ERUNF : Souvenir d'Audisélia

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Soixante-neuf ans plus tôt.

Cela faisait déjà cinq ans que Torn et Sawyereli avaient trouvé cette jeune fée dont s'enticherait dans un cocon de racine dans la Forêt des Oubliés, dans le royaume extérieur lors de l'une de leurs – trop nombreuses au goût de Sawyer – promenades.

La petite famille de Torn vivait en dehors du royaume dans une cavité au milieu d'un immense arbre pluri-centenaire avec un petit jardin juste au-dessous des racines de l'arbre pour que les enfants puissent s'amuser. Leur habitat était ce qui se rapprochait le plus des fées d'antan : un immense lit de feuilles, peu d'habits fait en tissus – la majorité provenant du corps des fées eux-mêmes ou fabriqués à partir des feuilles des arbres –, se nourrissant généralement que d'eau, de nectar, de miel... du moins, c'était avant l'arrivée de la fée qui ne possédait de nom, depuis ils partaient lui acheter de la viande au sein du royaume ou l'un des adultes s'en allait chasser dans la Mangrove de Nusa Lembongan pour apporter de la viande, c'était grâce à elle d'ailleurs que la famille Riseman Lindgren-Vanguard a pu goûter à la viande comme les autres fée-combattantes. Et au-delà des entraînements que subissait Sawyereli à son jeune âge, il y régnait une atmosphère particulièrement paisible, on y ressentait toute la bonne humeur des personnes résidant dans cette petite clairière. Leur nid douillet était décoré avec de magnifiques feuilles et fleurs provenant de tous les pays où s'étaient rendus Lily la Tortue-Monde, il était éclairé par des lucioles dans des pots, les meubles avaient été taillés à même le bois par les habitants de cette demeure naturelle. Et si on devait gardait un seul élément pour décrire la joie de ce lieu cela serait la pièce se trouvant à l'étage supérieur de leur nid : leur chambre à coucher. Elle ne contenait qu'un seul lit fait de feuillages avec quelques décorations florales sur les murs, mais de ce simple lit pour fées y baignait une aura si chaleureuse.

Mais malgré la petite atmosphère débonnaire de cette maisonnée suspendue au milieu du royaume extérieur se trouvait cette ombre qui ombrageait cette peinture idyllique était la présence de cette petite fée qui semblait sans vie, ses longs cheveux roux aux pointes violet foncé recouvrant son visage, laissant à peine entrevoir ses yeux étoilés éteints. Elle était un être recroquevillé dans son coin, fuyant la lumière du jour, fuyant le regard d'autrui, se déplaçant que lorsque les autres habitants quittaient la pièce ou s'évadaient de la maison pour aller se balader mélancoliquement dans les bois en ayant aucun objectif en tête jusqu'à ce que les mages décrètent la levée du jour et rallument le dôme protecteur de lumière pour annoncer la levée du jour. La matrone des lieux était obligée de la prendre à bras-le-corps pour l'emmener manger, ce qui était ironique puisqu'elle était celle qui manger le plus lors des repas...

Et au vu de l'heure, elle n'avait aucune obligation de se joindre à eux pour l'instant.

Torn et Sawyereli revinrent de leur entraînement journalier et virent la jeune fée assise dans son coin comme chaque jour, les bras le long du corps, les jambes étendues. Le père soupira.

- Audisélia, il serait peut-être temps qu'on trouve une solution...

Aucune réponse.

Alors Torn grimpa à l'étage.

Sawyer, lui, resta là. Interdit. Observant cette inconnue qui n'avait daigné dire un mot en ces quatre ans. Même si les fées appartenaient au groupe des créatures vivant le plus longtemps, ce qui faisaient qu'elles avaient un rapport radicalement distinct au temps par rapport aux êtres espèces qui peuplent notre planète, cela était quand même plutôt long comme durée de mutisme, surtout que Sawyer et son père l'avait déjà entendu parler lorsqu'ils la sortirent de son cocon.

