L'Appartement
I.
Quand je me réveillais le matin, deux options se présentaient à moi : regarder CNN ou me faire prendre en DP. Comme la seconde solution nécessitait l’intervention de deux voisins, je choisissais généralement la première. La contemplation de reporters affolés, évoquant l’énième épisode du conflit israélo-palestinien, me plongeait alors dans un état mélancolique ; il semblait bien loin le temps où cette monotonie fut interrompue par les Twin Towers en flamme et la traque des barbus d’Afghanistan. D’ailleurs CNN, comme toutes les chaines de TV, mettait en scène sa lente agonie. C’était peut-être cela, au fond, ce qui m’attirait autant.
Il était 9h30 ; je mis mon pyjama et m’ouvris une glace framboise-mangue. J’écartai les jambes sur le sofa, glissai une cuillerée dans mon vagin. Je fis cuic-cuic en frottant les deux lèvres ; des fusées s’écrasaient sur Gaza.
II.
Je regardai par la fenêtre ; ma voisine d’en face portait un pullover en laine avec des flocons de neige. Noël approchait, et je me demandai si j’allais oser, tôt ou tard, lui faire un signe de la main. Au lieu de cela, je m’assis à la table de la cuisine, à l’abri des regards, léchant le bec de la cafetière. A combien pouvait s’élever le PIB par habitant de la Suède ? Telle était la question qui me trottait dans la tête, quand j’ouvris, par hasard, Le Temps, sur une pub pour une banque genevoise. Une jeune femme y exhibait une montre dorée, quand sur la page d’à côté un article évoquait, enthousiaste, l’élection au parlement d’une violoniste écologiste. Tenant le journal les deux bras en extension, frisant la crampe, j’en conclus, comme tout le monde, que ce n’étaient que des problèmes de second ordre face à ce qui se tramait en Chine ou à la Silicon Valley. Je posai ma langue, une nouvelle fois, sur le bec de la cafetière.
La glace avait collé contre mon pyjama. Je me levai, suçai mon index et le frottai énergiquement contre la tache rose-orange. Ma voisine se trouvait sur son balcon ; elle observait, inquiète, mon manège. Je n’eus pas d’autre choix que de lui tourner le dos pour ouvrir au hasard un demi-litre de Pepsi Max. Le sport, j’allais m’y remettre, lorsque la neige s’envolerait.
III.
Devant le miroir de la salle de bain, j’avais 12 et 44 ans. C’était aussi l’âge du monde, dont le devenir dépendrait de la prééminence de l’un de ces deux points d’attache. En 2011, Ben Laden mourait, vingt-deux ans après l’invasion de l’Afghanistan. Peut-être avais-je, en fait, 15 et 37 ans, plus improbablement entre 19 et 29. Le problème de notre époque, c’était l’embarras du choix ; je m’apprêtais à prendre un bain, alors que le Hamas occupait mon esprit, ne sachant me décider comment prononcer sa première syllabe. A l’américaine, avec un soupir aspiré, à l’arabe, réservant l’attaque pour la fin, à l’italienne, comme un jambon de Grenade ? Pour la troisième fois de la journée, sous la mousse, je passai la paume de ma main sur mon clitoris en érection. J’avais une bite, j’avais une bite, et j’éclatai de rire en m’éclaboussant.
La sonnette sonna. Je sortis, nue, de mon bain, et attendis que l’intrus s’en allât.
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