Chapitre 3 - Cyclone
Richard était stupéfait. Il ne pouvait prendre cet homme au sérieux. Entendait-il vraiment mettre ce projet fou à exécution ? En tout cas, il n’avait pas l’air de rigoler.
— Vous… ne pensez quand même pas pouvoir faire ça ? Demanda l’écrivain, qui avait du mal à se rendre compte de ce qu’on lui proposait. Je veux dire, vous voulez vraiment plonger vers l’épave et voler la statue ? C’est absolument fou, vous devez plaisanter.
Jonas, amusé, répondit avec un certain égo :
— Vous croyez que je plaisante ? Enfin, ne soyez pas ridicule. Pourquoi aurions-nous fait venir un type comme vous à l’autre bout du monde, avec un jet privé, si c’était pour plaisanter ? Je suis parfaitement sérieux, et tout est déjà plus ou moins prêt pour passer à l’action.
— Je… je crois que vous ne comprenez pas la différence entre une fiction et la réalité. Ce que vous avez lu dans mon livre n’a juste aucune chance de marcher dans la vraie vie.
— Ça, c’est ce que vous croyez, rétorqua le chef du groupe. Nous sommes en mesure de réaliser cette expédition, et nous le ferons, avec ou sans votre aide. Cela dit, il est vrai que de simples mots ne suffiront pas pour vous convaincre. Venez voir, par ici.
Jonas invita Richard à regarder un ensemble de plans, de croquis et de cartes océanographiques. Il s’empara d’un bloc-notes sur les pages duquel était représenté un submersible, sous différents angles et accompagné d’annotations.
- Ces croquis, voyez-vous, ont été réalisés par nos concepteurs les plus brillants. Ils décrivent tous les aspects et les caractéristiques de notre création, un submersible ultra-sophistiqué que j’ai baptisé Cyclone.
Richard se pencha sur les dessins, sans cacher son intérêt et sa passion pour le sujet.
— … Vous comptez utiliser ça pour descendre au fond de l’océan ?
— Oui. Vous ne croyez quand même qu’on va s’en servir pour aller dans l’Espace ?
— Non, je sais bien que… Peu importe. Mais vous devez savoir qu’on ne construit pas un sous-marin comme ça, sans moyens appropriés ni autorisations officielles, objecta le français.
— C’est tout à fait vrai. Mais nous avons évidemment tout prévu. Les autorités ne savent pas ce que nous faisons réellement dans ce hangar.
— C’est-à-dire ?
— Notre couverture officielle, continua Howard, est celle d’une entreprise artistique qui conçoit des modèles à taille réelle d’appareils sous-marins, pour des musées d’histoire navale, par exemple. Les autorités croient que nous travaillons sur une maquette, si vous voulez. Alors qu’en réalité, et comme vous l’avez compris, nous fabriquons un vrai sous-marin.
— Ah… Intelligent. L’idée est bonne, admit tout simplement Richard en s’efforçant de dissimuler ses craintes.
Ces types avaient vraiment réfléchi à comment berner les autorités et assurer une discrétion optimale.
— De ce fait, personne n’aura besoin d’homologuer notre appareil, si ce n’est nous-mêmes. Et Dieu sait que nous sommes assez qualifiés pour décider si oui ou non un submersible est apte à être mis à l’eau.
— Je suppose que vous recevez tous les matériaux nécessaires sous prétexte que vous voulez rendre vos maquettes les plus réalistes possibles ? Devina l’auteur d’Opération Titanic.
— Bingo. Nos idiots de partenaires ne se doutent de rien. Nous disposons de toutes les ressources nécessaires, que ce soit du métal, des composants électroniques, des outils, des machines, des ordinateurs, des combinaisons de protection, tout. Et surtout, nous avons deux choses indispensables : la main d’œuvre et l’argent.
— Bien sûr.
— Nos ingénieurs font un travail formidable. En l’espace d’un an, nous avons réussi à achever le construction de Cyclone. D’ailleurs, je me disais que vous voudriez peut-être le voir de vos propres yeux, après tout ce que je vous ai déjà dit.
Jonas fit un signe à son équipe, balayant la main dans l’air. Ses hommes — et femmes — s’activèrent aussitôt, retirant la bâche blanche qui recouvrait le fameux engin.
— Bordel ! S’exclama Richard, impressionné parce ce qu’il découvrait à l’instant. Ce n’est donc pas une blague…
Un véritable submersible, couleur orange vif, se trouvait là, sur la plateforme en métal. Il était cylindrique, et il ne possédait qu’un seul hublot, au centre de son extrémité avant. Les deux extrémités étaient hémisphériques, et l’habitacle était surmonté d’une sorte de kiosque, comme les sous-marins militaires. L’engin reposait sur deux larges patins, avec des bords plutôt carrés et des bandes blanches en travers.
