Chapitre 9

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Boulevard Malory ≈ 18h09

« -Où est ce qu'on va ? murmura Mona en s'essuyant les yeux d'un revers de manche.

-Prendre un café. Le propriétaire est l'un de mes amis. »

Mona n'eut pas la force de protester pour lui dire qu'a dix-huit heures, un café c'était nuit blanche assurée. De toute façon ce détective carburait à ce breuvage et se fichait bien de cela, puisqu'il semblait dormir une nuit sur deux.

Elle fixa obstinément ses baskets, tandis qu'il conduisait en silence, sous un ciel envahi de cumulonimbus.

Il aurait suffit d'une seconde de plus dans ce maudit département d'enquêtes pour qu'elle pique une crise de nerf.

D'abord parce qu'il y avait ce maudit vampire blond qui la fixait en permanence, ensuite parce qu'elle se sentait brebis au milieu des loups, (et la métaphore n'étais franchement pas loin de la réalité).

Et comble du comble, parce qu'elle venait de passer au travers d'un ectoplasme ou quelque chose du genre. Cela faisait presque trois semaines qu'elle était là, et ce maudit détective n'avait pas trouvé le temps de l'avertir qu'il y avait un fantôme dans le bâtiment. Ou même que les fantômes existaient tout court.

Le contact du revenant lui avait glacé le cœur et retourné l'estomac. Et c'est ainsi qu'avant qu'elle ne se mette à hurler de tout son saoul, elle était déjà sur le siège passager d'Hasley en partance pour une destination inconnue.

Personne n'avait tilté a leur départ parce que le détective était dans ce qu'il appelait une « semaine de type deux ». Ces semaines là, il se présentait au commissariat quand bon lui semblait, s'offrait le luxe d'une grasse matinée, ou d'une promenade le long du fleuve simplement parce que les seules affaires dont il était chargé était des délits mineurs, dont les rapports prenaient plus de temps et d'efforts que les arrestations.

Les « semaines de type un » c'était simplement celles où il rentrait rarement chez lui : enquête prenante oblige, le commissariat devenait son second appartement, et il y passait facilement vingt et une heures sur vingt-quatre.

Tout le commissariat était habitué à ce manque de ponctualité flagrant, et avait presque cessé d'y prêter attention.

« -C'est là. »

Mona descendit du véhicule et détailla la façade de pierre qui s'élevait devant elle et qui faisait tache entre deux grands immeubles grisâtres et unis. Elle avait tout d'une vielle auberge rustique, mais pourtant la lumière tamisée qui filtrait au travers rideaux rouges donnait une impression de chaleur qu'elle n'avait rencontrée nulle part ici.

Une enseigne en fer rouillé se balançait au vent et portait fièrement le nom de « La Wyverne », le tout surmonté d'une girouette dont les formes, tout en courbes alambiquées, rappelaient vaguement celles d'un dragon.

L'intérieur était à l'image de l’extérieur. C'était une rupture de l'espace temps, un retour vers le passé.

L'odeur du café noir et le parfum enivrant de levure de bière donnaient mélange détonnant et étourdissant. Hasley prit nonchalamment place devant la fenêtre, sur une petite table, et aussitôt, un espèce de nain verdâtre (Mona appris plus tard qu'il s'agissait d'un gobelin), se précipita à leur rencontre.

« -Haz ! Ça faisait longtemps.

- Avant hier, tu as la mémoire courte Niir. »

Niir ignora la remarque et continua de sourire jusqu'aux oreilles.

Dire que les gobelins étaient réputés grincheux… C'était à se demander s’il n'avait pas une dette envers le détective. Quoi qu'il en soit, le gobelin pris leur commande, qui arriva fumante sur la table quelques minutes plus tard.

Hasley posa les avants bras sur la table et engagea la conversation tout en regardant dehors.

« -Comment se passe l'intégration ? »

Elle eut envie de pleurer, mais ravala ses larmes par orgueil. Elle valait mieux que ça. Elle était arrivée la tête haute, et elle repartirait, très vite, mais la tête tout aussi haute.

