Dorëa

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 J'errais depuis vingt minutes environs, sur les chemins de terre, entourés de murets rocheux de la Haute-Montagne. J'évitais les pierres, les branches, mais aussi les racines qui se trouvaient sur ma route. Les oiseaux voltigeant dans l'air froid d'Imatopia, chantaient .

Depuis longtemps, mes marches matinales me ressourçaient. J'avais toujours eu ce besoin de m'éloigner du reste du monde, de me retrouver. J'espérais peut-être me rappeler de mon passé si inconnu à mes yeux. Qui étaient mes véritables parents ? Pourquoi m'avaient-ils abandonnée ? Pourquoi aucunes explications ne m'étaient parvenues depuis ces dix-neuf années à vivre seule ?

Mama Thésia, ma mère adoptive, m'expliquait souvent qu'ils ne m'en voulaient sûrement pas. Elle insistait d'ailleurs beaucoup sur ce point. Plus jeune, elle me racontait que parfois, des parents étaient obligés de quitter leur enfant, non pas parce qu'ils ne l'aimaient pas, mais plutôt parce que la vie de celui-ci en dépendait. Mais je n'y prêtais pas attention. Après tout, c'était Mama Thésia. Elle aimait exagérer. Comme quand elle me relatait les derniers potins du village pendant nos parties de cartes.

C'est ce qui revenait souvent par ici, un abandon pour la sécurité d'un enfant. Et quand bien même, elle avait peut-être raison, cela ne changeait rien au fait que je me sentais seule dans ce monde où les Hommes vivaient leur vie égoïstement, dictée par une abominable routine.

Je ne m'étais jamais cachée de dire que je me sentais différente des autres de mon âge. Je n'étais pas de ce genre à vouloir sortir me faire des amis, à expérimenter une quelconque forme d'amour. Je ne voulais ressembler à aucun autre. Avoir une vie trépidante emplie de rebondissements. Et je pense que c'est ce qui me rendait invisible. Je ne rentrais pas dans les codes de cette caste. Je me demandais même à ce moment-là, si je n'étais pas originaire du caste des nomades, les Baroudeurs. Ils étaient libres, et ne dépendaient d'aucune clause sociale. Ils allaient où bon leur semblait, quand ils le souhaitaient.

Mais chaque caste à ses inconvénients. Je n'avais aucune idée de ce que cela faisait d'être sans abri. J'étais beaucoup trop attachée à la petite chaumière de Mama Thésia pour me tester de partir vivre sans une seule ressource. Les Baroudeurs mourraient souvent de faim ou de froid. Je me disais parfois que mes parents étaient sans doute mort de la même manière, mais lorsqu'un un noeud à l'estomac se formait, je reprenais vite les dessus pour éviter de me torturer l'esprit. Bien que j'admirais les aventures de ces Baroudeurs, Je me confortais dans l'idée que ce n'était qu'un simple engouement : mes parents n'étaient pas de cette caste, et je ne survivrais pas hors de ma chaumière.

 Le ciel était bleu, nuancé de touches rougeâtres et le soleil se couchait au loin. Mes bottes foulaient le sentier à un rythme régulier, ne laissant entrevoir mon essoufflement. Le craquement des feuilles me berça pendant un long moment.

Nous habitions, Mama Thésia et moi, non loin d'un petit village qui donnait le nom de notre région, Hima. En début de soirée, Mama Thésia m'avait envoyé chercher précisément deux kilos de graines et quelques légumes. Elle m'avait laissé le choix de choisir ce qui me faisait envie.

J'avais donc emprunté le chemin de la forêt qui bordait notre maisonette, souvent boueuse à cause d'une faille dans le dôme magnétique qui se trouvait au-dessus de nos têtes. Ce n'est pas pour rien que notre caste, celle des Affranchis, logeaient dans les terres profondes : nous avions les plus grosses fissures. Il fallait, bien entendu, éviter un scandale de la noblesse atlante trempée par l'eau de mer.

Je devais rejoindre le marché nocturne, que notre caste appelait la Dorëa. En dépit de son nom, il se déroulait bien avant le coucher du Soleil.

On y vendait surtout des aliments qui n'avaient pas été achetés le matin, comme par exemple, des plantes comestibles, des herbes séchées, des céréales, des graines ou encore des légumes frais récoltés avec soin par les Affranchis. Le plus rare, était de trouver de la viande. La population d'Imatopia aimait respecter la terre, la faune et la flore. Tristement, cette valeur disparaissait au cours du temps dans l'ensemble de l'Atlantide. Nous étions les seuls à garder cette tradition, même si parfois, il était dur de supporter les critiques de nos congénères des castes supérieurs.

De manière générale, nous étions souvent mis à l'écart du reste de l'Atlantide, parfois considéré comme des sorciers, des péquenauds qui n'appréciait pas les plaisirs de la vie. Et pourtant, ils étaient tout à fait au courant du rôle que l'on jouait dans l'équilibre de notre continent. Pour moi, ce n'était simplement que des personnes imbues d'eux-mêmes, et égoïstes en prime.

 Il arrivait souvent que Mama Thésia me demande d'aller jeter un coup d'oeil au marché, même si je lui faisais savoir que je n'aimais pas parler aux Cultivateurs. Bien qu'ils étaient intéressants d'écouter leur discours sur l'importance de cultiver la terre avec amour, ils étaient bavards et je ne désirais pas rentrer à la tombée de la nuit. J'avais beau lui faire savoir, elle était têtue. Elle me raisonnait tout en entortillant mes mèches brunes autour de ses doigts :

  • Leïna, aller là-bas te permettra de parler à d'autres personnes que moi. Un jour, je ne serai plus là. Et je ne voudrais pas que tu croupisses ici, sans sortir le bout de ton nez, m'avait-elle dit une fois.

Et elle gagnait toujours.

 Le vent s'était refroidi. Je revêtis mon lainage blanc que je m'étais tricoté, il y a de cela quelques semaines. Il me tenait si chaud que j'avais instantanément l'impression d'être sous ma couette. A ma connaissance, aucun pull n'avait eu cet effet là auparavant. Je l'affectionnais tant.

A l'horizon, je vis apparaître, le bois boueux qui entourait ma maison. J'enjambai avec prudence les flaques qu'avait formées l'excès d'eau de la rivière. Je détournai mon chemin pour observer l'ampleur des dégâts. Le courant était devenu violent à tel point que des éclaboussures mouillèrent une partie de mon gilet. Cela pouvait durer des semaines, le temps que les Bâtisseurs réparent la faille qui s'était encore agrandie. Lorsque l'ouverture devenait trop importante, l'eau coulait à flots et la force du courant se modifiait.

Quand j'étais plus petite, je passais mes journées à observer les poissons exotiques aux couleurs éclatantes nager à travers l'eau turquoise et translucide. Depuis, cette rivière n'est plus qu'une eau sale, boueuse et sans vie. Comment a-t-elle pu changer à ce point ? Comment l'Atlantide a pu changer à ce point ?

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