Chapitre 1-partie 2

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Aux alentours de midi, Kate, qui avait regagné sa chambre, fut tiraillée par la faim.

D'ordinaire, elle restait dans sa cabine, et on lui apportait ses repas.

Au moment de l'achat du billet, il était possible de choisir si on souhaitait manger au wagon restaurant ou se faire servir directement dans sa cabine. Cette option était bien évidemment négligée par la plupart des passagers, toujours plus avides de se montrer. Ceux qui lui avaient acheté son billet la connaissaient apparemment assez pour savoir qu'il n’en était rien pour elle.

Cependant, ce jour-là, la jeune fille fut tentée d'aller manger avec les autres passagers. Oui, elle pouvait risquer gros, mais, se dit-elle, ne serait-il pas idiot de ne pas profiter un peu plus de ce train ? Ce n'est pas tous les jours que l'on voyage dans un tel luxe !

Elle rassembla ses affaires. Elle se prépara à sortir, quand son reflet dans le miroir attira son attention. Il lui fallut alors se rendre à l'évidence : Elle faisait peur à voir. Maigrichonne, les joues creusées et des cernes violacés qui soutenaient ses yeux rougis par les pleurs. Même sa peau, sombre et mate, avait perdu son éclat habituel. Ses cheveux épais, hérités de sa mère, qu'elle aimait pourtant entretenir avec soin, n’avaient pas été défaits de leur chignon serré depuis qu’elle avait quitté le sol anglais, et des mèches frisées s’échappaient de-ci, de-là, lui donnant un air pitoyable.

Kate fronça tristement les sourcils. Elle ne pouvait pas sortir comme ça. Pas ici. Elle fouilla sa malle, à la recherche de poudre, de fard qu'elle pourrait s'appliquer pour paraître moins misérable.

En vain ; elle avait tout laissé à Londres. Aussi se contenta-t-elle, tant bien que mal et non sans amertume, d’aplatir ses cheveux sur son crâne avec de l’eau, sachant pertinemment que d’ici une demi heure l’artifice s’envolerait. Elle respira un grand coup, s’approcha de la porte, et sortit de la cabine.

Les couloirs grouillaient de monde, et des petits groupes agglutinés semblaient en grande discussion. Elle descendit le couloir d’un pas preste, dansant d’un pied sur l’autre, tâchant d’éviter la foule et tenta d’ignorer les regards torves parfois lancés dans sa direction.

« ...Greenmoor... »

Kate tendit l'oreille. Un homme s'entretenait non loin avec deux femmes. Ils parlaient de Grand-Père.

« D'ailleurs, mesdames, avez-vous entendu les rumeurs qui courent à son sujet ? »

La jeune fille s'approcha discrètement, faisant mine de regarder par la fenêtre.

« Et de quoi s'agit-il, cette fois-ci ? » demanda une jeune femme blonde à la peau pâle.

« Oh je ne sais pas si je peux me résoudre à le dire …

-Oooh, vous en avez trop dit ou pas assez ! » renchérit la seconde, une grande brune aux joues fardées de rose.

-Non vraiment, ce serait trop indécent!

-Oh très cher vous allez nous faire mourir si vous continuez !

-Bon très bien, mais je vous aurais prévenues !

« J’ai entendu dire, reprit l'homme, que ce bon vieil Henry avait l'habitude de fréquenter des lieux, ma foi, fort cocasses, si l'on s'en réfère à sa profession.

Des lieux où on peut passer du bon temps en charmante compagnie. Et pas vraiment pour consulter des demoiselles, si vous voyez ce que je veux dire... »

Ce fut comme si Kate avait reçu un coup sur la tête. Elle ne comprenait pas...Grand-père était..... ?

Sa gorge se serra.

« Oh mon dieu !

-Quelle horreur !

-J'ai toujours su qu'il avait quelque chose de malsain, sous ses airs prudes ! Quel dépravé !

- Une si grande famille ! Comme quoi la pureté du sang ne définit pas celle de l’âme ! »

Kate se sentit mal, elle avait besoin d'air. Il fallait qu’elle parte. Bientôt ils allaient parler de son père. D’elle. Et ils la remarqueraient. Elle se hâta maladroitement vers sa cabine, les rires gras de la foule résonnant derrière elle, tout en évitant les bourgeois affamés qui la fixaient avec des yeux noirs et se pressaient vers le wagon restaurant, la bousculaient et la projetaient sur les côtés. Kate retenait difficilement ses larmes. Son corset l'oppressait douloureusement, chaque inspiration lui faisait mal.

Et cette satanée cabine qui semblait si lointaine !

Sa vision commença à se brouiller. Elle pressa le pas, s'interdisant de craquer maintenant. Elle sentait les regards pleins de jugement se poser sur elle, alors qu'elle avançait avec difficulté. Le sang palpitait contre ses tempes. Après des minutes interminables, enfin elle ateignit la porte de sa cabine. En un dernier effort, elle la poussa, et se rua à l'intérieur.

Elle ouvrit la fenêtre en grand, s’y jeta à moitié pour y prendre une grande inspiration. Le vent lui fouettait le visage et emportait ses larmes dans son sillage.

Des sentiments indistincts s'entrechoquaient dans sa tête. La honte... la crainte... l'incompréhension.

Ces rumeurs étaient-elles vraiment fondées ? Comment se faisait-il qu'elle en ignorait tout, elle qui avait toujours tout partagé avec son Grand-Père ? Mais alors... Grand-Père était un malade mental !? Elle ne pouvait, elle se refusait à croire une telle chose.

Grand-Père...

Oh pourquoi es-tu parti comme ça ? Pourquoi tout ne pourrait pas redevenir comme avant ?

D'un regard, tu aurais pu faire taire toutes ces rumeurs infondées, et nous n'aurions jamais eu à nous embarquer dans cette aventure absurde ! Tu les aurais empêchés de salir notre nom !

Kate senti la colère monter en elle. Sans comprendre pourquoi. Comme si durant ces semaines, passées dans un état semi apathique, elle avait accumulé une haine qui devait sortir d'une manière ou d'une autre. D'un bond, elle se rua sur sa malle qu'elle asséna de coups de pieds, de coups de poing. Des larmes de colère perlant au coin des yeux

« POURQUOI !? POURQUOI !? » hurlait Kate, frappant furieusement la valise, « POURQUOI ?! »

Sa gorge se serra douloureusement, et son corps s'anima de sanglots. À bout de souffle, elle s'allongea par terre et ramena ses bras contre sa poitrine pour s'empêcher de trembler.

Dehors, des chuchotements se faisaient entendre.

Elle ferma les yeux. Des larmes coulaient le long de ses joues. Elle inspira, et s'abandonna aux bras de Morphée.

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