— Je vous présente Cyclone. Comme vous pouvez le voir, il est fin prêt, dit Jonas.
— Ça en jette, n’est-ce pas ? Ajouta James.
Leur invité était à la fois déconcerté et intéressé.
— … C’est un vrai submersible, vous dites ? Et il est capable de plonger, et de remonter ?
— Normalement — et quand je dis “normalement”, je veux dire “sûrement”, affirma Jonas.
— Même à de grandes profondeurs ?
— Oui, même à de grandes profondeurs. Cyclone peut atteindre une profondeur maximale de 5000 mètres, voire un peu au-delà. Comme vous le savez, l’épave du RMS Titanic se trouve à environ 3800 mètres de profondeur. Cela ne représente donc rien d’impossible pour notre sous-marin.
— Il n’a encore jamais été testé ?
— Honnêtement ? Non, on ne l’a pas encore mis en situation, avoua le leader des Seaners. Mais tout a été minutieusement calculé, et cela fait des années que je travaille sur des submersibles. Au moins 15 ans, pour vous dire. La différence est que maintenant, c’est un tout autre business pour moi…
Richard était intrigué par les mots de Jonas, mais tâcha de rester discret pour faire bonne impression.
— Vous l’aurez compris, Richard, notre but est d’utiliser la technologie actuelle pour localiser, retrouver et s’approprier des pièces d’archéologie sous-marine, ou ce genre de choses. Évidemment, ce n’est pas pour les exposer dans mon salon — ce que j’aimerais faire, entre nous, mais pour les revendre sur le marché… qui convient.
Richard avait remarqué que son interlocuteur évitait certains termes, pour atténuer la gravité de ses intentions. Cela ne marchait pas spécialement sur lui, mais il ne voulait pas prendre le risque de s’opposer à ce mégalomane et à son groupe.
— Je suis impressionné par vos ambitions, dit-il simplement.
— Vous le serez encore plus si vous participez à l’expédition… Une expérience unique au monde, croyez-moi. Merde, on parle d’aller voir le Titanic, le vrai, celui qui a fasciné des générations d’historiens, d’écrivains, d’artistes, de cinéphiles, et d’innovateurs de génie comme moi, bien sûr.
Jonas était certes quelqu’un d’arrogant, mais Richard voyait bien qu’il était passionné comme lui. Les deux hommes avaient la même fascination pour le célèbre paquebot, son histoire, ses secrets.
— Je suppose que je me vois mal passer à côté d’une telle opportunité, répondit l’auteur de Moulin-sur-Mer. Je crois que vous m’avez convaincu.
— Génial ! C’est la réponse que j’espérais entendre. Vous ne regretterez pas de nous avoir accompagnés, je vous le promets, assura Howard. Venez, je parle beaucoup, mais je ne vous ai toujours pas montré les détails du sous-marin. Bien entendu, vous allez voir l’intérieur. Vous voulez un café ?
★★★
Cyclone avait un certain nombre de particularités. Comparé aux submersibles traditionnels, il n’avait pas une forme sphérique mais cylindrique. Il ne possédait qu’un seul hublot, à l’avant. De plus, La partie arrière se terminait en queue.
— Il mesure 6,7 mètres de long, pour 2,5 mètres de haut, commença Jonas. Il est équipé de 2 propulseurs principaux ainsi que de 2 propulseurs de manœuvre, et il peut descendre jusqu’à environ 5000 mètres de profondeur. Il a une durée d’autonomie en oxygène de 96 heures. On est plutôt pas mal, non ?
Richard acquiesça de la tête. Ses yeux étaient rivés sur l’engin flambant neuf.
— C’est remarquable, dit-il en toute franchise.
— Absolument. Venez, approchons-nous.
Le chef de l’organisation monta sur la plateforme métallique et posa une main sur le flanc du sous-marin.
— La coque de Cyclone est composée de titane et d’acier. Le titane, comme vous le savez, est un matériau idéal pour ce type d’engins. Cela résiste parfaitement aux pressions extrêmes des grandes profondeurs.
— Et l’acier ? Insista Richard, montrant son intérêt pour le sujet.
— Nous avons choisi de l’acier inoxydable 316, un type d’acier qui résiste aussi bien aux pressions élevées qu’à la salinité des mers.
— Excellent, alors.
— Oui, vous pouvez le dire.
Jonas poursuivit sa présentation. Il se pencha sur un ensemble de dispositifs situés de part et d’autre en bas des flancs du submersible.
— Ces trucs que vous voyez ici sont des gadgets qui nous serviront pendant la mission — les missions, si nos activités prospèrent. Ils sont fixés sur des rails, sous l’habitacle.
Richard s’accroupit pour voir les rails.
— Ces rails, continua Jonas, nous permettent de faire déplacer les outils d’avant en arrière et inversement selon les besoins. Il y a des scies électriques, des foreuses, des pinces articulées pour ramasser les objets, etc.