Actuellement, si vous interrogiez Sawyer sur la raison qui l'a conduit, lui et son père, à se rendre dans cette partie reculée de la forêt, il serait bien en peine de répondre. Toutefois, il se rappellerait distinctement que son père l'avait entraîné avec lui grâce à une histoire de trésor enfoui attribué à un pirate qui aurait pris asile à Sylviana et l'aurait caché au cœur de la Forêt de l'Oubli – après tout, quel enfant aurait pu résister à la tentation d'une chasse au trésor ? Cette idée m'a rappelé les moments où j'ai tenté la même astuce avec les enfants pour accomplir mes tâches domestiques...

C'est ainsi que le père et le fils finirent par partir en quête de ce trésor perdu qui faisait briller les mirettes du jeune Sawyer. Lorsqu'ils la virent pour la première fois c'était dans une sorte de cocon de racines qui gonflait et se dégonflait au rythme des battements du cœur. Le père Vanguard essaya de trancher les racines avec une machette mais celle-ci était bien trop dure par rapport à toutes les racines qu'il a pu tailler de sa lame, alors il dit à son fils de l'attendre, il comptait revenir avec une arme capable de défaire cette boule de racine : Stellenincia.

Il activa l'épée technomagique et trancha la boule de rhizomes avec une habileté qui contribuait grandement à sa renommée, déchirant les rhizomes comme si elles n'étaient que de fragiles branches d'arbustes. Et en quelques secondes à peine, se découvrit sous leurs yeux une minuscule fée, pas plus haute que trois pommes – mais toujours beaucoup plus grande qu'une fée sylvide –, plus petite que Sawyer, aux ailes translucides et presque transparent, dépossédées de toutes couleurs, recouverte de vernix natal spécial aux fées. Son corps était fin, fébrile, comme si, au moindre mouvement, elle pouvait se briser, ses longs cheveux roux l'entouraient comme un drap dans ce lit de racines.

Torn déposa son épée au sol puis plongea les deux mains dans le cocon pour en extraire la belle enfant qui dormait à point fermé. Une fois couché sur le sol, elle ouvrit délicatement les yeux, puis releva son buste, elle se tourna vers le garçon fée qui la fixait curieusement et la fée chevalier qui avait un genou posé au sol. Ses yeux étaient mornes, sans vie, de simples trous noirs au regard inexpressif.

Soudain elle ouvrit la bouche.

« Ai-je le droit de vivre à sa place ? », les avait-elle questionnés avec une voix monotone.

Sawyer ne comprit pas où elle voulut en venir. Ce qu'elle venait de dire lui paraissait bien trop brumeux, bien trop obscur pour son jeune âge. Une véritable énigme se présentait à lui.

Il se tournait en direction de son père pour comprendre puisque lui étant un adulte, il saurait répondre à sa question. Mais lorsqu'il se tourna vers son paternel, il découvrit une expression nouvelle chez celui-ci. Lui qui d'habitude ne manifestait que quatre émotions – l'euphorie, la détermination, la gentillesse et l'arrogance – en dévoila une toute nouvelle palette : de la frustration, de la tristesse et de la colère.

Sawyer n'eut pas le temps de lui poser une seule question que la grande fée se jeta sur la nouveau-née et la prit dans ses bras, la serrant très fort. Sawyer entendit même des sanglots venant de son père. Il était complètement sans voix face à cette situation si particulière.

Une fois cette rivière passée, son père emmena la mystérieuse fille avec eux jusqu'à leur maisonnée, tout le chemin du retour se fera dans le silence complet, la fée adulte tenant la main de la fée « nouveau-née », marchant avec son fils de l'autre côté.

A leur retour, Torn expliqua à sa femme la situation dans leur jardin pour éviter que les enfants ne les entendent. Sawyer tenta de les espionner mais malgré les grandes oreilles des fées, ils ne possédaient pas l'audition accrue des elfes donc il ne pouvait qu'observer l'expression consternée de sa mère devant ce dont son père lui parlait, celui-ci semblait si gêné et honteux durant son monologue. A la fin, la mère de Sawyer croisa les bras et soupira, avant de s'envoler à toute vitesse dans leur direction, passant au-dessus de la tête de Sawyer. L'apercevant du coin de l'œil, elle s'arrêta et lui tapota la tête.

