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Depuis le début de la matinée, le cliquetis du clavier de Diane ne cessait d'émettre sa mélodie, tel les cigales du sud sous la chaleur du soleil. L'informaticienne n'avait pas quitté son siège depuis plus de trois heures et demie, ses doigts pianotaient constamment. Les fichiers qu'elle devait décrypter s'avéraient de plus en plus complexes.

Betty était aussi présente, submergée par les souvenirs et les émotions, son regard perdu dans le vague. Sa nuit n'avait pas été de tout repos. Les cauchemars la hantaient tandis qu'elle se réveillait en sursautant pleine de sueur. Il fallait que tout cela cesse au plus vite.

Elle se retourna vers Diane et l'observa avec attention. Pour la première fois, elle ne vit pas l'image que ses collègue lui donnait, mais une femme déterminée, impliquée dans son travail et prêt à tout pour parvenir à son objectif. Elle n'écrasait pas les autres, elle était simplement meilleure et n'avait pas de honte à le montrer. Aimait-elle se donner un air sévère ? Betty n'aurait pu le dire, mais elle n'avait pas un mauvais fond, elle en était convaincue.

- Betty, pourriez-vous chercher dans le box de Philippe un clef USB de couleur rouge ?

La jolie et jeune rousse ne l'écoutait pas, loin dans ses pensées.

- Betty ? insista Le Tane.

- Excusez-moi, j'avais l'esprit ailleurs. Que puis-je faire pour vous aider ?

Diane répéta sa demande et sa collègue s'exécuta sans attendre.

Les lignes de code défilèrent bien plus vite lorsque la technicienne utilisa son propre logiciel. Elle violait une demi douzaine de règles éthiques, mais peu importait, elle n'avait pas le temps pour de telles considérations. Son instinct lui indiquait que ce fichier lui révèlerait une information d'une importance cruciale.

Encore quelques secondes et... Le fichier s'ouvrit.

Un sourire aux lèvres, elle se précipita d'ouvrir le document, Betty sur ses talons. Les deux femmes déchantèrent. La série de procès verbaux décrivait les circonstances de la mort du fils de Dimitri Balkichvski.

Un soir d'été, sur les bords de la Volga, Dimitri et Andreï campaient avec leur famille autour d'un feu de camps. La braise rougissait sous les douce flamme balayées par le vent. Les crépitements surprirent Ekaterina qui lâcha un petit cri. Tous éclatèrent de rire. Les enfants étaient partis à l'aventure, sous le commandement de « capitaine » Alexandr.

Le poisson pêché le matin même avait été écaillé et découpé dans les règles de l'art. La broche déposée sur ses deux soutiens tournait sous l'impulsion de la main de Dimitri, libérant l'odeur du merlu. Les pommes de terres cuisaient lentement dans une casserole à même braise. Le repas s'annonçait inoubliable.

Andreï Kritovsk s'avança dans le bois pour rejoindre la cascade où les trois amis s'amusaient habituellement. Si la petite Olga jouaient gentiment avec sa poupée près d'un arbre, ce qu'il découvrit le mit hors de lui.

- Comment oses-tu inciter mon fils à prendre de la drogue ? Réponds-moi Alexandr !

Surpris, les deux garçons se retournèrent et tentèrent de masquer les stupéfiants. Alexian baissa les yeux et rougit alors que son camarade soutenait le regard d'Andreï.

- On faisait rien de mal, c'est vrai. Je lui montrait juste ce que c'était. On n'allait pas consommer, vraiment.

- Peu importe. Tu t'expliqueras avec ton père, trancha le père en saisissant le poignet de l'adolescent.

- Hors de question !

Alexandr chercha à se dégager de l'emprise, mais Andreï ne cédait pas. Sous les yeux d'Olga et d'Alexian, les deux se disputèrent au bord de la falaise. Libéré de l'étreinte, le jeune garçon lança une pierre sur le père Kritovsk.

La cascade percutant le contrebas masquait les échanges de plus en plus musclé. Olga s'enfuit pour prévenir son père alors qu'Andreï cherchait à maîtriser Alexandr agressif au possible. L'adolescent tenta de mordre son adversaire.

