

Et bien sur, des moments que je haïssais du plus profond de mon être : les regards moqueurs, intimidants, méchants, haineux, les chuchotements indiscrets : « oh, regarde, une de ses saletés de gnomes... Oui, c'est la petite qui habite la chaumière du fond, celle dont la mère fait un métier d'homme... ». Même les moments passés dans ma clairière me rappelaient la douleur de ces commérages. Je détestais aussi les pâtes de fruits que me préparait ma mère, désastreuses et fades, mais ça rompt un peu l'ambiance de dire cela.

Ma pauvre mère... Elle m'a élevée seule, avec ses propres moyens, dans cette petite maison à Hameek. Je n'ai absolument aucun souvenirs de mon père. Il n'était pas près à accueillir un enfant, pas si tôt. Un gnome, lui aussi, et il était très attaché à son logis et à ce village, où lui-même avait grandit. Cela ne l'a pas empêché de s'en aller, laissan ma mère seule à son déséspoir. Il est parti vivre en Rhulvas, de l'autre côté de la frontière. Une idée trotte dans ma tête depuis la mort de ma génitrice ; et si je partais, et si je laissais le passé derrière-moi pour enfin partir vivre ma vie ? Planter l'épée, et m'enfuir vers le Vaste Monde, là où tout est merveilleux, là où je pourrais devenir une vraie guerrière ? Et, peut-être, retrouver mon père ? Si, et par les dieux je l'espère, il est encore en vie. Désormais, il est ma seule famille.

Il me faudra faire attention : les inconnus peuvent bien vite vous mépriser, s'ils voient que vous n'êtes pas comme eux. Puisque je suis une gnome, j'imagine que la vie sera encore plus dure, pour moi. Peu importe, je survivrai, comme j'ai toujours survécu. Et puis, je vous l'ai dit, ce n'est qu'une idée. Il me faut encore un peu de temps pour faire le deuil de ma mère.

Et pourtant, je le sais, il me faudra un jour partir, délaisser ces terres, voler de mes propres ailes. Rhulvas sera une bonne destination. En plus de pouvoir retrouver mon père, et si je me lançais dans ma propre vie ? Mon propre périple, ma vraie aventure, qui ferait de moi la première gnome guerrière ?

Et si je bougeais enfin les lignes ?


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