XIV
Des poux grouillaient dans sa barbe. Goyahlo tentait de les retirer à l’aide d’un peigne tous les jours mais ces bestioles revenaient encore et encore. Penché au-dessus d’un lac, il essayait de s’apercevoir dans le reflet de l’eau. Sa main plongea dans sa poche droite de son manteau et retira son contenu petit à petit. Une carte roulé en boule. Un pinceau magique. Un sandwich pourri. Un bracelet orné d’un diamant brut. Une collection de dents. Une autre de pouces. Goyahlo fronça les sourcils. Il fouilla son autre poche. Une montre cassé à trois cadrans. De la viande séchée dans un morceau de papier. Un couteau. Content, il saisit ce dernier et commença à tailler sa barbe. Le craquement soudain d’une branche qui se brise le fit sursauter. Il se blessa sans le vouloir.
Goyahlo scanna son environnement. Pas une âme dans cette brume épaisse. Il regrettait d’avoir quitté la bande avec qui il avait voyageait dans les montagnes de Morh. Même si celle-ci avait tendance à lui volé ses trouivailles sur le prétexque plutôt étrange du « partage », elle l’avait toujours protégé. Il avait entendu de nombreuses rumeurs sur la Brume Froide. Pour lui, tout n’était que foutaise. Goyahlo retourna à sa barbe. D’un geste rageur, il la coupa. Avec l’eau du lac, il se lava le visage, soulagé de ne plus sentir les bestioles le dévorer. Il posa une main sur ses cheveux gras et sales, eux-aussi étaient un nid à poux. Sans délicatesse, l’homme se sépara de sa chevelure maudissant les petites bêtes. La dernière fois qu’il s’était retrouvé chauve, c’était son père qui l’avait rasé de force après l’avoir mis une dérouillé.
— Qu’est-ce que t’attends pour retourner travailler, tête de con ? rugit une voix familière.
Perplexe, Goyahlo se retourna. Il blêmit. Que faisait son père au beau milieu de la Brume Froide ? Il se dressait devant lui tel le fermier imposant qu’il avait été durant sa jeunesse. Une coiffe ridicule au sommet de son crâne lisse, un vieux tee-shirt jaunâtre teinté de rouge sur le haut du corps, seulement une serviette en guise de pantalon. La dernière image que Goyahlo avait eu de lui.
— Regarde-moi quand je te parle ! Alors, comme ça, t’as fini bandit… Un pouilleux sans cervelle qui préfère s’en prendre aux honnêtes travailleurs… Hein, t’es sûr que tu devrais être en vie ? continua son paternel en s’approchant de lui.
Goyahlo ne répondit pas. Il recula.
— T’es autant un incapable que ta putrelle de mère, hein ? Ta sœur t’a offert le logis et le couvert. Et comment l’as-tu remercié ? En dépouillant ses affaires avec ta bande de putains ? Des hommes à qui on devrait couper les couilles et leur faire avaler leurs conneries !
Était-ce une illusion de la Brume Froide ? Goyahlo tenta de se concentrer. En vain. Il ne pouvait pas détacher ses yeux de la figure rugissante de son père. Celui-ci ressortait chacun de ses souvenirs, en particulier les situations les abjectes qu’il avait causé.
— Tu sais ce que tes copains ont fait à ta sœur, hein ? Ouais, je le vois bien à ta cervelle rouillée. Ça n’a jamais pu te quitter, couille molle. La culpabilité. Pas faute de ne pas de l’avoir enseigné maintes et maintes fois. T’es devenu muet depuis je suis mort ou quoi ? Ou alors, tu sais pas te défendre ! (Puis, il prit un ton moqueur) Il faut que tes petites putes de bandits te protégent des grands méchants loups, hein ? T’aimes aussi prendre leurs bites dans ton cul aussi ?
Goyahlo rougit de rage. Il ouvrit sa bouche. Son père sourit, soudainement à quelques centimètres de son visage. Sa main froide saisit sa gorge. L’autre le sonna avec un coup de poing.
— J’imagine que tu lui as jamais dit, hein ? Regarde-moi !
Les iris de son père grandissaient à vue d’œil. Un noir profond dévorait le blanc de ses yeux. Goyahlo sentit son estomac se contracter. Était-ce sa punition pour avoir tant fait de petites erreurs ?
— Des petites erreurs ? rugit l’autre homme en le secouant comme un pommier. Ça fait longtemps que personne t’a filé une dérouillée, chiffe molle.
Goyahlo fut projeté sur le sol. Le corps affreusement lourd de géniteur le maintint dans la boue. Une odeur nauséabonde atteignit ses narines. Comme celle d’un cadavre en décomposition. Il leva son regard et eut un hoquet d’horreur.
— T’es complètement dépravé, fils de pute. Ha ! Drôle, hein ? Littéral ! Aussi déjanté que ta mère. Violer des cadavres. T’es tombé encore plus bas qu’elle !
— Tu l’as tué ! Cria finalement Goyahlo, s’accrochant aux souvenirs avec sa mère.
— Tch, évidemment que non. Cette putrelle se croyait tout permis. Elle a tué ma femme et a failli tué ma fille. J’aurais pu te jeter, hein, dans la putain de rivière ! T’aurais servi de nourriture aux poissons mangeurs de chair.
— Menteur !
— C’est la vérité. Mais tu t’en fous de la vérité, petite merde ? J’ai honte que tu sois mon fils.
La dernière phrase était comme un coup de massue. Goyahlo se tut. Son père commença à le tabasser, comme durant sa jeunesse quand des voisins l’attraper en train de voler ou battre quelqu’un. Un coup de pied dans l’entrejambe. Un deuxième dans l’estomac. Et le bandit arrêta de compter, comme à son habitude quand il se faisait coincer par d’autres marginaux. S’il fermait les yeux, tout s’arrêterait rapidement.
Le silence revint. Hébété, il ouvrit ses paupières. Son père avait disparu. Il laissa échapper un soupir de soulagemment. Goyahlo fut surpris par une subite démangeaison. Il savait immédiatement ce que c’était. Des poux. Partout. Des vers. Partout. Par milliers, ils grouillaient sur chaque parcelle de sa peau et se délectaient de celle-ci. Il voulut crier mais aucun son ne sortit.
Quelqu’un surgit dans son champ de vision au-dessus de lui. Goyahlo ne distinguait pas vraiment le nouveau venu. C’était comme si un autre monstre venait le hanter. Une créature qui se promenait avec une hâche. Il tenta de se défaire des bestioles. Cela les encouragea seulement à s’enfoncer dans sa chair.
— Je pensais te chasser plus longtemps. Mais tu es tombé dans le piège de la brume. Te donner la mort maintenant serait injuste considérant tous les crimes que tu as fait, chuchota la voix caverneuse de la créature. Goyahlo, te crois-tu sacré avec un nom pareil ? Une merde dans ton genre se doit d’être nommé ainsi.
Un pied s’abattit avec violence sur son entrejambe.
— Je suis le Chasseur, se présenta son bourreau. Bienvenue en Enfer, Gopehlo.

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