Le meurtre de Megan Silver

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Pour la toute première fois dans l’histoire de la ville d’Ashlow, les habitants assistent, choqués, au spectacle morbide d’une scène de crime : la Criminelle a repêché un corps dans le Lac Rhody.

Vendredi 30 août 2019 | Rhody Lake Park | 12h31

Les Forces de Police contiennent difficilement le public curieux. Les journalistes du Ashlow Daily News s’empressent d’accéder sur les lieux, dans le but d’avoir une exclusivité sur cette mystérieuse affaire.

— Personne ne dépasse la bande jaune, crie un lieutenant en s’adressant aux badauds.

Une femme à la chevelure dorée, d’assez grande taille, âgée d’environ une quarantaine d’années, le visage fermé et les traits marquées, s’approche de la scène de crime : le sheriff Lindsay Moon daigne enfin lever le voile sur sa présence. Après le mortel accident de voiture de son défunt mari, anciennement sheriff de la ville, elle devient rapidement gradée au poste le plus important du commissariat. Malgré les craintes de certains de ses coéquipiers, elle a su s’imposer au sein de la Police d’Ashlow.

Cependant, derrière cette assurance, se cache la fragilité d’une veuve. Elle fait prétendre le contraire aux yeux de tous, mais Lindsay ne s’est toujours pas remis de la mort de Ritchie. Elle a même failli sombrer dans l’alcool, avant de se faire aider par sa fille unique. Depuis ce jour, elle s’est jurée de la protéger, même si ça signifie mourir pour son enfant. Le soleil tape super fort et la femme de loi laisse entrevoir sur son visage de la nervosité.

Avant de se jeter dans la gueule du loup, Lindsay prend le temps de s’allumer une cigarette et se met à observer l’effervescence environnante : une peur collective s’installe lentement sur chacun des faciès présents sur place. Bientôt, la ville entière va être encline à la terreur. Afin de ne pas en arriver là, le sheriff se dit prête à élucider ce meurtre par tous les moyens possibles. Lindsay finit sa clope et l’écrase au sol. Elle a maintenant les yeux rivés sur son objectif. C’est le cœur lourd et le visage fermé qu’elle se rend vers la scène de crime.

Un de ses jeunes lieutenants, Jeff Bonega, l'attend afin de lui exposer son briefing. Elle le passe au crible, ou plutôt l'observe avec curiosité : il tremble de partout et semble prêt à craquer à n'importe quel moment. C’est un grand gaillard maigrichon au teint caramel et plutôt beau garçon. Alors seulement simple employé de rayon dans un supermarché, il se décide à entrer dans la Criminelle et devient lieutenant de terrain.

Malgré sa nature froussarde et anxiogène, il réussit avec justesse les épreuves de l’examen de police. Cependant, les missions qu’on lui a confiées jusqu’ici ne sont en rien comparables à ce qui s’est passé aujourd’hui. Le jeune homme est terrifié, et il y a de quoi.

En regardant le corps refroidi et bleuâtre de Megan Silver, il ne peut s’empêcher de penser à sa petite sœur. Il balbutie son prénom plusieurs fois en tremblant comme une feuille morte, avant de se faire attraper les épaules par sa supérieure. Jeff reprend vite ses esprits, en essayant de ne plus perdre la face devant sa cheffe.

— Eh, regardez-moi dans les yeux Bonega ! Vous devez vous ressaisir et tout de suite, dit-elle en le dévisageant intensément. J’ai besoin d’un homme, un vrai ! Compris ? C’est fini les petites missions de surveillance. Voilà pourquoi vous êtes entré dans la Police, Jeff. Nous sommes dans du concret là. Vous me comprenez ?

­— Oui cheffe. Pardonnez-moi, ça n’arrivera plus.

­— Bien, je voulais l’entendre. Allez, dites-moi plutôt ce qui s'est passé.

Lindsay lui lâche les épaules et le laisse maintenant travailler.

— Oui sheriff. Notre victime est Megan Silver. Elle était étudiante au lycée d'Ashlow, comme ma petite sœur. C'est un couple de joggers qui a découvert le cadavre. Il flottait dans le lac. D'après les premiers retours du légiste, la jeune fille aurait pris vingt coups de couteau. Dix dans l’abdomen, deux dans le thorax et les huit autres dans le sternum. Ensuite, le tueur l’a déplacé dans le but de jeter son corps dans l’eau. On peut l’apercevoir grâce à la longue traînée de sang s'étendant jusqu'au bord du lac, de ce côté-ci. On a aussi retrouvé le vélo de la victime. Elle serait morte vers huit heures du matin. C'est tout ce que nous savons pour l'instant.

— Ok. Bon travail Bonega.

