Seconde 52

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Les Moussons de Mai alourdissent les feuilles des tilleuls, les attirent jusqu'à l'asphalte où les gouttes grésillent en quinconce - une à droite, l'autre cinq centimètres plus loin dans un quadrant supéro-latéral gauche, et ainsi de suite jusqu'à noyer la ville. Le vert n'éclabousse jamais autant le décor que lors des pluies torrentielles de cette région bipolaire, marées hautes en pleine terre qui succèdent invariablement la grande fonte du bitume.

J'inspire l'exhalaison du pétrichor, m'intoxique avec sa fragrance - singulière lorsqu'elle se mêle à l'essence de l'homme - et plonge dans l'œil de Strasbourg. Petite pièce blanc cassé dans laquelle je passe et repasse mes souvenirs comme la bobine d'un magnétoscope estropié, rompu de vieillesse. Les murs n'en sont pas : ils grimpent plus haut que la plus ségrégationniste frontière, creusent plus profond que la plus abyssale tranchée. L'œil de Strasbourg, une petite pièce de temps où le vent n'a pas de couvre-feu et où je somnole tout du jour.

Bientôt, dix-huit heures tonneront comme le glas de l'orage et les Moussons de Mai n'en auront cure. J'imagine le tilleul aplati sur le trottoir comme une cible à fléchettes ornée de branches poilues sur son pourtour. Le reflet d'un regard, pour sûr. Alors, je me souviens du tien et comme tu dansais sous les trombes. Question de film. Le magnétoscope rembobine en accéléré ; le soleil s'éteint, ton sourire brûle et te voilà gigotant, nue de ton âme, avec la grâce de tes cuisses vadrouillant plus loin que ton corps. Tu disais les torrents ne sont que ce qu'ils sont et ne seront que ce qu'ils étaient : des pleurs du ciel nous ramenant à la terre parce qu'on reste des pantins de matière persuadés qu'on nous a coupé les ailes. Rien n'est tranché. Le soleil s'éteint, ton sourire brûle et te voilà trépassant au su de tous, avec la graisse d'une jouissance jamais atteinte te poursuivant plus loin que ton corps. Rien n'est tranché.

Les Moussons de Mai avalent les oiseaux, le dernier chant du midi m'avait semblé libérateur. J'attends les premières notes du soir ; elles viendront effleurer mon oreille qui tremblera comme une fleur sous le vrombissement du gras bourdon fertile et feront naître un nouveau songe. Une flaque explose à distance de mon pied - c'est l'amour fou, la ville a des œillères -, les immeubles coulent vers le macadam trempé, le ciel pisse plus timidement tandis que les douzaines de minutes bondissent comme des œufs de poule pondeuse. Strasbourg est une boue informe de laquelle j'extrais quelques proétiques détails - quelle bonté. Je crée un trou de ver avec mon ennui et mon envie. Le magnétoscope rougit : le soleil s'éteint, ton sourire brûle et te voilà valsant sous la pluie, sensuelle peau vive française. Question de film.

[Cet été, me laisseras-tu photographier les ombres brunes des moutardes sur le grain de ta peau ?]


[Leapintheunknown . Nomhad]

[Water Falls . René Aubry]

[Ferdi . Sofiane Pamart, Ferdi]

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