- Je t'ai déjà dit de pas écouter la conversation des adultes...

Puis reprit sa route à pied en direction de la nouvelle arrivée, elle s'agenouilla pour se mettre à sa hauteur. La fée sortie du cocon, qui avait le regard dans le vague depuis son arrivée dans leur demeure, daigna lever les yeux envers cette inconnue. La fée adulte décala les cheveux qui se dressait devant les yeux marrons de la jeune fille rousse et lui saisit les deux bras.

- Dorénavant, jeune fille, tu vivras avec nous, lui annonça la femme de Torn.

La fée nouveau-née pencha la tête sur le côté, la bouche bêtement ouverte, les yeux vides de vie, puis répéta la question qu'elle avait posé à Sawyer et son père :

- Ai-je le droit de vivre ?

La fée adulte souffla d'exaspération.

- Bien sûr ! lui répondit-elle avec assurance, toute vie, qu'elle soit bonne ou mauvaise, défectueuse ou parfaite, a le droit de vivre !

- Mais qui êtes-vous pour me l'autoriser ? lui rétorqua-t-elle avec une voix toujours aussi monotone, seule...

La mère de Sawyer l'interrompit en faisant secouer son doigt, la mine fière. Elle se releva collant ses poings contre ses hanches, elle lui dit :

- Ni moi, ni personne ne peut t'interdire de vivre. Et si tu as besoin d'une intervention, moi, Audisélia Vanguard Vikström, cheffe des Féériques Paladins Ailés de la Souveraine Combattante Féerienne... enfin ex-cheffe, soupira-t-elle puis se ragaillardit en disant, mais je reste l'une des plus grandes chevalières que ce royaume n'est jamais eu... du moins, c'était avant, désespéra-t-elle.

Et ce changement d'humeur dura un long moment. Depuis sa défection des chevaliers de Sylvania, elle n'avait cessé d'être nostalgique de son passé, et souvent elle se retrouvait à déprimer quelques secondes en parlant.

Une fois ce moment passé, elle se reprit.

- Néanmoins, ma p'tite, peu importe d'où tu viens, de qui tu tiens ce si beau visage, tu as totalement le droit de vivre. Allez, il est temps de prendre un bon bain et de t'enlever toute la... viscosité qui recouvre ton corps !

La fougueuse mère Audisélia la prit par la main, saisit par la même occasion celle de Sawyer, et les emmena tous les deux dans une rivière qui se trouvait sur le dos de la tortue monde.

Tous les trois se retrouvèrent à se baigner dans l'eau d'une rivière non loin du lieu d'habitation de la famille Vanguard. Il n'y avait nul besoin de déshabiller la jeune bourgeonnelle puisqu'elle l'était déjà. Le plus dur était de convaincre Sawyer de se baigner. Il se débattait de toutes ses forces pour ne pas finir tout nu.

- Mais qu'est-ce qu'il t'arrive, bon sang ?

- Je veux pas être tout nu ! répétait-il de façon continue.

Sa mère mit un temps fou à comprendre que c'était à cause de la présence de cette nouvelle tête qu'il ne voulait pas piquer une tête dans l'eau. Audisélia trouvait cela à la fois chou et à la fois étrange : les fées ne sont pas une espèce ayant intégré la pudicité dans leurs codes moraux alors pourquoi son fils agissait ainsi ?

Ce qu'Audisélia n'avait pas compris était qu'une étincelle venait de naître dans le cerveau sylphide de Sawyer, une étincelle qui mettrait des années à germer avant d'éclore, de fleurir et d'être déclamée à la face du monde. Pour l'heure, il avait juste honte de se montrer dans son plus simple appareil devant cette inconnue qu'il venait à peine de rencontrer.