Pourtant, elle sut qu'elle pouvait ce confier, et que ce qui se disait entre les quatres murs de pierre y resterai. Alors à voix basse et très vite, elle lâcha :

« -J'ai peur ici. Chez moi, on sait que toutes ces créatures existent, mais tant qu'on ne les as pas vu on ne réalise pas. Je n'y croyais qu'a moitié moi aussi. Et maintenant je suis là... Chaque coin de rue m'effraie. Je ne supporte plus l'obscurité. J'ai l'impression que… je ne sais pas. J'ai l'impression que je vais y rester.

-Je suppose qu'Ylderin y est pour quelque chose.

-Possible, marmonna la jeune femme en se rappelant de l'expression intéressée du vampire blond.

-On s'y fait. Il n'est pas méchant. Ils ne sont pas méchants en général. Il n'y a que ceux qu'on arrête dont vous devez vous méfier.

-Je ne veux pas passer ma vie à me méfier, je veux partir, dit-elle d'une voix étouffée. Quand j'aurais fini le recensement des humaines et leurs papiers, je partirai… et tout cela ne sera plus qu'un souvenir.

-Je ne vous retiendrai pas dans ce cas, trancha Hasley. Mais sachez que peu d'humains seraient capables de finir ce que vous avez commencée. Si il y a une chose que vous ne devriez pas oublier de votre séjour c'est bien celle là. »

Est-ce que c'était le café ou les paroles d’Hasley qui réchauffaient tout son être, Mona ne savait pas.

Hasley lui promis que le temps qu'elle resterait à E.L.E.M., il serait là, et il répondrait à toutes ses questions. Et si elle ne savait pas où le trouver, c'est qu'il était probablement assis à cette même table, qui lui était d’ailleurs réservée.

Ils discutèrent pluie et beau temps. Elle lui parla des plaines de son enfance, de la ferme de sa grand-mère, de ses trois frères, du bal de promo du lycée, mille et une choses sans rapport, mais qui lui donnèrent l'illusion un instant d'être de retour sur sa terre natale. Il ne lui donna aucune information sur son passé, gardant cette façade énigmatique alors qu'elle lui dévoilait sa vie.

Quand ils sortirent une bonne heure plus tard, elle regarda la curieuse girouette qui tournait, affolée, dans tout les sens sous les bourrasques de vents. Et elle se promit, qu'elle reviendrait, aussi souvent qu'elle le pourrait.

Jusqu’à son départ.

Quartier Bohr ≈ 16h50

Le loup-garou était étendu sur le sol du toit qui servait aussi de parking aux habitants d’un des innombrables immeubles délabrés des quartiers pauvres et mal fréquentés d’E.L.E.M.

Ce qui expliquait sans doute pourquoi on avait pris deux jours à le retrouver. C’est l’odeur qui avait finit par alerter les occupants ayant un odorat plus développé, ainsi que les traînées de sang présentent un peu partout lorsque l’un d’eux était venu chercher sa voiture.

Les bras écartés, les yeux révulsés, la fourrure couverte de sang et de boyaux, le spectacle n’était pas beau à voir.

Le cadavre était couvert de multiple éraflures, coupures et plaies profondes, visiblement mortelles ; seul le légiste pourra le confirmer.

Le torse -ouvert en deux- laissait prendre l’air aux poumons, lacérés de partout, ainsi que la rate, le foie et le petit et gros intestin déchirés à divers endroit.

Le bas du corps n’était pas en reste, les jambes avaient étés, à force d’acharnement, déchiquetées, tellement que les os étaient visibles et que l’on pouvait voir de profondes griffures sur eux.

Plusieurs morceaux de l’ensemble du corps avaient étés retrouvés à quelques mètres de là.

« -C’est pas beau à voir, murmura Hasley. Mona ne t’approche pas !

-Pourquoi Mona est-elle là ? demanda Erb en venant rejoindre son supérieur tout en jetant un coup d’œil à la silhouette postée près de la Simca.

-Problèmes d’instabilités.

-Elle a encore peur, soupira Erb.

-C’est euphémisme, elle est terrorisée. Mais elle t’aime bien.

-Ça doit être parce qu’elle n’a pas encore vu mes oreilles et mes crocs.

