Prologue
Cet après-midi, un canot invisible volait au-dessus de la ville, laissant une traînée de poussière magique sur son passage, sans que personne ne le remarque. Il y a quelques semaines le capitaine reçut un message de détresse provenant de la terre, le premier jamais envoyé depuis ce monde déconseillé aux voyageurs de son genre. Le canot continuait son chemin vers l'origine du signal et descendait dangereusement près des immeubles miteux.
Les cris d'une femme s'échappaient par la fenêtre grande ouverte du dernier immeuble, situé au bout de la rue, juste à côté des poubelles qui traînaient sur le trottoir. Les cris résonnaient par dessus les passants dans la rue presque silencieuse. Aucun d'eux n'affichait le moindre signe d'inquiétude, pas même le chat roux qui sillonnait les rues à la recherche de restes de nourriture. Tout le voisinage connaissait la vie de madame Alexander et ses problèmes d'alcool. Tous les soirs ils avaient le droit à ses crises, au point qu'il leur paraissait étrange si l'ambiance au cinquième étage était calme.
Cette journée là ne différait en rien des autres, sauf pour le capitaine à la recherche du signal et pour Jane, qui manifestait désespérément de l'aide et qui allait quitter cette vie dans quelques heures.
Jane Alexander était étalée sur son lit presque inerte, entourée des emballages vides des cochonneries dont elle se nourrissait habituellement en l'absence de repas. Seule la télé éclairait la pièce sombre mais le son ne couvrait pas assez les cris de sa mère dans la pièce voisine. Elle était seule dans sa chambre, avec la fenêtre et les rideaux fermés. La pièce puait la sueur et la nourriture accumulés depuis des mois, mais elle était habituée à ces odeurs. Partout il y 'avait des déchets, des vêtements et des assiettes sales, on trouvait même des couverts et des serviettes hygiéniques usées en dessous du lit.
Les yeux vitreux de Jane regardaient le plafond dans le noir. Son esprit était en proie à un dilemme qui la tourmentait depuis un certain temps déjà. Une larme de fatigue s'écoula de son œil jusqu'à son oreille, une sensation qu'elle trouvait désagréable, cependant elle était d'humeur trop fainéante pour l'essuyer. Elle s'en voulait de manquer de courage pour faire un geste aussi simple pour mettre un terme ses souffrances. Il n'y avait que quelques pas entre sa chambre et la salle de bain, pourtant cette distance lui paraissait insurmontable. Même toute la volonté du monde ne saurait faire bouger sa carcasse toute dégourdie et fatiguée. Comme si une force maléfique la retenait prisonnière de son propre corps. Elle était là étalée sur sa couverture en désordre, à manifester une échappatoire.
Jane ne se doutait pas qu'un canot invisible volant rôdait au dessus de son immeuble, ni qu'elle cohabitait avec une créature malveillante depuis de nombreux mois.
Le silence dans l'appartement attira son attention. Puis un cri chargé de frustration retentit, suivi de pleurs qui trahissaient l'ivresse d'une femme alcoolique à la ramasse. Sa mère faisait à nouveau une crise, et recommençait à se plaindre de ses problèmes sans se soucier de sa voix qui portait jusqu'à la rue. Le stress regagna Jane et une boule se forma dans son ventre, comme c'est souvent le cas lorsqu'elle assistait à cette scène.
Elle prit conscience de sa réalité et de la crasse qui l'entourait. Affolée, elle bondit de son lit, d'un geste brusque, elle saisit son téléphone sur la commode puis s'enfouit sous la couverture. Au même moment, une ombre noire qui obscurcissait le plafond traversa les murs avant de se faufiler en dessous du lit. Les cris continuaient de plus belle et on entendit l'éclat du verre sur le sol. Jane était recroquevillée sous sa couette à défiler l'écran du téléphone. Elle voulait s'évader loin et maintenant mais à la place, elle s'assoupit.
Plus tard dans la soirée, quand Mme Alexander s'endormit assise, complètement torchée, la tête sur la table où traînaient des canettes de bières, sa fille se réveilla au même instant. Jane était décidée : aujourd'hui était le dernier. Elle avait atteint les limites qu'elle pouvait supporter et il n'y avait d'autre échappatoire de l'enfer où elle vivait. Elle était si vide d'énergie et de vie qu'elle avait abandonné son corps à la dépression. Son hygiène était à l'image de sa chambre. Sa dernière douche remontait à deux semaines, et elle ne pouvait partir dans cet état. Jane prit son courage à deux mains et se leva avec toute la peine du monde de son lit.