Devant la résolution sans faille de son fils, Audisélia décida de le laisser seul – mais tout de même à portée de vue – sur la berge et de s'occuper de cette petite fille qui lui rappelait une lointaine amie. Elle se déshabilla, prit la main de la fille, toutes les deux allèrent dans l'eau, Audisélia l'installa à l'intérieur de ses cuisses, colla le dos ailé de ce petit être contre les abdos saillants de la jeune mère, et celle-ci commença à la laver. Passant sa main dans les cheveux de la bourgeonnelle d'un roux flamboyant pour les démêler et y retirer le vernix de naissance. A chaque nœud atteint et forcé par les délicats, mais robustes et marqués par d'affres combats, doigts de l'ancienne grande chevalière de Sylvania, la toute jeune fée poussait de petits cris de douleur qui n'osait franchir l'embouchure de ses lèvres, voulant maintenir ce vœu de silence qu'elle s'était imposé depuis ses premiers mots à la sortie du cocon de racine.

Si l'on omettait les petits gémissements de la nouvelle-née, seul l'écoulement du ruisseau se faisait entendre dans ce beau cadre enchanteur. Nul mot n'avait mot besoin d'être prononcé par les principaux personnages de ce tableau idyllique pour constater de la quiétude qui émanait de cette douce ambiance enchanteresse : que ça soit Sawyer qui était le plus réticent à cette baignade ou la nouvelle née qui avait l'air perdue, terrorisée et perturbée depuis sa sortie du cocon, tous les deux semblaient désormais calmés par la douce sérénade offerte par l'écoulement du ruisseau et des insectes aux alentours.

Les yeux de la jeune fée paraissaient moins sombres que lorsqu'ils l'avaient sorti de son cocon, elle semblait un peu plus revitalisée. Le plus significatif restait que ses ailes prenaient des couleurs, pas de façon importante au point qu'on identifie une couleur ou plusieurs couleurs, mais leur transparence originelle n'était plus, laissant être beaucoup plus opaque.

Chez les fées, le début de la personnalité et la prise de conscience de soi ait montré par la colorisation des ailes. A leurs simple vue, une fée ou quelqu'un connaissant le phénotype particulier des fées pourraient savoir quelle est la personnalité d'un membre de cette espèce juste en observant leurs ornements alaires sur leurs ailes. Et dans le cas de cette fée à qui on n'avait toujours pas donné de nom, ce manque de couleurs était la preuve qu'elle était comme un nouveau-né.

Sawyer restait dans son coin. Observateur de la scène. Il avait à la fois peur et était curieux vis-à-vis de cette nouvelle venue.

Lui qui n'avait jamais vu d'autres personnes hormis ses parents dans leur lieu d'habitation – car, à de rares moments, il était autorisé à accompagner ses parents ou l'un des deux à l'intérieur du royaume – découvrait pour la première fois une enfant comme lui. Cette peur de l'inconnue le mena à être méfiant à l'égard de cette bourgeonnelle – bien que cela soit mélangée à son instinct naturel qui semblait la considérait comme une potentielle menace.

Néanmoins, comme un insecte attiré par une flamme, Sawyer ne put réprimer l'émergence d'un sentiment croissant d'admiration envers sa beauté captivante.

Dans la rivière, la grande fée et la petite fée continuait à barboter dans l'eau. Audisélia avait presque fini de démêler les cheveux visqueux de la jeune fée sans nom, pendant ce temps, celle-ci observait les deux longues jambes de celle qui semblait être devenue sa tutrice. Elle y voyait inscrit diverses étranges inscriptions surmontées de quelques cicatrices. Nonchalamment, elle s'est mise à caresser ses jambes pour sentir ces marques de chair et d'encre.

- Mes souvenirs de guerre t'intéressent ? s'amusa Audisélia.

La bourgeonnelle ne lui répondit rien et continua ses caresses. Et alors qu'elle continuait sans discontinuer ses caresses, certaines des marques de la grande fée se mirent à faiblement à s'illuminer au contact de ses mains.