— Merci, sheriff. Je n'avais jamais vu une boucherie de ce genre. C'est de la folie pure et dure. Qui a bien pu s’adonner à une telle barbarie ?

— Je n’ai pas de réponse. Aucun de nous n'a autrefois assisté à un truc pareil. C'est une première dans cette ville. Ashlow était un lieu calme et chaleureux. Mais à partir d'aujourd'hui, rien ne sera comme avant.

— En plus, je dois annoncer ça à sa mère... je n'étais vraiment pas préparé à ça.

— Aucun de nous ne l'était, sheriff. Et maintenant, la suite ?

— C'est évident, non ? On trouve le coupable et vite ! Au travail ! Je veux qu'on me ratisse ce parc immédiatement ! Quant à moi, je vais chez les Silvers. Si vous trouvez quoi que ce soit d'intéressant, n’importe quoi, vous me faites signe, Bonega. Compris ?

— À vos ordres, cheffe.

En quittant la scène de crime, Lindsay n'aborde plus son regard de concentration qu'elle possède à chaque fois qu'elle endosse son uniforme de sheriff, mais des yeux de dépit, empli de chagrin, de colère et de tristesse. Elle connaît bien la victime : Megan Silver était la meilleure amie de sa fille aînée, Addison. Avec Timadie Fisher, elles ont formé le trio de choc de la ville. Chacune des adolescentes ont participé au projet de modernisation d'Ashlow. La lycéenne a travaillé sur la création du festival.

La fête se tient chaque année au Rhody Lake Park. Le service, la gentillesse et l’amour que partageaient Megan à autrui plaisait, sans exception, à chacun des habitants. Quand ses meilleures amies n'allaient pas bien, la jeune fille se rendait toujours disponible pour les réconforter et les soutenir, quoi que ça pouvait être.

Aujourd'hui, Ashlow pleure l'une de ses étoiles montantes. Soudain, ses souvenirs s’estompent lorsque son téléphone se met à sonner : c’est Addison. Le sheriff n'a pas le courage de décrocher son portable. Elle sait pourquoi l'adolescente l'appelle. Elle laisse l’appel en continu, jusqu’à ce qu’il s’arrête de lui-même.

— Putain de merde, crie Lindsay, en frappant de façon répétitive sur son volant.

Au bord des larmes, elle explose en sanglots dans son véhicule, devant une pléthore de journalistes, qui l’ont suivi discrètement sur le sentier qui mène au parking du parc, jusqu’à son véhicule. Agacée par cette bande de vautours, elle démarre sa voiture en trombe et quitte le Rhody Lake Park, manquant d'écraser le pied d'une rédactrice se trouvant sur son chemin.

Vendredi 30 août 2019 | Résidence de la famille Silver | 13h07

Lindsay arrive enfin chez les Silvers. Le trajet n’a pas été des plus tranquilles, et pour cause, un énorme trafic s’est formé, causant des embouteillages. Les récents événements ont attirés comme des mouches tous les journalistes des villes environnantes, ainsi que certains habitants voulant apercevoir la scène de leurs propres yeux. En voyant ça, le chef de la Police comprend que cette affaire ne fait que commencer.

Son stress est désormais à son paroxysme. Il est temps pour elle de descendre de son auto, mais le sheriff n'ose pas la quitter. Du moins, pas tout de suite. Elle appréhende encore le fait d'annoncer la mort de Megan à son amie de toujours, Maria. Elle prend son courage à deux mains pour ouvrir la portière de sa voiture, mais au moment de sortir, elle reste figée à son siège. Des larmes recommencent à ruisseler sur ses joues.

Une vive oppression l’envahit au niveau de la poitrine et l'empêche de faire tout mouvement dans l'immédiat. Lindsay reprend son souffle en inspirant et expirant à plusieurs reprises. Le stress est toujours présent, mais elle se sent déjà un peu mieux. De nouveau elle-même, le sheriff sort enfin de sa voiture et se dirige vers la maison des Silvers.

La demeure est immense, élégante et décontractée, avec un extérieur joliment aménagé, une clôture boisée, une grande fontaine, une pelouse émeraude magnifiquement entretenue par le jardinier de la famille et le porche d’entrée qui donne une vue imprenable sur le beau quartier de Mackenzie Street.

Derrière la façade, se trouve une piscine chargée d’histoire. Lindsay repense aux bons souvenirs que lui procure ce grand pavillon, lorsque Megan et Addison, alors toutes petites, jouaient avec leurs poupées dans le jardin, pendant qu’elle se prélassait en sirotant une limonade fraîche sous le porche d’entrée en compagnie de Maria.

