Chapitre 02.1

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Eric restait silencieux.

Pourtant, il sentait la colère et la peur se disputer sa raison.

Il y avait aussi cette douleur lancinante.

S’il saisissait le pistolet qu’il portait sur lui, là, maintenant, il parviendrait peut-être à tuer ce monstre prétentieux.

— Je te le déconseille, le prévint Jameson qui avait suivi le cheminement de ses pensées. Cela fait deux jours que nous te traquons, Eric. Huit de mes hommes ont failli t'avoir cette nuit, mais tu les as tués. Sans compter celui qui t’a servi à les piéger…

Pour ce que cela avait servi…

En plus, il avait récolté une vilaine blessure dans l’attaque.

— Réussir à en tuer un seul est un exploit, alors huit… J’admire celui ou ceux qui t'ont entraîné. Je suis curieux d’en savoir plus à leur sujet. C’est pourquoi j’ai demandé que l’on te prenne vivant, même blessé… Si possible, bien entendu.

Eric compta mentalement jusqu’à dix afin de laisser la douleur se calmer.

Il ne pouvait rien faire ici. Il y avait toujours quelques habitants sur la place. Essentiellement des hommes en pleine force de l’âge, et quelques femmes. Certaines étaient âgées.

Il ne voulait pas risquer la vie de ces gens qu’il connaissait. Le rôle d’une Sentinelle était de sauver et de protéger les innocents…

En les observant, il avait remarqué que différents groupes de quatre à cinq villageois s’étaient formés sur la place.

Curieusement, ils étaient tous postés non loin des hommes de Jameson. Ils s’en rapprochaient même ostensiblement.

Ce qui rendait d’ailleurs ces derniers plutôt nerveux.

Jameson devait lui aussi sentir que la situation pouvait dégénérer. Pourtant, il n’en montrait rien.

Eric ne pouvait pas risquer la vie de ces gens qui avaient choisi de l’aider, semblait-il. Il en ignorait la raison.

Peut-être le considéreraient-ils finalement comme l’un des leurs.

Peut-être que Jameson et ses hommes ressemblaient trop à des mercenaires.

Ou peut-être que c’était dans leur sang comme dans leur honneur de ne pas laisser des étrangers faire la loi sur leur territoire.

Savaient-ils que Jameson et ses hommes seraient capables de faire un carnage et de le légaliser ?

Personne ne viendrait leur poser des questions.

En tous les cas, pas les autorités françaises.

La douleur devint plus forte. Il devait trouver le moyen de se soigner, sinon il n’irait pas bien loin dans sa fuite, s’il parvenait toutefois à échapper au CENKT.

— Vous savez que je ne me laisserai pas capturer, parvint-il à articuler en français avant de poursuivre en anglais. Certains de vos hommes vont y laisser leur vie.

— Je te l’ai dit : tu n’es en rien responsable des choix de tes parents et je veux en savoir plus sur toi, sur les Sentinelles, sur vos protégés et tout le reste. Pour nous, cela n’a pas de prix… Comprends-tu que, pour toi, c’est une chance ? Rejoins-nous et contente-toi seulement de répondre à nos questions. En échange, je t’offre l’amnistie et une nouvelle vie, sous une nouvelle identité. Je t’en fais la promesse.

— Rien que ça ? Vous devez vraiment être à bout d’arguments, ou carrément aux abois.

Jameson se pencha vers Eric.

Il tendit la main, lentement pour ne pas l’effrayer, et écarta le un pan de sa chemise.

— Et toi, tu n’es pas au mieux de ta forme à ce que je vois.

Eric baissa les yeux. Sa blessure au côté gauche, juste sous les côtes, s’était remise à saigner.

Le pansement de fortune qu’il s’était confectionné une heure plus tôt était tellement imbibé de sang que cela avait souillé son tee-shirt et sa chemise.

— Je coopère ou je meurs.

— Pour une fois dans ta vie, mon garçon, choisis bien. Dans le cas contraire, tu ne verras pas cette journée s’achever. Je peux même t’assurer que tu seras mort avant même d’avoir quitté cette place.

