La promesse oubliée d'un meilleur lendemain

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 Le silence de la nuit répond à mon insomnie. Le bruit du vent contre ma fenêtre, le tic-tac de l'horloge et le grincement des volets comme seule compagnie. Je garde les yeux ouverts sur le monochrome de mon plafond. Les draps lourds sur ma peau me plaquent, me contraignent à la réalité. Une réalité que je préférais éviter.

Toc Toc. Quelqu'un frappa à la porte. Mon regard se tourne vers mon téléphone, m'aveuglant de sa lumière artificielle. 3h43 du matin. Qui pourrait me voir à cette heure ? Qui pourrait venir me voir ? Qui pourrait me voir ? Sûrement une hallucination auditive, cela m'arrive souvent pendant mes insomnies.

TOC TOC. Encore. Et plus fort cette fois. Merde. Je me lève. Reste sur le palier de ma chambre. Regarde la porte au bout du couloir. Ce dernier, enterré par l'obscurité semble déformé, oppressant, long... trop long.

TOC TOC.... TOC TOC ... TOC TOC. Le martèlement gagne en intensité. Étrangement régulier. Comme un cœur qui crie. Qui supplie. Qui ne demande qu'à être écouté. Je m'élance dans le couloir, résigné à chercher les réponses. Chaque pas est un écho du précédent. Je sens mon cœur s'accorder à la cadence de la porte. C'est quoi ce bordel ?!

TOC TOC. TOC TOC. TOC TOC. Le bruit, comme mon cœur, s'accélère au rythme de mon avancée. Devenant rapidement insupportable. J'empoigne la clanche. Tout s'arrête. Le silence écrasant est revenu. Juste moi, la porte et ce sentiment étrange. Qu'est-ce que je fais là ?

 Sans plus d'hésitation et lassé de réfléchir, j'ouvre. Un vent froid vient me frapper les tripes, insinuant des frissons à travers mon corps. Sur le seuil : une silhouette enfantine, floue. Bizarrement familière malgré tout.

- « Qui es-tu ? »

- « Je suis la promesse. Ta promesse. Tes promesses. Celle que tu n'as pas su tenir. »

 La voix est douce, hypnotisante, insouciante. Le silence n'a jamais été aussi bruyant.

- « Tu viens pour me juger ? »

- « Non. Tu fais ça très bien tout seul. Je suis là pour répondre aux questions que tu n'as jamais osé poser. »

- « Alors dis-moi. Dis-moi si tout cela a encore un sens. Les cris, les pleurs, la solitude, le doute, les angoisses. Pourquoi je continue ? »

- « Ce n'est pas à moi de donner un sens. Mais à toi de comprendre pourquoi tu en cherches un. »

- « Alors aide-moi ! Dis-moi si je dois encore continuer à me battre alors que je suis à bout de souffle. »

 La Promesse s'approche. Vient me prendre la main.

 - « Je suis aussi ici pour que tu puisses te rappeler ce que tu as perdu. »

 Je me laisse emporter à travers la porte. Un flash lumineux. Puis plus rien. C'est quoi cette sensation ? Le soleil sur ma peau ? Du sable sur mes pieds ? Je rouvre les yeux. Je me retrouve dehors, dans un parc, dans un bac à sable. Il y a du monde, des rires, des cris, de la joie. Un instant pourquoi tout paraît plus grand ? Ou est-ce moi qui ai rétréci ? Je regarde mes mains, sans cloque, sans cicatrice, sans passé. Ce sont les mains d'un enfant.

- « Alors que veux tu qu'on dessine maintenant trésor ? »

 Mon cœur se serre. Ma gorge se noue. Mes membres tremblent. Des larmes me montent instantanément aux yeux. Je connais cette voix. Je me retourne. doucement.

- « Ma... Maman ? »

 Je lui saute au cou en pleurant.

- « Bah alors mon chéri qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi tu pleures comme ça ? »

- « Pourquoi ? Pourquoi m'as-tu abandonné ? Pourquoi m'as tu laissé seul ! » Criais-je avec ma voix enfantine au bord des larmes.