Le couloir était vide. Elle entendait sa mèreronfler derrière la porte de la cuisine. Le miroir de la salle de bainlui renvoyait le reflet d'une fille misérable. Elle ouvrit la bouche pourinspecter l'état de ses dents : elle n'allait jamais les récupérer, pas mêmeavec les meilleurs dentifrices de la terre. Ses vêtements, qu'elle portaitdepuis des jours, collaient sur sa peau. Le jet d'eau sur son corps la fit d'abordtressailli, mais elle trouva la sensation moins désagréable par la suite. Dansune période de sa vie qui lui semblait lointaine, la perspective d'une une douche chaude aurait été parfaite pour lui remonter la morale mais aujourd'hui elle lui paraissait agressive. La sueur et la crasse couvrait son corps et il y'avait des nœuds partout dans ses cheveux.
Lorsqu'elle quitta la salle de bain, sa propreté contrastait avec la saleté de sa chambre et l'odeur du gel douche se mêlait à la puanteur de la pièce. Dans une lettre qu'elle posa sur la table, elle écrivit ses derniers mots au stylo rouge. Elle saisit la corde qu'une ombre lui tendit sans qu'elle ne s'en aperçoive, et l'installa sur un crochet du plafond à l'aide d'une chaise. Si on lui avait révélé que cinq ans auparavant, qu'elle utiliserait ce crochet, installé dans l'espoir d'y suspendre des décorations, pour mettre fin à sa misère, elle ne l'aurait jamais cru. Mais avec le temps les rêves comme l'espoir s'engouffrent dans ce trou à rat sans fond. Aujourd'hui elle n'était qu'une ombre de son passé. Une ombre aussi sombre que celle qui se faufilait derrière elle pour se coller à son dos.
Le vent siffla étrangement fort contre les rideaux fermés pour un mois d'été. Le regard de Jane balaya la pièce faiblement éclairée par l'écran de la télévision muette, et des souvenirs qu'elle voulait oublier resurgirent dans sa mémoire. Elle se demandait comment un humain normal pouvait vivre dans une telle porcherie. Elle se sentait pitoyable, honteuse et abandonnée. Cela faisait des mois qu'elle était enfermée dans le noir et la solitude pour fuir ses problèmes. Aucun de ceux qui prétendaient être ses amis n'avait pris la peine de la contacter ou la sortir de ce trou, pas même la personne qui était censée lui servir de parent. Le sentiment de la trahison l'envahit et la colère la saisit.
L'ombre derrière elle grossissait dangereusement. Les yeux de Jane fixaient les emballages vides de gâteaux et des cannettes de soda. Elle pensait que ces délices étaient les seules choses qu'elle regretterait dans ce monde, puis elle prit conscience qu'ils ne pourraient lui manquer : l'envie et le manque n'existaient pas après la vie. Elle regarda la pièce une dernière fois pour se donner du courage, puis monta sur la chaise en dessous de la corde. Rien ne la retenait ici, l'existence devenait trop douloureuse. Son visage devant le grand nœud suspendu, elle hésitait le temps d'un instant qui lui sembla une éternité. Les poils se hérissèrent sur sa peau au contact de la corde, nouée à son cou, et un frisson parcourut son échine.
Nul ne savait si elle tremblait à cause de ce qu'elle s'apprêtait à faire ou bien à cause de l'ombre, désormais encore plus noire et opaque, qui encerclait son corps. Toujours est-il qu'elle ne semblait rien remarquer d'étrange et que rien sur terre ne pouvait lui faire changer d'avis.
- Vas-y, saute.
Des murmures tendres comme ceux d'une mère chuchotaient à son oreille.
- Déploie tes ailes et envole toi, loin des regrets et des blessures.
Son cerveau ne réfléchissait plus. Son regard flou, la peur terrassait son ventre et son cœur battait à la chamade. Elle était prête à sauter. Un fracas retentit et une lumière aveuglante jaillit dans la chambre.
- Arrêtez vous! Ordonna la voix d'un homme inconnu.
- Saute, maintenant, pressa l'ombre.
Jane se figea dans un état de transe. Sans comprendre comment, elle sentit son corps poussé dans le vide contre sa volonté et plongé dans une chute. Son cou se balança dans la corde et ensuite, c'était le noir.
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Merci d'avoir lu ce prologue. il s'agit de ma première histoire publiée sur Scribay et j'aimerais bien avoir vos retours... Si vous avez des conseils ou des critiques à me donner pour m'améliorer n'hésitez pas.
A bientôt.

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