Pourtant me voilà, posé sur une pile de cartons humides, entre un grille-pain cassé et un vieux nounours sans œil. La déchèterie ne sent pas la fin du monde, elle sent l’oubli. Et moi, je suis oublié. 
J’ai été lu. Par des mains tremblantes, des doigts tachés d’encre et des enfants qui ne savaient pas encore lire. 
J’ai voyagé. Dans un sac à dos en Mongolie j’ai eu froid, dans une valise trop pleine à Naples j’étais à l’étroit, dans les bras d’un homme qui pleurait à l’aéroport de Montréal j’ai été bousculé. 
J’ai été un refuge. Pour une personne en deuil qui cherchait à arrêter sa douleur. Pour un adolescent qui se sentait seul. Pour un vieux monsieur qui n’avait plus personne à qui parler. 
J’ai été prêté, volé, retrouvé, brûlé par le soleil, griffé par des stylos, oublié sous la pluie. 
Et puis un jour, on m’a posé sur un trottoir. Sans un mot. Sans un regard. 
Je ne suis pas en colère. Je suis triste. Triste d’avoir tant donné, sans qu’on me dise au revoir. 
Mais si quelqu’un me trouve, là, entre les déchets, qu’il me lise. Même une page. Même un mot. Car je ne veux pas être oublié.
Sayari