- « Mais qu'est-ce que que tu racontes ? Je suis là. Allez, calme-toi, sèche tes larmes pleines de chagrin. »

 Après un câlin chaud qui me semble durer une éternité, elle me posa devant elle. Je la regarde, accroupie devant moi, toujours aussi belle, plus rayonnante que le soleil et son sourire... Son sourire capable d'éloigner tous les malheurs. Son sourire écartant la peur. Son sourire...

 - « Et écoute moi bien ! Si un jour je ne suis plus là sache que je serai toujours là et là. »

 Elle me pose ses deux doigts sur ma tête et mon cœur. Je souris. Elle me tend son petit doigt.

- « Alors promets-moi de garder ce magnifique sourire sur ton visage ! Sans lui le monde ne pourrait plus tourner. Et quand tout s'assombrit, pense à moi. Pense à ta promesse. Et tout ira mieux. »

 Sans un bruit, j'enlace mon petit doigt avec le sien.

- « Je te le promets maman... Je te le promets... »

 Elle me regarde, me sourit et me prend une dernière fois dans ses bras. Une douce étreinte d'une mère éteinte avant de disparaître dans une fumée de cendre et de poussière.

 Le décor s'assombrit jusqu'à m'envelopper de nouveau dans la pénombre. Je suis accroupi, de retour dans ce silence qui me semble un peu moins lourd.

 Une main se pose sur mon épaule. Je me retourne, et me retrouve devant cette entité, toujours floue, mais avec une silhouette de jeune adolescent.

- « C'était douloureux ? »

- « Oui... »

- « Et ça va un peu mieux ? »

- « Un peu, oui... »

- « Allez, relève-toi, ce n'est pas fini. »

 Je me relève. Il m'emmène devant une nouvelle porte. Elle est rouge et délabrée. Mon instinct m'implore de fuir mais ma main, elle, vient embrasser la poignée. Elle était incandescente, brûlante. Serrant les dents, je passe à travers.

- « Courage, tu en es capable" me chuchote Promesse, avant de disparaître avec la porte. »

 Rien, le silence. Je tourne autour de moi. Je reconnais cet endroit. Un frisson de terreur parcourt ma nuque. Je suis chez mon père.

 Fais chier. Vite. Direction la porte de sortie. Je la vois, au bout du couloir. C'est bon, je vais pouvoir m'échapper avant que le cauchemar ne me rattrape. Je commence à actionner la poignée. J'entrouvre la porte.

 Mes jambes sont tétanisées. J'entends un cri. À l'étage. Des pleurs. Des coups. Je sais exactement ce qu'il se passe. Je ne peux pas fuir.

 Je referme la porte. Me retourne. Et commence à monter lentement les escaliers. Les bruits s'intensifient.

 La promesse oubliée d'un meilleur lendemainon cœur se glace. Mais mon sang chauffe. Me voilà devant la porte rouge, à moitié défoncée. Un écriteau bancal marqué : "Léo"... Mon petit frère.

 Je prends une grande inspiration. J'enfonce la porte. Je me retrouve derrière cette énorme immondice vivante, le poing serré et le levé, prêt à s'abattre sur mon petit frère, recroquevillé au sol, sans défense.

 À ma taille d'adolescent, mon père est un titan. Mais qu'importe. Mon pied vient fracasser son genou, qui se plie d'une façon pas naturelle, le forçant, dans un râle de douleur, à poser un genou au sol.

- « Léo ! Cours ! »

 Il a le visage boursouflé et ensanglanté, le bras retourné et les jambes déchirées. Un sentiment monte en moi. De la haine. Une haine pure et viscérale. Une haine profonde accompagnée d'une envie de meurtre. Mais la priorité : la sécurité de mon frère.

 Sans prononcer un mot, il réussit à s'échapper par la droite, esquivant de justesse la main patriarcale qui tentait de le retenir. Il passe derrière moi. Je me retourne pour lui emboîter le pas.

 Une douleur vive à l'épaule gauche. Une patte d'ours vient s'y poser. Il resserre son emprise, ses griffes s'enfonçant dans ma chair. Une fraction de seconde plus tard, je traverse la pièce de bout en bout, m'éclatant le dos contre le mur.

