V
Des éclats de voix troublaient la quiétude des prairies gelées. Joohass contemplait les deux mercenaires qui l’accompagnaient dans sa besogne. Ces derniers se disputaient, comme à leur habitude, sur les directives de leur mission actuelle. D’ordinaire, il préférait s’occuper seuls des garnements à faire disparaître, cependant leurs employeurs s’étaient montrés formel. Il tourna la tête pour s’assurer que la gamine les suivait toujours. Les mains liées, le visage tuméfié, le corps portant encore les traces de son passage à tabac, elle avançait, le regard rivé sur le sol neigeux.
— A-t-on vraiment besoin d’aller à j’encule-le-monde pour se débarrasser d’une bâtarde ? S’écria la seule femme de la bande, une main grippée sur sa dague.
— Oh ferme-là, putain de bas étage, faut changer de disque-là ! On aurait pu l’abandonner dès l’entrée mais à cause de cette brume de merde, on ne peut pas ! Alors ferme ta putain de gueule, salope sans queue ! hurla l’autre mercenaire, un homme à la barbe mal rasé qui avait l’habitude de faire fuir la gente féminine sans même s’en rendre compte.
— Qu’est-ce qu’il a, la pute à queue ? T’as oublié de sucer Rashel avant de venir ou quoi ? J’exprime mon avis !
— Ton avis, on s’en cogne. Pas vrai, Joohass ?
— Laissez-moi en dehors de vos querelles d’amoureux.
Joohass aperçut l’un des fameux cerfs argentés les contempler. Selon Animaux à travers le monde, ils étaient réputés pour leurs intelligences et leur capacité à se dissimuler dans les environnements froids. Il fronça les sourcils. Il lui manquait une information. Importante. Il observa l’animal s’avancer pas à pas dans leur direction. Inconscient, Joohass porta une main à son arme. Il baissa les yeux. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Les voix de ses acolytes se noyaient ; il ne les entendait plus, son cœur battait la chamade. Un souvenir jaillit dans sa tête. Un enfant, lui, supposait-il, à l’école des charognards apprenant la liste des animaux les plus dangereux. Un cri perça l’air. L’homme releva la tête juste à temps pour voir un troupe de cerfs parcourant à très grande vitesse la distance qui les séparait.
Soudainement, la brume se fit plus épaisse. Il amena la gamine à lui en lui intimant de se taire. Les mercenaires le joignirent, silencieux. Des silhouettes menaçantes surgirent de nulle part. Quelque chose se jeta sur la femme du groupe. De longues dents s’enfoncèrent dans son cou. La créature se déchaîna pendant quelques secondes sur sa victime avant de la lâcher. Joohass n’eut guère le temps de réagir ; une autre heurtait violemment l’autre homme par terre. Une flèche se planta sur l’emplacement du sexe de son congénère lui arrachant un hurlement de douleur. Un rire retentit. Joohass sût alors que les cerfs n’étaient pas seuls. Il dégaina son arme. Il refusait de mourir sans se battre.
L’enfant qu’il était censé se débarrasser se volatilisa dans la brume sans même qu’il s’en rendre compte. Des flèches enflammés manquèrent de le toucher. Il se réjouit d’abord qu’ils ne sachent pas viser pis il réalisa avec horreur dans quelle panade il se trouvait. Un cercle runique s’était formé autour de lui. Un couteau fusa. Il le para. Un autre jaillit. Il manqua de mourir. Joohass chercha désespéramment une sortie. Hélas, il n’avait pas été bon aux runes.
Pauvre petit, petit, petit homme
te voilà, voilà, voilà emprisonné
qui sait, sait, sait
ce qui t’arriva !
Des voix chantonnaient. Elles sonnaient enfantines. Joohass sentit sa gorge se contracter jusqu’à qu’il n’eut plus d’air. Il porta ses mains à son cou. Une silhouette immense jaillit dans son champ de vision, et soudainement il eut la certitude que ce fut la Dame de la Brume Froide. Celle-ci lui adressa un sourire prédateur avant de lever le bras.
Une gueule ensanglantée lui arracha la tête.

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