Chaque pas qu'elle fait pour s'approcher de l’élégante bâtisse, augmente son stress de façon fulgurante. Elle s'arrête deux minutes pour se reprendre. En regardant vers les baies vitrées coulissantes donnant sur le jardin, elle peut apercevoir Maria, postée dans son salon en train de l'épier, tout en serrant son verre d’eau avec une main tremblotante. Elle ne la lâche pas du regard.

— Oh Seigneur, dit-elle en redressant son chapeau.

Le sheriff atteint finalement le porche. Maria se hâte pour ouvrir à son amie de longue date. Les deux femmes se tiennent maintenant face à face sans prononcer un mot, et ce, pendant plusieurs secondes. Mais la tristesse qui se lit sur le visage de Lindsay ne suffit pas à lui faire entendre raison. Elle est intimement persuadée que sa fille est en vie et qu'elle va rentrer à la maison après sa balade à vélo, comme elle en a régulièrement l’habitude.

Il lui est impossible de penser autrement. En voyant l'espoir dans les yeux de la maman de Megan, le sheriff décide de ne plus faire durer le suspense. Il faut tout lui révéler. Malgré le déni, Maria connaît déjà la vérité. Après tout, une mère sent ce genre de choses. C'est l'instinct maternel.

— Alors, tu l’as retrouvé ? Demande-t-elle.

— S’il te plaît, écoute...

— Où est ma fille, Lindsay ?! Coupe-t-elle rapidement.

Le sheriff enlève son chapeau et baisse la tête. Maria comprend par son geste que ses craintes s'avèrent fondées. La tristesse et la colère montent d'un cran dans son cœur. Elle se met à pleurer. Ce sont des larmes lucides et froides, il ne s’agit pas uniquement d’une détresse indescriptible, celle qui anime une mère qui vient de perdre un enfant, ce sont aussi des pleurs qui annoncent que plus rien ne sera jamais comme avant, et le soleil pur et insolent qui s’abat sur les deux amies n‘y changera rien. Au contraire, pour Maria, ce ciel sans nuages sera toujours associé à la perte de sa fille, presque un complice.

— Oh mon Dieu… Megan…

— Écoute, je sais que Dany est à Los Angeles pour les vacances en ce moment et... et ce n'est pas bon d’être livrée à soi-même dans ce genre de moment. Je n’aime pas te savoir seule chez toi. Tu ne veux pas venir dormir à la maison avec Addison et moi ?

— Lindsay… ma fille vient de mourir. Je reste chez moi.

— Maria, c'est vraiment une mauvaise idée.

— Je vais dormir dans la chambre de ma fille ce soir. Et il n'y a rien que tu puisses dire qui me fera changer d'avis.

— Très bien, je comprends. Je vais cependant poster des officiers tout autour de ta maison, afin de te protéger. On ne sait jamais si le tueur venait à s'en prendre à toi.

— Merci Lindsay. Maintenant pars. J’ai besoin… d’être seule.

— Ok très bien, je m’en vais. Je reviendrais te voir demain.

Dans un profond chagrin, la maman de Megan jette violemment son verre par terre et se met à jurer et à tout casser autour d’elle. Elle tombe au sol sur les genoux, les mains sur le visage, souhaitant cacher sa souffrance. Malgré la détresse de son amie de toujours, le sheriff Lindsay entre dans sa voiture, encore dépitée après ce moment houleux.

La femme de loi éprouve l’envie de rentrer chez elle et de retrouver sa fille à la maison. Cette matinée a été destructrice physiquement et psychologiquement. Alors qu'elle entre les clés dans le contact, son téléphone sonne de nouveau : C'est le lieutenant Bonega. La journée ne fait que commencer pour Lindsay et soupire profondément. La cheffe de Police décroche à contre-cœur.

— Ah… il me faut une cigarette, souffle-t-elle pour elle-même. Oui, Jeff ?

— On a quelque chose, cheffe. Vous devriez revenir au poste.

— Très bien, j’y serai dans cinq minutes.

Vendredi 30 août 2019 | Station de police de la ville d’Ashlow | 13h29

Lindsay arrive au Q.G., où une ribambelle de journalistes l’attend devant le commissariat. Là aussi, le sheriff ressent de l’anxiété en voyant tous ses vautours tournoyer devant son poste de police. Une fois sortie de la voiture, elle s’attend à se faire encercler. Après ce qu’elle a vécu avec Maria, elle n’a plus la force. Mais malheureusement, c’est ce qu’elle va devoir endurer jusqu’à ce que cette affaire se termine. Et elle n’en est qu’à ses prémices.

— Encore ces oiseaux de mauvais augure, dit-elle en ouvrant son paquet de cigarettes.

La clope se consume et dégage un épais nuage de fumée dans la voiture. Lindsay aimerait bien disparaître dedans.

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