Rémanence 00

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Un silence sans fond enveloppe un lieu que nul esprit ne saurait définir. Ce n'est ni un rêve, ni un souvenir, ni même une illusion. C'est un entre-deux, un souffle figé entre deux battements de cœur. Le sol, d'une herbe trop parfaite pour être naturelle, s'étend jusqu'aux pieds d'un gigantesque mur métallique en hexagone, sombre et dépourvu de jointures visibles à l'œil nue.

Ce mur ne laisse ni entrer ni sortir quoi que ce soit. Il n'est ni oppressant, ni protecteur. Il est simplement...???!!!!?????!!!??!.

Dans cette enceinte close, baignée d'une brume légère presque douce et des halos de lumière indéfinissables, se dresse un arbre. Solitaire, ses racines ne semblent pas ancrées dans la terre, mais suspendues dans le néant. Une unique pomme y pend, encerclée par des filaments noirs qui flottent en apesanteur..

Au pied de l'arbre, une table de métal brut, polie par le temps. Une femme est assise là, droite, silencieuse. Cheveux blonds, tombant en cascades soyeuses. Une robe de cuir bleu lazurite qui s'accorde avec le miroitement étrange de l'air. Ses yeux, d'un bleu minéral presque surnaturel, fixent un livre gris qu'elle lit depuis un temps indéterminé.

Chaque page qu'elle tourne fait vibrer subtilement l'air autour d'elle. Ce n'est pas un livre ordinaire. Les écritures y dansent, se transforment, révèlent. Son regard s'attarde sur un passage.

Son visage se fige. Une mèche tombe devant ses yeux, l'ignorant, lentement, elle referme le livre, le pose avec une délicatesse presque funèbre sur la table.

Elle se lève doucement.

Puis elle parle, sans se retourner.

— Il était une fois un homme...

Elle démarre le récit d'une voix calme, presque religieuse.

— Cet homme vivait loin de tout. Il aimait. Il était aimé. Un enfant, une compagne, une vie simple. Et puis, la guerre a parlé. Les drapeaux se sont levés. Les écrans ont changé. L'appel au devoir a brisé la paix. On lui a pris ce qu'il avait de plus précieux.

— On l'a appelé à servir. Il a accepté. Pas parce qu'il y croyait, mais parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Et alors, il a vu. L'horreur. Les Mad-0. Les exécutions. Les amis trahis. Les anomalies.

— Il a vu la brume. Celle que nul ne comprend. Il a vu la terre saigner, l'air s'empoisonner, les vivants devenir autre chose. Il a survécu. Mais à quel prix ?

Elle avance lentement vers l'arbre, ses pas évitant les lueurs qui glissent sur le sol.

— Il a erré. Station, route, rêve, délire. Il a vécu 1000 morts, dont aucune ne lui a apporté la paix. Chaque ville, chaque zone était une nouvelle prison. Les IA déraient. Les visages changeaient. Les souvenirs devenaient ses véritables ennemis.

— Jusqu'à ce qu'il arrive dans cette cage. Une cage grise. Une ville faussement vivante. Une dictature maquillée. Il l'a rencontré le regard de l'autoritarisme, puis la vérité d'un interrogatoire. On lui a dit ce qu'il était. Un monstre. Un outil. Un traître. Un homme sans valeur. Un être bon à jeter comme un vulgaire déchet.

— Il a réfuté. Il a dû fuir.Encore et encore, tombant plus bas. Jusqu'à voir son propre reflet se changer. Jusqu'à confondre la mort avec le réveil.

Elle touche l'arbre. Légèrement. Puis fixe la pomme, d'un regard presque sinistre.

— Toute chute mène à un point d'origine. Le centre. Là où les histoires ne sont plus des récits, mais des graines.

— Alors, la brume frémit ? Quelque chose respire au-delà du mur.. Pas une voix, pas un pas, mais une présence. Elle n'est pas encore là... Mais elle s'approche. Inévitablement...

Une naissance impie, sculptée dans le métal et la chair, portant en son regard l'éclat du Néant.

Derriere elle, Clayd se tient. Il tremble terriblement. Il est là depuis le début. Il n'a jamais été loin. Il était juste en retard sur sa propre histoire.

La femme, toujours sans le regarder, cueille la pomme.

Elle murmure une langue étrange.

Q⸮u⸮a⸮n⸮d⸮ l⸮a⸮ Br⸮um⸮e⸮ au⸮r⸮a⸮ t⸮ou⸮t⸮ av⸮al⸮é⸮, c⸮e⸮ n⸮e⸮ s⸮er⸮a⸮ p⸮as⸮ l⸮a⸮ f⸮in⸮ m⸮ai⸮s⸮ l⸮a⸮ r⸮év⸮él⸮a⸮ti⸮o⸮n⸮ : q⸮u⸮e⸮ l'⸮h⸮om⸮m⸮e⸮ n'⸮a⸮ j⸮am⸮a⸮is⸮ é⸮té⸮ l⸮ibr⸮e⸮, q⸮u⸮e⸮ s⸮es⸮ d⸮ie⸮ux⸮ n⸮e⸮ f⸮ur⸮en⸮t⸮ q⸮u⸮e⸮ s⸮es⸮ ch⸮aî⸮ne⸮s⸮, e⸮t⸮ q⸮u'⸮en⸮ l⸮is⸮an⸮t⸮ c⸮es⸮ m⸮ot⸮s⸮ t⸮u⸮ c⸮om⸮pr⸮en⸮ds⸮ q⸮u'⸮il⸮s⸮ n⸮e⸮ t'⸮on⸮t⸮ p⸮as⸮ é⸮té⸮ d⸮on⸮né⸮s, i⸮ls⸮ t'⸮at⸮ten⸮da⸮ie⸮nt⸮, d⸮ep⸮ui⸮s⸮ t⸮ou⸮jo⸮ur⸮s⸮, p⸮ou⸮r⸮ t⸮e⸮ r⸮ap⸮pe⸮le⸮r⸮ q⸮u⸮e⸮ t⸮on⸮ r⸮ôl⸮e⸮ n'⸮es⸮t⸮ p⸮as⸮ d⸮e⸮ v⸮iv⸮re⸮ m⸮ai⸮s⸮ d⸮e⸮ ch⸮ut⸮er⸮.

Clayd reste complètement paralysé sans comprendre les propos que cette femme est en train de prononcé, comme si une voix était par-dessus la sienne.

Elle se retourne enfin, et le regarde.



Bienvenue dans le Jardin de Néoès.


Un homme sort de l'ombre de l'arbre. Grand, manteau gris, pas lents. Il s'incline devant elle.

— Et voici le Gardien du Jardin... Erevane.

Clayd, bouche ouverte, yeux écarquillés, voit autour de lui des gouttes de sang noir s'élever dans le ciel.

Il recule d'un pas. Les deux genoux tombent lourdement sur le sol. Puis il murmure, d'une voix ou même son âme est déchiré.

— Non... Comment est-ce possible ?..



Fin du Premier Acte.

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