Des deux, seule Audisélia semblait l'avoir remarqué. Elle plissa les yeux devant ce phénomène, mais préféra ignorer cela et continuer à laver tendrement la petite fée.

- D'ailleurs, ma petite jeune fille, dit Audisélia, est-ce que tu sais comment on t'avait nommé ?

- Oui, mais je ne pense pas méritait de nom, lui rétorqua-t-elle toujours avec cette voix monotone, car il ne m'appartient pas.

- Quand un parent choisit le nom de son enfant, ce n'est en rien lié à une question de mérite, lui expliqua-t-elle, c'est plutôt une manière de charger ce prénom d'espoirs pour le futur, dans l'optique d'offrir à son enfant le meilleur des destins, sans pour autant lui imposer un fardeau immense. En tout cas, c'est ce qu'il s'est passé avec mes parents pour moi puisqu'il souhaitait que je devienne une grande cantatrice, et finalement, ayant une horrible voix, je me suis retrouvée à être une soldate dans l'armée sylvienne, rit-elle, je suppose qu'ils ont été grandement déçus, mais ils ne m'en ont jamais tenu rigueur. Même lorsqu'ils apprirent que je captais mal le mana environnant contrairement aux autres fées... C'est pour ça...

Finissant de démêler les cheveux de sa nouvelle protégée, elle l'enlaça contre elle, l'enserrant de ses biceps affirmés, ce qui fit s'afficher sur le visage de la petite fée une toute nouvelle expression : la surprise. Audisélia frotta affectueusement sa tête blonde cendrée à cette autre tête au roux flamboyant.

- ... que tu ne devrais avoir aucun remord à porter le nom qu'elle t'a choisi, conclut-elle.

La petite fée ne dit rien.

La baignade se poursuivit jusqu'à qu'ils en fussent fatiguer – « ils » car Sawyer avait tout de même fini par les rejoindre après plusieurs provocations enfantines de sa mère.

Les jours, les semaines, les mois, les années... s'écoulaient tranquillement sans aucune inquiétude de quelques sortes. Que cela vienne des premiers membres de la famille Vanguard-Vikström – raccourci pour seulement garder Vanguard – ou de la nouvelle arrivée.
La petite famille avait fini par s'habituer à la présence fantomatique de cette jeune fée taiseuse, au regard morne – mais plus aussi vitreux que lors de ces premiers jours parmi eux – et dont on discernait presque toujours aucune émotion.
Aucune étincelle de vie dans ses pupilles, aucun entrain dans ses mouvements.

Néanmoins, elle aidait beaucoup les autres ! Que ça soit dans les tâches ménagères, la cuisine, le bricolage... Elle le faisait peut-être sans un mot, souvent en étant maladroite dans ses gestes, mais elle manifestait une telle volonté d'aider à travers ses actes, d'être importante pour eux...
Comment lui en tenir rigueur ?

Alors, au lieu de l'engueuler, tous gardaient leur calme et lui montrait l'exemple avec la plus grande clémence possible comment faire – comme tout le monde devrait le faire !
Cela était relativement facile pour les deux parents qui avaient tous les deux un tempérament plutôt calme et courtois, surtout Audisélia qui était une personne assez détachée du matériel ou des actes malvenues d'autrui, ce qui comptait pour elle n'était autre que leur nature profonde – cela devait sans doute venir du fait que depuis sa tendre enfance elle était une personne extrêmement maladroite.
Toutefois, parmi les trois membres de la famille Vanguard, celui avait le plus de mal à être patient avec la fée qui refusait de porter son nom n'était autre que le jeune Sawyer.

Oh, ne vous y trompez pas ! Il ne lui criait pas dessus comme un gardien de geôles contre ses bagnards, cependant, il était manifestement très facile de voir sur son visage l'expression de son agacement quotidien. Pourtant, Sawyer était bien celui qui mettait le plus la main à la pâte pour lui apprendre les bonnes manières et les bonnes façons de se tenir en présence d'autrui. Il était celui qui passait le plus clair de son temps à lui apprendre à lire et à écrire, à son petit niveau d'enfant – et c'était durant ces exercices qu'on pouvait longuement entendre la voix de la petite fée.

