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Située dans un quartier du camp où toute sa famille essayait de survivre, Wyatt accueillit Drystan dans sa misérable demeure. Le jeune souverain prit peur en voyant une telle misère. Des bouts de ferraille rouillés, des carcasses, des morceaux de pierres, de vieux bouts de tissus, l’ensemble servait à la survie des habitants du camp. Il s’installa dans un coin de la pièce principale. Un simple fauteuil, dans un état pitoyable, lui servirait de lit. Avant de revenir vers la place centrale, il s’observa dans un bout de miroir posé sur le bord d’une commode.

“Un valet” pensa-t-il.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Drystan repensa à ce moment où il avait rencontré cette femme, Axine. Son côté soldat cachait sa féminité. Un certain charme et une certaine tristesse se dégageaient de sa personne. Curieux d’en savoir plus, il la chercha du regard. Ne la voyant pas, il demanda à Wyatt où elle se trouvait.

– Sûrement en haut, précisa-t-il en désignant un lieu précis du doigt.

Drystan emprunta un escalier qui semblait avoir rencontré le pas d’un géant. Avec une certaine crainte, il gravit les marches une par une, s’arrêtant aux moindres grincements suspects. Au sommet, l’harmonie de la guerre possédait les pleins pouvoirs. Tout se jouait à cet étage. Une grande partie des munitions y étaient entreposées. En entendant de nouveaux bruits suspects, Drystan regretta le confort du château.

Malgré sa peur, il continua jusqu’à un doux craquement qui se termina par l’effondrement de la seule grosse planche de l’étage. Il se sentit tomber, mais réussit à s’accrocher à une barre de fer qu’il supplia de ne pas céder sous son poids. Une main se tendit. Drystan l’attrapa avec le plus grand des soulagements. Une fois hissé sur le vieux plancher, il découvrit un homme à peine plus âgé que lui. Une cicatrice marquait sa joue droite et une autre l’intérieure de sa main gauche. Il se présenta sous le nom d’Olan.

Avec un naturel désarmant pour Drystan, les deux hommes échangèrent sur l’état du camp. Olan lui conseilla d’emprunter un autre chemin la prochaine fois et de ne pas utiliser celui où les enfants jouaient. À partir d’un certain poids, la structure cédait par endroits. Avant d’entendre la voix d’Axine demander à Olan de cesser les enfantillages et de venir au plus vite, Drystan le remercia pour son aide et ses conseils.

Penchée sur des morceaux de cartes, Axine ne se soucia pas des personnes pénétrant son antre. Supposant son frère seul, elle présenta la situation dégradante de la Cité. Drystan découvrit ce que la politique de sa mère avait fait de son royaume. Il tenta de cacher son malaise. Cette situation était en partie de sa faute. Il n’avait jamais cherché à comprendre ou à s’imposer. Sa mère et son frère géraient. Pourquoi aurait-il apporté sa vision ?

– D’après nos hommes, disposés aux différents points stratégiques, la Cité est totalement encerclée par les soldats, commença-t-elle. Des troupes ont aussi été envoyées sur les terres alentours.

– Ce changement de stratégie est étrange. Tout était calme et puis, soudain, l’armée encercle la Cité. Cela ne paraît étrange ? s’inquiéta Olan.

– Avec cette sorcière, on peut s’attendre à tout et à rien à la fois.

– La mort d’Arcturus doit expliquer ce changement.

– Ils doivent nous penser désorganisés.

– Le royaume est grand, et l’armée n’est plus aussi puissante qu’autrefois, lui fit remarquer Olan.

– Cela fait trop longtemps que l’armée n’a plus le contrôle de l’extérieur. Les clans sont devenus indépendants des lois du royaume. Quel avantage à reprendre le contrôle des terres extérieures quand l’intérieur est difficilement gérable ?

Hors des murs de la Cité, des villages entiers s’étaient regroupés en clan dans l’unique but de survivre aux changements. Certains avaient même poussé leurs seigneurs à fuir leur terre pour se réfugier sous la protection de la cour royale. Ils avaient leurs propres lois, leurs propres coutumes. Leurs chefs acceptaient le titre de vassaux d’Apolise tout en refusant de se soumettre à une autorité qui les méprisait. Au fil des années, les clans avaient acquis une certaine indépendance. Chacun se surveillait du coin de l’œil sans jamais se côtoyer. Ignorant cette histoire, Drystan s’aventura sur un terrain qui ne le concernait nullement.

– Pourquoi ne pas vous allier avec ces clans ? proposa timidement Drystan.

Olan et Axine se jetèrent un regard complice. Le nouveau avait-il quelque chose à cacher ? Ou partageait-il vraiment leur quête ? Cette proposition et cet intérêt les surprirent. Cette audace sentait l’espion et non l’allié. Axine décida de le tester. Drystan se trahirait facilement dans ses réponses si elle lui mettait la pression.

– Et pourquoi ferions-nous cela ?

Drystan haussa les épaules. Il était incapable d’apporter le moindre argument. Jusqu’à cet instant, le royaume s’arrêtait aux murs de la Cité. Apprendre qu’un vaste monde l’attendait, le grisait. Son ignorance se glaça. Il se sentit misérable, presque pitoyable, de n’avoir fait que profiter de l’opulence de ses appartements. Le comportement du nouveau venu convint Axine qu’aucun orgueil mal placé ne l’avait incité à prononcer ses paroles. Elle décida de lui faire confiance. Personne n’avait eu droit à cette faveur aussi vite. En bon élève, Drystan se tut et écouta.

– L’idée n’est pas mauvaise, mais on voit que tu viens du château, déclara-t-elle.

