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Jules retenait son souffle, plongé dans cette douloureuse histoire. Il ne voulait pas brusquer Olga, mais son impatience le poussait à agir, à provoquer cette femme pour qu’elle lui livre les profondeurs de son passé. Il allait lui poser une question quand elle reprit son récit :

- C’était Alexandr, mon frère. Je… je n’ai pas su quoi lui dire. J’étais paralysée. Tout se bousculait dans ma tête et je n’ai pas eu le temps de réagir qu’il m’emmenait loin de cette vie de misère. Dix années d’enfer venaient de s’achever, mais au fond de mon coeur, la haine ne cessait de ma consumer. Nous avons décidé de faire payer Dimitri pour tout le mal qu’il avait provoqué, toutes ces choses que nous avions perdues, ce temps irrécupérable.

- Et pour Alexian ? Et Mâcon ?

- Nos recherches sur notre père nous ont menés à découvrir des secrets de familles bien enfouis. Alou, c’est le surnom que je donnais à Alexian, était mon coup de coeur amical, celui avec qui je rêvais de faire toutes les bêtises du monde. Nous avions fabriqué une cabane que nous pensions invisible pour les adultes et nous y passions des heures entières à imaginer l’avenir. Il devait être épargné…

- Que s’est-il passé ?

- J’ai appris que Dimitri et Ivana avaient eu une liaison. Aussi courte fut-elle, Alou en était le fruit et il avait eu une vie parfaite. Les Kritovsk, Dimitri, tous lui portaient cette attention dont Alexandr et moi avions été privés. Mon frère m’a convaincu qu’il était un danger et surtout que sa perte serait douleur immense pour tous.

Olga ne pouvait retenir ses larmes.

- Alexandr a intégré la société où Alexian devait prendre ses fonctions pendant que je jouerai la servante chez les Kritovsk. Il l’a observé des mois durant en se rapprochant de Diane Le Tane pour ne pas éveiller les soupçons. Alou aurait pu le démasquer, se souvenir de celui qu’il considérait comme son modèle. Ce fut un crève coeur que de l’éliminer.

- Je… vous aviez d’autres moyens d’atteindre Dimitri… L’argent, le business, la réputation. Ce gamin n’avait rien demandé ! Vous auriez pu être heureuse, avec votre père et votre père. On ne rattrape pas le temps perdu, mais votre avenir aurait pu s’écrire d’une bien plus belle façon.

- J’en ai conscience et j’ai tellement de remords.

- L’attaque de l’usine vous a servi à plomber les activités illicites de votre père, je n’ai pas le moindre doute dessus. Mais la mort de Mâcon n’a aucun sens.

Jules tenait Olga entre ses mains, elle ne pouvait plus reculer. Le silence perdura jusqu’à ce que la femme passe une nouvelle fois aux aveux.

- Il a surpris une conversation entre Alexandr et moi. Je savais qu’il était l’amant d’Ivana. Elle n’a jamais été heureuse avec Andreï. Ce dealer avait passé la nuit chez les Kritovsk et un soir, alors que je discutais des détails avec mon frère, ses oreilles ont trainé un peu trop longtemps. Il nous a fait chanter un moment, mais il était bien trop gourmand, il fallait le supprimer. Cette balle de sniper après l’explosion, un tir basique pour moi. Nous avons tenté de faire une pierre deux coups avec vous et votre ami.

- Un échec parmi d’autres, conclut le jeune homme.

Le juriste ne sut que dire de plus. Il avait les réponses à toutes ses questions, le puzzle était enfin complet. À présent, il devait sauver sa moitié. Olga semblait plus détendue le bon moment pour agir.

Un des journalistes fit tomber au sol un objet en métal. Il rebondit jusqu’à atteindre les jambes du chef d’intervention. Les nerfs de tous furent mis à rude épreuve. Les hommes de l’unité d’élite pointèrent leurs armes dans toutes les directions. Les uns gueulaient des ordres pendant que les autres se déployaient à toute vitesse.

Olga eut un instant de panique. Elle se replia un peu plus profondément dans le couloir, sa lame braquée droit devant elle. Le lien créé avec Jules s’était rompu en un instant, mais l’ouverture était trop belle pour ne pas l’exploiter.

