IV
Sa vision était trouble. Nitsugua pleurait à chaude larme, le dos plaqué contre une porte. Sa main maladroitement enroulée avec des lamelles de tissus continuait de saigner. Il entendait le son tonitruant des sabots qui battaient la terre. Il imaginait le troupeau de centaures surgir en face de lui dans la pitoyable bâtisse dans laquelle il s’était réfugiée. Pouvait-elle tenir face à la force surhumaine de ces individus ? Son esprit divaguait et le plongeait peu à peu dans un cauchemar dont il n’arrivait pas à se défaire. Il se voyait être piétiné à mort ou encore roué de coup sous les rires moqueurs, recevant de cruels commentaires. D’une certaine manière, ses parents apparaissaient, leurs silhouettes immenses et sinistres. Leurs paroles si familières résonnaient dans son crâne, le martelaient jusqu’au sang. Nitsugua porta les mains à son cou, maudissant sa famille. Ces jours-ci, dans l’horreur de la Brume Froide, c’était comme si les secrets familiaux se dévoilaient à lui les uns après les autres. Une perpétuelle punition.
Il regrettait le stupide pari qu’il avait entrepris pour impressionner ses amis. Des copains qui, sans doute, s’inquiétaient de son absence. Nitsugua doutait fort d’être sauvé de cet enfer. Le sien. Ma faute, se répétait-il dans sa tête, dorénavant habitué à son incapacité de parler.
Nitsugua finit par sécher ses larmes. Les joues rouges, il inspecta son environnement. Des champignons pourrissaient les murs. Des fleurs mortes peuplaient des vases vidées de toute eau. En allant dans une pièce adjacente, il eut le haut le cœur quand ses yeux se posèrent sur le cadavre en décomposition d’un homme étalé sur une table en bois. Des mouches, avides de chair, tournaient autour. Des vers grouillaient de toute part. Le visage du mort, figé, se tordait dans la souffrance éternelle. Le cœur battant, il recula précipitamment. Son cri résonna. Sec et vif. L’adolescent s’écroula par terre. Sa cheville gauche lui faisait mal depuis quelques heures. Depuis sa malheureuse rencontre avec un piège. Des brigands l’avaient dépouillé de ses maigres affaires.
Quelqu’un surgit dans son dos. Une main s’abattit sur sa bouche. Un bras le maintint au sol. Épuisé, Nitsugua ne résista pas.
— On t’a jamais dis de ne pas déranger les morts, gamin ? gronda une voix caverneuse. T’es en mauvais état, toi. Ben, tu réponds pas ? Attends… Ouais, j’avais zappé l’info que Der’ih m’avait donné.
Nitsugua gémit. L’individu le lâcha temporairement. L’adolescent se retrouva en face d’un homme très robuste, doté d’une barbe entretenue. Ses yeux reflétaient quelque chose de troublant. Leur couleur, exceptionnelle, le fascinait. Le garçon ravala un cri quand son interlocuteur lui saisit le menton d’un geste brusque.
— J’crois que je vais te garder. Du moins, jusqu’à que la Dame décide de ton sort. (Il examina ses blessures) La Brume Froide est un refuge pour beaucoup cependant elle reste dangereuse pour ceux de passage, t’as capté ? T’es sous ma protection, maintenant. Pigé ?
L’adolescent acquiesça. L’homme lui adressa un sourire narquois. Il lui saisit les épaules et le balança sur les siennes sans ménagement. Nitsugua hissa de douleur.
— Désolé, louveteau. Au fait, je suis Fain i rir.
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