Il ne le disait peut-être pas mais ses parents finirent par le remarquer : Sawyer était ravi de côtoyer une fée... Non ! Tout simplement, une enfant de son âge.

Parfois, avant l'arrivée de la bourgeonnelle, il arrivait que celui-ci demande à ses parents s'ils étaient des Grave pour qu'il soit autant mis à l'écart de la population sylvienne. Audisélia et Torn se regardaient et ensuite riaient à gorge déployée.

- Malheureusement..., débuta Audisélia.

- Plutôt « bien heureusement », rectifia Torn, je ne vois pas ce qu'il y aurait de plaisant de vivre comme ces aristos, grogna Torn.

Voilà bien un sujet sur lequel le serein et très calme Torn, héros de Sylvania, perdait son sang-froid. Je dis cela mais reste que malgré son animosité pour la sainte noblesse du Sanctuaire, il continuait à pratiquer son art de la double lame au milieu du salon, sous les yeux extatiques et curieux de son fils et le regard admiratif de sa femme qui gloussa discrètement quand celui-ci extériorisa son énervement en entendant l'admiration d'Audisélia pour la famille royale et sa cour hypocrite.

- Tu dis ça parce qu'à cause d'« eux », tu as mal vécu ton arrivée à Sylvania...

- Sérieusement, Audisélia ? l'interrogea Torn en stoppant d'un coup sec ses épées, tu dis ça comme si j'avais été le seul à avoir subi des discriminations à mon arrivée. Tous les immigrés ou refugiés venant à Sylvania le savent que les natifs sont bien mieux traités que les nouveaux arrivants alors que le royaume se décrit comme une terre d'accueil. C'est à cause de cela que la majorité des arrivants, s'ils ne sont pas fortunés, finissent dans les coins reculés de Haute-Ville ou pire dans les Basfonds comme j'ai failli y finir. Heureusement que mes aptitudes au combat et ce titre stupide de héros de Sylvania m'ont fait éviter la misère où j'aurai dû finir. Mais toi étant une native, ça, tu ne peux pas le savoir.

- Tu dis ça comme si j'étais une fille naïve tout juste sortie de l'œuf, ricana Audisélia, je suis totalement consciente des travers de mon pays, et fut un temps où j'aurai souhaité être le rouage permettant un changement radical dans notre société mais bon, je suis tombée malade, dit-elle tout sourire en levant les mains., après c'est en partie pour ça que je suis devenu paladine.

D'un seul coup, Torn se retrouva gêné et peiné devant la déclaration de sa femme. Il rangea ses épées d'entrainement dans un coin de la pièce et vint auprès de son aimée.

- Oh mais je t'ai pas dit ça pour que tu t'apitoies sur mon sort, Tornounet, l'arrêta Audisélia, je disais juste que j'étais au courant de la situation des étrangers de notre royaume...

Torn lui apposa sa main sur la tête.

- J'oublie parfois à quel point tu peux être gentille et l'immensité de la bonté de ton cœur.

Puis la caressa tendrement.

- Je sais à quel point tu aurais voulu faire plus que ce que tu as déjà accompli..., lui dit Torn.

Audisélia rougit.

Ensuite, il se tourna en direction de son fils.

- Pour en revenir à ta question, fils... Non, nous ne sommes pas des Grave. Nous habitons ici car ta mère a besoin d'énormément de repos suite une blessure qu'elle s'est faite lors d'une de nos trop nombreuses batailles...

- Et en l'honneur de mes trop nombreux exploits, on m'a offert cette bien jolie demeure ! poursuivit-elle joyeusement en soulevant son fils dans les airs, c'est pour ça que si ton vieux continue à se marrer en oubliant mes douceurs préférées, je vais l'expulser de notre demeure, tiens !

Torn eut un sursaut et grinça des dents fébrilement. Audisélia rapprocha son fils de son visage et provoqua Torn avec un regard rempli de malice.