- Calme-toi, s'il te plaît.

Alexandr esquiva la tentative d'Andreï. Alors qu'il reposait son pied au sol, il sentit la terre se dérober. Ses bras moulinaient de plus en plus vite, mais son corps basculait inexorablement vers le vide.

Au loin, les bruits de pas se faisaient plus proches, la nature semblait s'être arrêté de vivre. Andreï se jeta du mieux qu'il put pour rattraper le jeune homme à la dérive. Ses doigts saisirent la manche du garçon, un instant seulement.

Il y eut un cri. Puis le silence.

Les recherches du corps restèrent infructueuses, la dépouille avait été emportée par le courant. Pour autant, Balkichvski et Kritovsk restèrent soudés dans cette épreuve une fois qu'Andreï fut innocenté.

Devant son écran d'ordinateur, Diane Le Tane était bouche bée. Betty avait quitté le bureau sans avoir la force pour aller au bout du procès-verbal de synthèse. Elle décrocha machinalement le téléphone et composa le numéro laissé par Jules.

Au bout du fil, une voix à l'accent africain se présenta. Après une court échange, Diane dévoila le contenu du fichier. Elle envoya l'ensemble des données par mail, dont une photos de la famille Balkichvski et un test de paternité au nom de Dimitri.

- Le gars a une fille en plus d'un fils mort ? Le ouf !

- Il faut transmettre ces informations à vos ami Jules au plus vite.

- Vous inquiétez pas m'dame, je suis déjà sur le coup. Il va être dingue dans sa tête en apprenant tout ça. Cimer pour le tuyau, et faut pas hésiter à rappeler hein.

Babacar raccrocha et Eminem reprit son morceau dans le QG.

L'enquêteur improvisé se pressa d'allumer l'écran d'un autre ordinateur pour lancer des recherches sur la petite Olga Balkichvski. Le Sénégalais sentait l'affaire de vengeance entre les deux familles. Dimitri avait attendu, patiemment, le bon moment pour mettre a exécution son plan. Mais en bon professionnel, il s'était adjoint les services de personnes malfamées pour faire le travail à sa place. Il avait l'argent et le réseau pour. Cela se tenait.

Excité, Babacar fouilla les bases de données. Il ne trouva que l'acte de décès d'Ekatérina Balkichvski, portant la mention « suicide ». Rien sur Olga après son quatorzième anniversaire, toutes les informations avaient disparu où étaient censurées. Bien trop de mystères planaient autour de cette famille, Babacar flairait l'embrouille à plein nez.

Le téléphone en main, il composa le numéro de Jules, les informations reçues sous ses yeux. Il continuait de les éplucher pour ne pas omettre le moindre détail. A la troisième sonnerie, il entendit la voix de son acolyte.

L'échange fut clair et précis quant aux découvertes de Diane. Le juriste évoqua l'existence du cheveu et de la photo.

- Ta photo elle me fout les chocottes gros. Quel fou irait faire un bail pareil ?

- Bonne question.

Jules se gratta la barbe, sa réflexion en pleine construction. Ils avaient eu des difficultés à trouver des informations sur Dimitri. Sans cette clef USB, ils seraient restés au point mort sans connaître l'existence de la famille Balkichvski et son tragique destin. Tout était fait pour que le secret soit bien gardé. Pourquoi ?

- L'étau se resserre autour de Dimitri, reprit-il. Il est lié à la mort d'Alexian, mais je ne pense pas qu'il est joué un rôle.

- Pas compris gars...

- Laisse pour le moment. Vois avec Charles s'il peut te sortir quelque chose sur la disparition des Balkichvski. On ne disparaît pas des radars du jour au lendemain sans aucune trace.

Le bruit du stylo glissant sur la feuille flotta jusqu'aux oreilles de Jules.

- Il faut trouver des liens entre ces nouveaux éléments et ce que l'on sait. On touche au but Bounty. Montre-moi que tu es le meilleur sur ce coup.