Eric eut un petit rire sarcastique.

— Ce que vous m’offrez est tentant, et curieusement, vos menaces ont l’air beaucoup plus honnêtes que vos promesses. Cela confirme votre réputation. Vous faites des promesses et vous donnez votre parole aussi facilement qu’un junkie en manque de came.

Les yeux métalliques de Jameson n’étaient plus que deux minces fentes horizontales et sombres.

Son visage, jusqu’ici impassible, exprimait maintenant quelque chose d’implacable qui fit frissonner le blessé.

Le militaire se redressa lentement sur son siège en soupirant.

— Les mots ne sont que des mots, cita-t-il, je n’ai jamais ouï-dire que dans un cœur meurtri, on pénétra par l’oreille.

Eric y reconnut Shakespeare.

Il comprit que Jameson avait anticipé ses réactions jusqu’au moindre détail.

Avait-il vraiment l’intention de le prendre vivant ?

Peut-être en avait-il reçu l’ordre de son supérieur hiérarchique.

Il prétendait diriger le CENKT et décider de ses actes par lui-même, mais il ne pouvait pas être totalement autonome.

Le CENKT était une grosse structure. On pouvait le comparer à un iceberg. Il y avait la partie visible et officielle avec sa direction et ses missions bien lisses, et il y avait la partie immergée. La véritable direction et ses missions réelles étaient là.

Jameson était un homme de l’ombre, mais il était surtout de terrain. Pas le genre à travailler dans un bureau et à planifier et coordonner les missions.

Que cela lui plaise ou non, le soldat n’avait pas à juger du bien-fondé des ordres qu’il avait reçus.

Des consignes précises lui avaient été données.

Il avait une mission à accomplir. Il devait avoir carte blanche pour agir en fonction de la situation.

À ce niveau, tout devenait une question de subjectivité.

Eric perçut une série de mouvements derrière son interlocuteur.

Des individus en tenue des forces spéciales françaises venaient de faire leur apparition sur la place.

Certains d’entre eux encerclèrent les hommes de Jameson et les maintinrent en ligne de mire.

Finalement, il s’était peut-être trompé sur les autorités françaises. Elles non plus n’aimaient pas que des étrangers viennent faire la loi sur leur territoire.

Les hommes du CENKT n’essayaient pas de leur opposer une résistance.

À mesure qu’ils les abordaient, les nouveaux intervenants les désarmaient. Toujours arme au poing, ils avançaient avec une extrême prudence vers Jameson et lui.

Les agents du CENKT ne firent aucun geste visant à les en empêcher.

Les villageois paraissaient désemparés face à un tel déploiement de forces.

Le visage de Jameson s’était figé, mais son regard restait fixé sur Eric.

De son côté, Eric évitait de le regarder.

Il observa tour à tour les villageois, les hommes de Jameson et les membres des forces spéciales.

Ces derniers portaient la même tenue de combat qui ne laissait rien deviner de leur identité.

Si, de toute évidence, ils ne travaillaient pas sous les ordres de Jameson, alors pour qui travailleraient-ils ?

Jameson était-il au courant de l’éventualité de leur intervention ?

Il n’avait pas dû demander d’autorisation pour agir sur le sol français.

En général, les autorités françaises n’appréciaient pas ce genre d'initiative.

Ce qui pouvait expliquer la présence des Forces Spéciales et leur hostilité à l’égard du CENKT.

L’absence de réaction de Jameson ne lui donnait aucun élément de réponse.

Pas question de l’interroger sur le sujet. Il préférerait même être écorché vif.

Il vit d’autres habitants sortir des maisons.

À l’expression qu’ils affichaient, ils étaient prêts à en découdre avec tous ces hommes armés, étrangers à leur île, qui prétendaient y imposer leurs lois.

Pourtant aucun des villageois n’était armé.

Des voix grondantes, quelques insultes, commencèrent à fuser dans l’air.

Même dans le dialecte local, Eric comprit la plupart des expressions pour le moins fleuries.

Les autorités n’étaient pas appréciées ici.

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