50 | Putain... !

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Le matin, Corentin fonctionnait au ralenti. Il passait toujours aux toilettes et y restait une vingtaine de minutes à contempler le mur jauni de la pièce. Son ancienne petite amie l’avait souvent surnommé « le zombie des chiottes » à cause de ça et en particulier à cause de sa tasse favorite qu’il emmenait partout avec lui. Pendant que Corentin prenait son café, qu’il finissait toujours par réchauffer au micro-onde, il écoutait la radio. Ladite tasse se trouvait à porté de bras, décorée d’un joli message « Je vous emmerde » dans une encre noire pailletée. Ses amis disaient de lui qu’il était un vieux con dans un corps de jeune ; Corentin pensait qu’ils n’avaient pas vraiment tord sauf qu’il ne débordait pas de conneries comme ses potes de lycée. Lui n’avait jamais fumé de shit ni n’avait jamais eu un comportement désagréable envers la gente féminine. Pas un connard en somme.

La radio réglée sur une chaîne d’information énonçait la possibilité d’un nouveau virus. Corentin ricana ; tous les quatre matins, c’était la même chose. Tout ça, ce n’était qu’un moyen pour faire monter la psychose. Un éventuel confinement ne lui ferait pas mal. Lors du COVID 19, il avait apprécié de pouvoir travailler de chez lui sans à avoir à côtoyer ses collègues dont l’hypocrisie reflétait bien le monde du travail. Et si Corentin pouvait, dorénavant, se permettre de rester dans son appartement, il devait tout de même faire acte de présence sur site.

— Qui est le connard qui m’a envoyé ça ? maugréa-t-il consultant ses nombreux mails. Va te faire foutre, ouais.

Corentin supprima le message qui le sollicitait pour une tâche spécifique.

— Le respect, ça existe !

Il ne supportait pas de ne pas recevoir un « bonjour », un « cordialement » et un « merci ». Plus le temps passait, plus l’éducation, c’est-à-dire la politesse, partait dans les oubliettes.

Il catégorisa son boulot avant de filer à la douche. Il laissa son café froid sur la table de la cuisine. Corentin manqua de se casser la gueule en grimpant dans la baignoire. Il pesta contre le mobilier vieilli et contre sa propriétaire qui n’avait que faire de l’état du logement. Une personne âgée au tempérament de tyran, une sotte avec la technologie quotidienne, une vieille bique aux airs de « Pauvre gueux, je n’ai pas à t’écouter blatérer ». Il savait à coup sûr qu’elle allait lui sucrer la caution lors de son prochain déménagement.

— Heureusement qu’on ne peut pas se loger décemment dans cette ville merdique sinon je me serai barré depuis belles lurettes, bordel ! grommela-t-il.

Comme tous les matins, Corentin se déshabilla dans la baignoire. Un tee-shirt mauve dans la panière de linge pleine, un caleçon sale dans le lavabo, et le voilà sous une bonne douche glacée. Quinze minutes sous la flotte. Sa sœur rouspéterait sûrement si elle savait. De toute façon, ce n’était elle qui payait l’eau. Trente minutes à contempler les toiles d’araignée dans la salle de bain. Corentin finissait toujours par les ignorer puisqu’il se disait qu’il les nettoierait plus tard.

En revenant dans la cuisine, il remarqua la présence accrue de moucherons au-dessus de l’évier, autour de sa tasse de café et des frappabords qui, bizarrement, ne savaient plus où se trouver la sortie.

— Fais chier.

Il n’en fit rien.

Corentin s’avachit comme un porc sur le canapé. La radio diffusait « Bordeline » de Ely Oaks. Cela lui rappelait l’accident survenu deux semaines auparavant.

— Un dégénéré m’a embroché avec une pelle à cheminée un soir avant de s’enfuir comme le lâche qu’il était, marmonna-t-il, massant la blessure cicatrisée. J’ai cru que j’allais y penser.

Il s’étira comme un félin. Il bailla et songea qu’il aurait mieux fait de rester au lit ; il n’avait pas envie d’être soumis à la connerie humaine que son entreprise lui prodiguait à chaque réunion inutile le lundi matin. Corentin se donna un coup pied au cul, fila chercher son ordinateur portable et s’installa confortablement sur son siège de bureau. Quelques secondes plus tard, il constata qu’internet n’était pas détectée. Il ne chercha pas plus loin et envoya un pieux mensonge à son boss.

Qui ne s’envoya guère.

— Pas de signal, chelou.

Corentin ne s’en inquiéta pas plus que ça.

Une odeur lui chatouilla les narines. Il grimaça.

— Putain, c’est quoi cette senteur de mort ?!

Il se fraya un chemin à travers la nué de moucherons et de mouches à merde. Il suivit l’odeur jusqu’à sa chambre à coucher. Il s’arrêta devant la porte fermée. Il cligna des yeux. Il ne se souvenait pas de l’avoir fermé. Tous les matins, son appartement était ouvert aux quatre vents.

— Est-ce un cauchemar ?

Corentin se pinça violemment.

— Non. Ou alors, c’est ce bouffon d’Aristide qui m’a filé sa drogue des rêves à la con sans que je ne le sache !

L’odeur nauséabonde le rebutait. Il faillit dégueuler comme un cochon sur le parquet mais se retint de justesse. Il se fit violence et pénétra à l’intérieur de la pièce. Corentin se figea net.

Dans les draps défaits, en décomposition avancée, il se voyait. Une certaine pelle à cendres plantée à l’endroit exacte de son cœur.

Un rire s'échappa de sa gorge.

— Putain, j’ai clamsé, en fait !

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