- Est-ce que tu pensais vraiment que j'avais oublié, mon aimé ? l'interrogea sa femme.

- Euh... mais je peux tout t'expliquer ! tressauta le vaillant héros de Sylvania, en fait, la boulangerie de Juliane, celle que t'aime..., commença-t-il en se rapprochant d'elle avec une attitude quémandant la miséricorde.

- Je m'en fiche ! lui répondit-elle en lui tirant la langue.

Puis elle s'envola dans la pièce poursuivit par son mari qui lui demander son pardon et elle qui le repoussait en le provoquant avec sa langue en tirant sa paupière inférieure.

- Arrête, tu ne dois pas..., s'écria Torn.

Fort amusé par le comportement de sa mère, Sawyer se mit à l'imiter, ce qui agaça encore plus son paternel qui redoubla d'efforts pour les rattraper. Audisélia s'enfuit par la fenêtre circulaire du salon et se mit à voler au-dessus de leur maison, en raillant toujours joyeusement son mari jusqu'à que, pris de soudain vertige, ses ailes stoppèrent leurs battements et qu'elle s'évanouisse d'un seul coup. D'instinct, elle relâcha son étreinte sur Sawyer pour qu'il puisse voler de lui-même et qu'elle s'écrasait sur le sol toute seule.

- Maman ! s'écria Sawyer.

Et avant même qu'il décide de la rejoindre, avec une vitesse fulgurante, il ne fit qu'une raie de lumière se dirigea en direction de sa mère et la prendre dans ses bras.

- Audisélia..., lui chuchota Torn, Audisélia, reste avec moi... encore...

Les mots de Torn moururent dans sa bouche, incapable de les exprimer. Incapable de les imaginer.

Alors il la souleva délicatement du sol, ensuite il l'emporta jusqu'à leur chambrée.

Sawyer les rejoignit juste après, il regarda son père recouvrir sa mère avec une couverture de feuilles et lui apposer sur le front un blob d'eau, sans doute pour calmer sa fièvre. Son père le remarqua et l'enjoignit à les rejoindre. Timidement, Sawyer rentra par la fenêtre de la chambre de ses parents, posa doucement les pieds à terre et s'avança, anxieux, vers le lit de sa mère malade. Il se posa sur la couverture, fixant sa mère qui semblait vraiment souffrir le martyre. La voir dans cet état de souffrance le mettait au bord des larmes.

Torn, lui, se trouvait de l'autre côté du lit

- C'est pour cela qu'on vit ici Sawyer, bredouilla Torn désemparé par l'état de sa bien-aimée, en dehors des trois districts du royaume... Ta mère est une bonne vivante, elle ne peut pas s'empêcher d'être tout le temps joyeuse, de s'amuser, de s'éparpiller, de nouer des amitiés avec tous ceux qu'elles croisent, que ça soit au sein du royaume, dans des contrées lointaines ou sur le champ de bataille... Cette exubérance, cette disposition joyeuse et cette constante allégresse de vivre lui sont interdits à cause de ce mal qui la condamne à ce misérable état... Comme toi, elle voudrait voir et revoir ceux qu'elle aime et qui l'aiment, se balader, boire un coup ensemble... Si j'avais été plus rapide, ce jour-là..., pleura-t-il.

Doucement, une main s'approcha du visage de Torn au bord des larmes et lui saisit la bouche pour lui donner la forme d'un cul de poule et secoua son visage de gauche à droite.

- Pas besoin d'être aussi mélodramatique devant notre fils, mon bon mari, s'amusa Audisélia, ce n'est pas si grave que ça... Même si mon médecin attitré a passé l'arme à gauche, j'arrive à bien vivre malgré cette blessure. Alors arrête de pleurer.

- Mais ! se renfrogna Torn.

Audisélia resserra son étreinte sur les joues de son mari et se mit à imiter son actuel déplaisant faciès avant de le relâcher, prise une nouvelle fois de vertiges.

- Tu vois ce que je te...