Alice vit le bras tendu de la Russe. Elle lança un regard à son copain qui courut aussi vite que possible vers la criminelle. Dans le même temps, la file Laville assena un coup de gouda dans les cotes d’Olga et profita du manque de lucidité de la femme pour attraper son poignet et l’amener au sol.

Jules se jeta sur la soeur Balkichvski pour relayer sa moitié qui s’écroula de fatigue sur le côté. Charles et plusieurs hommes du GIGN arrivèrent en renfort pour menotter la cible et procéder à son évacuation. Les secours encerclèrent Alice pour lui porter une assistance qu’elle refusa.

Le cauchemar était terminé.

Le groupe s’éloignait déjà à vive allure lorsque :

- Dupuis, attend s’il te plaît. J’aimerais dire un dernier mot à Olga.

- Deux minutes, une fois qu’elle sera dans le panier à salade. Passe par derrière, je serai avec le chef de nos amis les gendarmes.

- Merci Charly.

Mais avant tout, il s’accorda une pause et prit Alice dans ses bras. Il lui passa la main sur la joue, puis les cheveux. Des gestes simples pour profiter du moment. Ils se promirent de ne plus se quitter et s’embrassèrent autour d’une foule agitée.

Le capitaine Laville resta en retraite, soulagé et le coeur rempli de joie.

Le calme était revenu sur l’aéroport Charles de Gaulle. Les panneaux d’affichage indiquaient vingt-trois heures cinq et les derniers vols décollaient comme si rien ne s’était passé.

La fraicheur avait gagné l’air et le car de la gendarmerie stationnait sur le tarmac, gyrophares allumés. Dupuis échangeait avec le chef du groupe d’intervention. La tension redescendue, les deux hommes se congratulaient, heureux et fiers de l’issue de cette affaire. Jules s’approcha avec une timidité enfantine.

- Voilà le héros, sourit le gendarme d’élite. Je dois avouer que votre initiative m’a quelque peu mise hors de moi. Mais vous êtes un homme courageux petit, et je ne peux que vous féliciter.

Le juriste ne sut quoi répondre.

- Il est un peu fatigué, combla le lieutenant.

- Comme convenu, un court instant avec notre prise. Mais ne tardez pas, nous sommes tous au bout du rouleau. Le sommeil n’a pas de prix et la paperasse administrative bien chiante à remplir. Venez Dupuis ! Je vais vous présenter ma brigade.

Jules ouvrit la porte de la fourgonnette et s’assit à côté de la femme enferrée. Lui cherchait encore à comprendre la logique de cette vengeance, elle tentait de se résigner.

- Vous êtes un drôle de personnage. Vous avez risqué votre vie pour un garçon, quitte à y laisser la vôtre. Personne n’est fou à ce point, notre société est égoïste et chacun ne pense qu’à lui et ses propres intérêts.

- Ce n’est pas un garçon, c’est le frère de ma copine. La famille est une des choses les plus importantes qu’il puisse exister. Vous en aviez une, après tant d’années le bonheur vous tendez les mains.

- Si seulement j’avais eu votre vision des choses…

Olga plongea sa tête dans ses mains.

- Vous avez échoué sur toute la ligne. Dimitri n’est pas mort. Ni le poison, ni l’explosion ne l’ont atteint.

La femme ne bougea pas. Les mots du jeune homme n’étaient pas une surprise pour elle. Son père était un roc, elle aurait dû finir le travail d’elle-même. Ils n’échangèrent plus un mot par la suite. Jules se leva et posa sa main sur l’épaule de la jeune Balkichvski. Il ne la comprenait peut-être pas, mais il pouvait tenter d’imaginer.

L’air frais entoura le juriste lorsqu’il sortit de la camionnette. Il en prit une bonne bouffée et tourna sur lui-même. Nicolas Laville et Alice l’attendaient au loin. Il s’empressa de les rejoindre après quelques politesses avec les forces de l’ordre. La journée avait été longue et un peu de sommeil dans les bras de sa chère et tendre n’aurait pas été de refus.

Mais il lui restait une ultime tâche à effectuer.

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