Axine se saisit d’un poignard puis poursuivit tout en désignant les territoires avec la pointe de son arme.

– Ici le clan des Amazones. Dès qu’elles aperçoivent des hommes sur leur territoire, elles n’hésitent pas à employer les manières fortes, hésita-t-elle avec douceur.

– Bistouri ! réagit Olan avec une grimace de fausse douleur.

– Non loin de là, les Basfonds : groupe d’hommes et de femmes vivant dans la décharge de Fastic, et pour qui le mot “éducation” est une insulte. Je te laisse imaginer. De ce côté, les Sepchros : ils vivent sous terre et se croient encore au siècle dernier. Le plus inquiétant, c’est que pour eux, les guerres de Répétition ne sont toujours pas finies. Ces trois clans ne sont pas les plus dangereux. Je pourrais continuer encore longtemps et te décrire certaines pratiques ou rituels d’autres groupes. Veux-tu que je poursuive ?

Drystan ne répondit rien. Son ignorance l’aida à garder le silence. L’essentiel était qu’il passait pour un curieux et non un fouineur. Dans l’esprit d’Axine, la possibilité d’une ou plusieurs alliances avec d’autres clans refit surface. Le précédent échec avait laissé un goût amer dans les mémoires. Le pacte entre le clan Stabo et le clan de la Cité s’était conclu par une révolte au sein même des deux clans. L’armée royale avait massacré les Stabos pour l’exemple.

Axine entendait encore les cris, ressentait toujours cet affolement autour d’elle et cette peur sur le visage de son oncle. Elle n’était qu’une enfant pourtant Arcturus l’avait amenée hors des murs de la Cité. Il souhaitait prouver que ses intentions étaient pures, quand mettant son propre sang en danger, il n’était pas un ennemi. Après cette horreur, plus personne n’envisagea d’Union ou de simples tractations.

L’idée trotta dans la tête d’Axine tout le reste de la journée. À l’aide de ses souvenirs, elle analysa les différentes étapes et les différents échecs de l’ancienne Union. Elle ne comprenait pas. Pourquoi et où avaient-ils échoué alors que tout avait été parfaitement mis en place ? Un détail avait tout gâché. Un espion ? Un traître ? La malchance ? La vraie raison restait insaisissable.

Axine aperçut Drystan assis sur un reste de voiture. Elle l’observa avant de le rejoindre. Il était maladroit et ne savait comment se placer, ni où regarder autour de lui. Une forme de gène dictait ses gestes. Axine remarqua qu’il manipulait une balle entre ses doigts et s’amusait avec. Tel un enfant imprudent, il la lançait et la rattrapait comme s’il s’agissait d’un simple jouet. La jeune femme décida de s’asseoir à ses côtés pour apprendre à connaître cet étranger, un peu trop vite intégré à la communauté.

– Une Union a déjà été créée. Elle s’est conclue par un échec. C’est pour cette raison que nous n’osons pas nous engager, de nouveau, dans cette voie. En fait, je crois que la seule erreur a été de ne vouloir unir que deux clans. Nous aurions dû chercher à négocier avec l’ensemble des chefs pour que le changement ait un sens et que l’isolement ne soit plus notre faiblesse.

– Pourquoi me dire cela ?

Axine se saisit de la balle que Drystan manipulait sans précaution.

– Cette petite chose peut contenir plus d’explosifs que tu ne pourrais le croire. Évite de jouer avec.

– Ça ne répond pas à ma question. Je viens d’arriver parmi vous et tu me parles de cela comme si nous avions combattu sur le même champ de bataille.

– Peut-être que j’ai besoin d’une personne ne cherchant pas à juger mes actes avant de les voir.

– Je pourrais être un espion.

– Tu serais plus fouineur que cela.

– Je cache peut-être mon jeu.

– Alors mon intuition a besoin de repos.

Axine laissa Drystan aussi perplexe qu’elle. Cette confidence ne lui correspondait pas. Wyatt lui avait assuré qu’elle n’accordait pas facilement sa confiance. Il l’avait décrite comme une jeune femme fermée aux plaisirs simples de la vie. Axine n’avait connu que la guerre, les conséquences de l’errance et les trahisons gratuites et sanglantes. Peu se souvenaient de l’avoir vu un jour sourire. Chacun de ses gestes était pensé, calculé pour la survie de chaque membre du clan. Arcturus l’avait élevée comme un fils. Les manières des filles de bonne famille n’avaient jamais eu leur place dans son univers. La méfiance était l’un des piliers de son éducation. Elle venait de le fêler en accordant sa confiance à un inconnu.

Drystan observa la vie autour de lui. Toute cette simplicité était loin du modèle hypocrite du nid protecteur de la cour. Les différents habitants du camp le considéraient comme un homme normal, sans titre, ni supériorité. Personne ne savait qui se cachait derrière Grégoire, et personne ne cherchait à savoir s’il mentait ou disait la vérité. Certains regards restaient méfiants, mais les nombreuses marques de sympathie les faisaient vite oublier.

Drystan se doutait que derrière ce calme se cachait une tempête. Il refusa de rentrer dans une forme de psychose. Il décida de poursuivre sa découverte de son peuple encore quelques temps. Les conséquences pour sa couronne n’étaient pas un souci. Depuis son enfance, sa mère gouvernait à sa place. En se mêlant à son peuple, les habitudes et les croyances de chacun ne resteraient plus une énigme pour lui. En restant cloîtré entre les murs de son palais, il passait à côté de son peuple. Le temps jouerait en sa faveur et l’aiderait à comprendre ce qui devrait un jour changer.

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