« Ces types sont vraiment très créatifs, c’est effrayant ! » se dit Richard, stupéfait devant tant d’ingéniosité.
— Vous vous dites que nous sommes très créatifs et que cela est génial, je me trompe ? Devina malicieusement le chef.
— Euh… oui, c’est tout à fait ce que je pense.
— Oh, attendez de voir l’intérieur.
★ ★ ★
Deux membres de l’équipe de Jonas, à l’aide des outils adéquats, ouvrirent une trappe circulaire située au centre du flanc droit de l’appareil. Il s’agissait de la porte d’entrée.
Howard se faufila le premier à l’intérieur de l’engin, puis invita gentiment Richard à l’y suivre. Ce dernier vérifia poliment le dessous de ses baskets pour éviter de ramener avec lui un tas de saletés.
À l’intérieur du submersible se trouvaient plusieurs dispositifs de pilotage et de recherche. À l’avant, les commandes ainsi que deux écrans et plusieurs câbles. À l’arrière, un petit rideau noir. L’habitacle et ses parois blanches étaient relativement bien éclairés, cependant, il n’y avait pas de sièges et il semblait qu’il fallait s’asseoir à même le sol, bien que celui-ci était recouvert d’une moquette — de couleur noire.
Cependant, un détail en particulier retint l’attention de Richard. Et il se trouvait entre les mains de Jonas, qui venait de se déplacer à l’avant de Cyclone.
— Je sais ce que vous pensez. Vous devez croire à une mauvaise blague, et pourtant, cet objet va réellement nous servir.
— … Euh…
Une manette de jeux-vidéos. C’était l’objet en question qui, d’après les dires de Howard, permettait de diriger et de déplacer le sous-marin. Richard, naturellement, s’attendait plutôt à voir des sortes de leviers, ou ce genre de trucs.
— Rassurez-vous, dit Jonas. Le choix d’une manette de jeux-vidéos pour piloter l’engin n’est pas anodin. La raison est simple.
Il appuya quelques boutons et manipula les joysticks pour montrer la facilité d’usage de l’appareil.
— Vous voyez ? C’est à la portée de n’importe qui, aussi bien un enfant ou un adolescent que nous-mêmes. En gros, on veut rendre les choses plus simples.
— Je vois, encore une fois, très créatif de votre part.
— Merci. Ici, nous avons quelques boutons et d’autres commandes. Cette manette, ici, c’est pour activer les phares. On peut augmenter ou diminuer l’intensité des lumières, selon la situation. Les deux leviers rouges, ici, permettent d’activer les propulseurs. On a un système de radio, juste là, pour communiquer avec notre équipe à la surface. Et, bien sûr, on a là une sorte de poignée, à la manière d’un sélecteur de vitesse sur les voitures, qui permet de déplacer et d’actionner les gadgets, en bas.
Richard hocha de la tête à chaque explication, fasciné par toutes ces fonctions et ces commandes. Son attention se porta ensuite aux deux écrans, à gauche et à droite des systèmes de pilotage et de communication. Jonas s’empressa de lui expliquer leur utilité.
— Là, à gauche, nous avons notre écran sonar. Comme vous le savez, le sonar envoie des signaux acoustiques autour de l’appareil, pour détecter les objets et les reliefs sous-marins. Cet écran affiche les données qu’on reçoit de ces signaux, avec des graphiques, notamment.
Il se tourna vers l’autre écran. Richard devina intuitivement sa fonction.
— Ça, c’est notre écran caméra. Il montre les images en temps réel capturées par les caméras du sous-marin. Les images sont de bonne qualité, et elles nous permettent d’explorer des angles invisibles depuis le hublot. Mais bon, tout ça est évident.
— Bien sûr. On dirait que Cyclone est complet, niveau équipements.
— Exactement. Comme vous pouvez le constater, on a tout ce qu’il faut, ici. Tout. Notre équipe a fait des prouesses pour construire ça en l’espace d’un an, sachant que nous devons cacher nos véritables intentions du monde extérieur.
— Je suis admiratif, avoua Richard, adossé contre la paroi de l’habitacle. Quand votre associé, James, m’a invité à vous rejoindre, je croyais à peine à cette histoire. En fait, vous êtes vraiment déterminés.
— Tout le monde a des rêves dans la vie, tout le monde a ce désir, cette flamme, cette mission qui les pousse à aller de l’avant. Ma mission à moi, c’est de retrouver un trésor qui nous attend quelque part au fond de l’océan, à côté d’un navire qui nous fascine tous les deux. Et je jure que tous ceux qui m’aideront à le retrouver seront récompensés comme il se doit. Je vous donne la chance d’en faire partie.
— … Je crois que je vais saisir ma chance, alors. Vous êtes vraiment fou, mais je crois que moi aussi.

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