- D’acc cap'taine. Tu ne vas pas être déçu du résultat, parole de moi.


***


Sur un banc public, face à une fontaine où les yeux d’une femme ne cessait de pleurer toutes les larme de son corps, Jules réfléchissait. Devait-il contacter son meilleur ennemi pour obtenir des explications sur les non-dits concernant sa famille, ou bien creuser de son côté pour le coincer ? Le choix était cornélien, mais le temps ne lui laissait guère de répit.

Il laissa son portable faire plusieurs tour sur la paume de sa main.

Son doigt glissa sur l'écran tactile et composa un numéro de téléphone. Le coeur de Jules palpitait un peu plus à chaque nouvelle sonnerie, quand la voix roque du Russe se manifesta.

- Avez-vous un problème l'ami ? Je vous rappelle que votre temps est compté.

- Pourquoi m'avoir caché l'existence de votre fille et la mort de votre femme ?

Le coup était rude.

- Vous ne m'avez pas questionné sur le sujet. Et il y a bien longtemps que je n'ai pas eu la moindre nouvelle de ces deux personnes. Elles se sont peu à peu effacé de ma vie depuis la mort du petit Alexandr.

- Expliquez-moi.

- Certains événements dans la vie vous font perdre le contrôle. La mort de mon fils a été de cela. Le corps n'a jamais été retrouvé, le courant était trop « puissant » » comme m'ont soutenu ces pourris de flicailles. Et je suis tombé au plus bas. J'ai bu, rien ne pouvez m'en empêcher. La peine a saigné mon cœur au plus profond. Je devenais violent avec les mots.

- Tout le monde travers des mauvaises passes. Il faut se soutenir et avancer ensemble.

Super le discours bateau mon gars. Laisse-le parler et aliment son moulin.

- C'est le bon sens, je vous l'accorde monsieur Jules. Mais il y a des gestes que vous regretté amèrement, et ce jusqu'à la fin de vos jours. Lever la main sur Ekatérina en fera partie.

Le juriste gardait le silence, il maintenait Dimitri dans ses pensées. Peut-être lui livrerait-il inconsciemment un détail insignifiant, mais ô combien important pour résoudre cette enquête. Il entendait la respiration saccadée du colosse, il sentait l'armure se fissurer un peu plus.

Si Dimitri Balkichvski avait su se relever et bâtir la vie qu'il menait, il n'avait jamais guéri des blessures qu'il avait subies ; le temps n'avait pas pansé la noirceur de son âme. Et aujourd'hui, son passé le rattrapé.

- Monsieur Jules, en quoi d'autres puis-je vous être utile ?

- Pourquoi ne trouve-t-on aucun information sur votre fille après l'anniversaire de ses quatorze ans ? Il n'y a pas d'acte de décès, mais elle disparaît complètement des radars.

- Je ne pourrai pas vous aider sur ce coup. Et j'ai une grande réception ce soir, les préparatifs n'attendent pas.

Il eut un moment d'hésitation et finit par déclarer :

- Passez me voir une fois votre petite enquête terminée et la clef détruite. Nous aurons tout le temps nécessaire pour assouvir votre curiosité. Ma vie n'a rien qui puisse vous être utile pour l'instant. Et n'oubliez pas mon ultimatum.

Pas le temps de réagir que la communication était interrompue.

Jules tapa du poing sur le banc. Sa main rougit et le lança, mais il n'en avait rien à faire. Il laissait encore une fois la situation lui échapper. L'homme d'affaires l'énervait à ne jamais aller au bout des choses lorsque l'on touchait à sa vie.

Son carnet prêt, il y ajouta ce qu'il avait appris, peu de chose très utile. Il voulut se lever quand une idée lui frappa l'esprit. Mais pourquoi tu n'y as pas pensé plutôt ! C'est évident ! Alors qu'il s'apprêtait à écrire le fruit de sa réflexion, son portable vibra de nouveau. Babacar.

«  J'ai retrouvé la trace du geek fugitif. Rejoins-moi qu'on l’attrape ».

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