- « Espèce de fils de pute. Tu crois pouvoir t'en tirer comme ça sale merde ! Je vais t'apprendre le respect . »

 Je ne réponds que par un regard rempli d'un mélange de haine, d'accusation et de dédain.

- « C'est quoi ce regard ? Tu te crois meilleur que moi c'est ça. »

 À peine ai-je le temps de me protéger, qu'une main lourde s'abat sur moi.

- « Tu crois que c'est de ma faute si ta mère est morte ?! »

 Un autre coup. Ma garde se fragilise.

- « Tu crois que je ne vous aime pas ?! Vous me prenez pour un monstre ! »

 Encore un coup. Ma garde facille.

- « Tu crois que je ne souffre pas?! »

 Suivis du même coup, mes bras n'en peuvent plus et moi non plus. Je lâche ma garde.

- « Je ne vous mérite pas c'est ça ?! »

 Alors que je vois le dernier coup m'arriver sur le visage je me répète en boucle dans ma tête : "Je te le jure père. Je te le promets. Je deviendrai fort. Bien plus fort que ce que tu ne l'as jamais été. Si je tombe, je me relèverai. Encore et encore. Et je te promets de devenir l'homme que tu rêvais d'être."

 Au loin j'entends les sirènes de pompiers et de police juste avant de me prendre une masse sur le visage me coupant violemment de ma conscience.

 Le retour au silence. Moins lourd. Moins oppressant. J’ouvre les yeux. Une nouvelle lueur les anime. Devant moi, genoux pliés pour être à ma hauteur, l’entité floue soutient mon regard. Sa silhouette ressemble à présent à un jeune adulte.

- « Tu vois. Tu l’as fait. Comment tu te sens ? »

- « Pourquoi tu me fais revivre tout ça ? Ça te fait marrer de me faire revivre mes traumas ? »

- « Non, ça me désole. Et ce qui me désole encore plus, c’est que tu m’as oublié. Et pour quoi ? Pour te morfondre ? En trahissant ce que tu avais promis… Ce que tu t’étais promis ?"

- « Ma mère est morte ! Mon père est en taule ! »

- « Et toi, tu es là. Avec moi. Acceptant de rouvrir les portes, une à une. Crois-tu que ta mère serait heureuse en te voyant comme ça ? Crois-tu que ton père verra l’homme que tu voulais devenir, en te voyant comme ça ? Et ton frère ?

 L’impact de la vérité me fait baisser les yeux.

- "Là, tu ne peux plus m’ignorer. Tu ne peux plus feindre de m’avoir oublié."

 Un vent doux vient caresser ma nuque. Je me retourne. Une nouvelle porte. Encore. Mais cette fois… Elle est accueillante. Mon instinct ne me dit pas de fuir au bout du monde. Non. Il m’invite à aller voir.

- "Tu peux te lever. Je crois que tu as une dernière promesse à faire."

 Hypnotisé par la porte, je me lève. Je m’approche au rythme de la brise.

 Il n’y avait pas de poignée. Ce n’est plus à moi de forcer l’ouverture. Il faut juste que j’ose avancer. Je la pousse. Elle s’ouvre. Sans un bruit.

 La première sensation, ce sont les bruits. Non, les sons autour de moi. Des gens qui parlent, rient. D’autres qui pleurent. Des enfants crient, de joie ou de frustration. Les oiseaux babillent. Le vent souffle. Les feuilles vrombissent. Un sentiment de vie m’envahit. Je regarde autour de moi. Je suis assis sur un banc, dans un parc.

 Le parc. Celui de mon enfance. Celui où je jouais avec ma mère, où je me cachais de mon père, et où je courais avec mon frère. Un petit sourire nostalgique vient tirer mes traits fatigués.

 Comment je me suis retrouvé là ? Ce n’est pas un souvenir. C’est… réel. Je vois au loin l’entité me regarder. Elle n’est plus floue. Elle me regarde avec un sourire. Elle me fit un signe de main pour me montrer quelque chose à ma droite. Elle disparaît. Laissant les promesses oubliées bien ancrées.