-Peut-être, affirma Haz, mais ce n’est pas une raison pour les lui montrer. »

Puis en changeant complètement de sujet.

« -Donc, qu’avons-nous là ?

-Un loup-garou : complètement déchiqueté, impossible de l’identifier.

-Un règlement entre meute ?

-Probablement. Je ne vois pas d’autres explications, de toute façon le légiste nous en dira plus.

-D’ailleurs où est-il, demanda Haz en fronçant des sourcils à la recherche d’Eliett, il aurait du arriver il y a un moment. D’habitude, il est sur les scènes de crimes bien avant moi.

-Oui, c’est étrange, peut-être un trop plein de paperasse ?

-Hum, fit Haz dubitatif. »

Cinq minutes plus tard, c’est sous l’œil rond d’étonnement d’Erb et Haz qu’ils virent Eliett surgir de sa voiture.

Le pelage ébouriffé, la veste mal boutonnée, les moustaches de travers et les babines légèrement retroussées d’où sortait un petit grognement en continu, Eliett était métamorphosé.

« -William ? Qu’est-ce qui est arrivé à Eliett ? demanda Mona en se rapprochant instinctivement de lui.

-C’est pas très important, ni très grave et je croyais que tu avais peur de lui ?

-Peut-être, murmura Mona, mais il a été très patient et très gentil avec moi, il m’a aidée à remplir les formulaires qui demandaient un vocabulaire technique et précis. Donc, qu’est-ce qu’il a ?

-C’est rien, c’est juste la saison des amours chez les loups. Ça n’arrive que deux fois par an ; ils exagèrent d’avoir fait appel à lui pendant cette période.

-Oh, se contenta de répondre Mona en rougissant. Mais je croyais qu’il avait au moins cinquante ans.

-Plutôt cent en fait. Mais, pour un loup qui peut vivre jusqu'a trois cent ans, ce n'est pas si vieux que ça. »

Mona ne posa plus de questions et regarda le loup reprendre contenance et s'affairer autour du corps. Ses pattes agiles, quoique inhabituellement tremblantes, couraient rapidement sur les tissus sanguinolents, prenant bien garde de ne pas les endommager plus qu'ils ne l'étaient déjà.

Une fois qu'il en eu fait le tour, ils attendirent encore un moment que le photographe judiciaire, qui répondait au nom d'Arton, daigne bien arriver et prendre les clichés de la scène de crime.

Le périmètre était bouclé, ce qui n'empêchait aucunement les habitants des immeubles voisins de s'amonceler en bas du bâtiment attirés comme des insectes par les lumières des gyrophares de police. Ils commençaient à caqueter des hypothèses, à scander qu'ils voulaient savoir.

Hasley avait toujours détesté la curiosité morbide des civils, et les journalistes plus encore. Mais le coin était tellement désolé qu'aucun de ces derniers n'avaient pointé le bout de leurs caméras. Tant mieux.

Il avait allumé sa cigarette et exhalait la fumée acre en regardant le ciel bleu de cette fin d'après midi tiède.

« -Vous devriez arrêter de fumer William. »

Erb dans son dos, avait prononcé le prénom de son supérieur d'un ton moqueur, un demi-sourire sur les lèvres.

« -Sans commentaire, rétorqua Haz en faisant tomber la cendre rougeoyante à terre.

-Elle s'attache vite. A moins que le problème ne vienne de vous.

-La belle affaire qu'elle m'appelle William.

-Vous détestez ça. Vous le dites à tous les nouveaux stagiaires. »

Hasley tira une autre bouffé et écrasa le mégot avant de faire volte face.

« -Le jour où j'aurais besoin d'un entremetteur je vous ferai signe. En attendant allez me chercher le personnel de la morgue, qu'on embarque ce corps avant qu'il ne se décompose sur place. »

Son jeune adjoint obtempéra, après lui avoir fait remarquer qu'il ne se fallait pas plus d'un mois où deux avant que Mona ne retourne à Ezor.

Il se moquait bien qu'elle reste ou non. Mais il ne répondit rien et se contenta de se chercher une autre cigarette.

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