Le souffle haletant, les cheveux en face des yeux, le visage luisant, Audisélia n'était définitivement pas en état de disputer avec les membres de sa famille, et pourtant, le regard qu'elle lança à Torn pour le faire se taire, montrait sa détermination à remporter ce débat contre lui. Regard qui fit même déglutir de frisson son mari – elle n'avait pas démérité son titre de chef des Paladins Féériques.

Toussotant et avec une voix amère, elle reprit le cours de la discussion :

- En la présence de notre fils, je ne vais pas revenir sur ce sujet, mais cesse avec cette culpabilité malplacée. Ce qui est passé est passé. Que ça soit la guerre, ce mal, Marrynélia...

Puis d'une voix plus douce, elle déclara :

- Tu n'as définitivement pas à te sentir coupable pour tout cela.

Ensuite, elle attrapa la tête de Torn et de Sawyer, et les colla contre sa poitrine, les enlaça tendrement.

- Rappelez-vous d'une chose mes chers garçons : je vous aime plus que quiconque ne vous ait jamais aimé, donc je n'ai aucune envie de partir maintenant. Surtout que je dois assister au mariage de mon fils.

- Quoi ? s'écria Sawyer en s'écartant de sa mère, mais comment ça ?

- Je n'ai pas mentionné la moindre intention de t'impliquer dans un mariage arrangé, gros nigaud, rit Audisélia devant l'expression désemparé de son fils, j'ai juste dit que j'avais hâte que tu me ramènes une belle et jolie belle-fille.

- Bah faudrait déjà que je puisse avoir des amis avant d'avoir une amoureuse, dit-il d'une voix boudeuse.

- Je le sais, acquiesça Audisélia, je sais qu'à force de t'isoler, tu finiras par avoir des problèmes de communication avec les autres, c'est pour ça que ton père t'emmènera plus souvent à Haute-Ville, étant donné qu'il tient tant à ce que je reste ici.

A ces mots, Torn eut le regard fuyant.

- C'est... c'est d'accord ! dit Sawyer avec détermination.

- D'accord de quoi ? demanda Torn.

- Je trouverais une amoureuse et on se mariera devant toi ! promit-il avec fermeté.

Au départ, Audisélia ne savait pas comment réagir, elle était tellement prise à revers par la réaction de son fils. Elle s'attendait simplement à ce qu'il soit gêné par la chose, comme tous les garçons de son âge, mais finalement il avait hérité du premier degré de son père et de l'esprit de défi de sa mère.

- Alors prends soin de toi en attendant ce jour, maman !

Audisélia lui sourit et lui dit :

- C'est d'accord. J'attends ce jour avec impatience.

Cependant, en dépit de ses paroles fermes et déterminées, Sawyer n'a pas entrepris activement de recherche sur sa future fiancée. Ce qui est normal étant donné son âge, il n'y avait même pas lieu d'imaginer que sa mère ait vraiment pris au sérieux les paroles de son fils. Mais elle comptait, avec toute la volonté du monde, tenir la promesse faite à son fils.

Et cela fut avec l'arrivée de cette jeune fille, sortie de nulle part, qu'elle se mit à s'imaginer qu'elle pourrait devenir son amie, et ensuite celle qui la rendrait heureuse. Néanmoins, elle ne comptait pas s'immiscer dans la vie relationnelle de son enfant, surtout à un aussi jeune âge, même si elle avait entendu dire que des mères s'empressaient de dire que leurs enfants allaient bien ensemble dès qu'il tallait le bout de gras ensemble.
Elle ne tenait vraiment pas à ressembler à ce genre de femmes, cela l'horripilait juste déjà juste d'imaginer une telle chose.

Alors elle les regardait simplement s'amuser ensemble, enfin elle observait Sawyer tentait d'amadouer cette coquille vide qui ne réagissait presque pas à ses provocations ou insultes, au point où c'était elle qui devait faire des rappels à l'ordre.

Malheureusement, un jour comme un autre les rôles se sont inversés de façon dramatique.

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