 Au loin un jeune homme s’approche de moi. Léo. Ce n’est plus un enfant. C’est un adulte et un bel homme. Contrairement à moi, il est bien habillé. Sa démarche est confiante. Son visage est lumineux et ses épaules ne sont pas affaissées par le poids de son passé.

 Je me lève. Nous sommes face à face. Deux étrangers qui se retrouvent enfin. Sans le vouloir, une larme coule sur ma joue. Je craque et le serre contre moi. Il répond en me serrant plus fort.

 Pendant quelques secondes, plus rien n'existe que cette étreinte. Pas pour oublier, mais pour se souvenir sans s'effondrer.

 Nous nous asseyons sur le banc. L’un à côté de l’autre.

- « Alors comment tu vas ? » me demande-t-il posant une main sur mon épaule

- « Ca va, ça va… Tout va bien et toi alors ? Qu’est-ce que tu as grandi ! Ça te fait quoi maintenant ? 25 – 26 ans ? »

 Il sourit.

- « Effectivement, j’ai 25 ans maintenant. J’ai grandi dans une famille d’accueil stable et aimante. J’ai fait des études d’ingénieur en mécanique et j’ai trouvé un boulot dans ce même domaine. J’ai une petite amie aussi ! Je suis sûr qu’elle te plairait ! »

 Je souris en retours. Comme si mon jugement valait encore la peine. Je suis réellement heureux et fier de ce que mon frère est devenu.

- « Moi c’est un peu plus compliqué. Mais ça va. Alors, tu es revenu vivre dans les parages ? »

 Mon faux sourire me trahit. Ses yeux s’humidifient, se remplissent de culpabilité. Un sentiment que je ne reconnais que trop bien. Il me resserra une nouvelle fois dans ses bras.

- « Je suis désolé ! Tellement désolé ! Si j’avais été plus fort… Si tu n’avais pas eu à me défendre… Si j’avais été là pour toi comme tu là été pour moi… Je suis désolé d’avoir été un fardeau »

 Surpris, je le regarde. Pendant un instant, je vis mon petit frère. Mon petit frère insouciant, émotionnel et terriblement humain. Je serre sa tête contre mon torse, une main derrière sa tête.

- « Arrête de t’excuser tête de pioche ! Tu es le meilleur petit frère qu’un grand frère puisse espérer ! Tu as toujours été la raison pour laquelle je me bats. Tu as toujours su me raccrocher à la réalité, à ce qui me restait d’humanité. Tu m’as sauvé et tu me sauves encore aujourd’hui sans même t’en rendre compte. Alors sèche-moi tes larmes. Bombe-moi ce torse. Et soit fier d’être mon frère plutôt que de te noyer dans le regret ! Promets-moi… Promets-moi de te battre pour toi comme je me suis battu, et d’être fier de ce que tu es devenu. Car moi, je le suis. »

 Une minute, c’est envolé dans le vide. Une minute semblable à un millénaire. Deux hommes. Deux frères. Deux âmes meurtries. Reprenant le contrôle de ses émotions, il essuie ses larmes et vient me taper l’épaule.

- « Tu ne peux pas t’empêcher d’être le grand frère aux mots toujours justes. »

 Il me tendit la main.

- « Je te le promets mais à une condition. Promets-moi une chose en retour : ne t’arrête jamais. Tu n’as pas besoin de courir, de sauter ou même de crier. Tu peux marcher. Tu peux boiter. Tu peux même ramper. Mais ne t’arrête jamais d’être cette personne qui n’a jamais abandonné, qui a toujours avancé. »

 Je lui empoigne la main.

- « Je te le promets »

 Heureux, il me fait une dernière accolade et repart me promettant de se revoir bientôt.

 Moi ? Je reste là. Un café Starbucks me réchauffe les mains. La brise est légère, les arbres se remettent de l’hiver et se préparent pour leur bal d’été. J’attends. J’existe sans agir. Un sentiment refoulé, oublié et surtout craint. Mais cet fois ci, j’y arrive. Sans me culpabiliser. Sans réfléchir à une myriade de pensées parasites. Je suis juste là.

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