75. L’hésitation du Lotus Club

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Oriane

Mais qu’est-ce que je fiche ici, sérieusement ? Un dimanche soir… Je devrais être chez moi, en famille, au lieu de quoi j’ai menti à Louis et Robin, prétextant une soirée entre filles avec Rachel et ses amies. Tout ça pour m’accouder à un bar, seule, donnant sans aucun doute l’image d’une femme désespérée qui préfère passer sa soirée dans un club de striptease plutôt que seule avec dix chats.

Bon, soyons honnêtes, j’adore l’ambiance du Lotus Club, c’est feutré, chaleureux, cocoon. Le barman, Roberto, qui se dirige vers moi le sourire aux lèvres, est gentil et canon dans son pantalon de costume moulant et sa chemise blanche à manches courtes ouverte sur un torse imberbe et taillé dans le marbre. J’ai passé deux dimanches soir ici, quand Hugo et moi nous voyions, et je crois qu’il a autant apprécié discuter avec moi que voir les pourboires que je lui laissais.

Le pire, c’est que je suis là sans savoir si Hugo bosse. Et que je ne sais même pas si je veux qu’il soit là ou non. En vérité, je ne sais même pas ce que je fiche ici. Une part de moi a envie de le voir, de lui parler, de le supplier de me prendre dans ses bras et de m’emmener chez lui. Rachel a fait émerger une envie folle de faire n’mporte quoi. Pourrais-je seulement avoir un amant alors que mon mari est à la maison ? Vu comme je m’en voulais déjà quand nous faisions un break, je n’en suis pas sûre. Et puis, j’ai bien conscience qu’Hugo mérite mieux que ça, et je ne suis pas certaine de vouloir lui infliger cette position d’amant…

— Voilà le plus beau, souris-je quand Roberto se plante devant moi. Sympa, ta nouvelle coupe de cheveux.

— Merci, c’est gentil ! Je te sers quoi ? Tu es là pour le show d’Hugo, ce soir ?

Je note donc que je vais voir Hugo, que je le veuille ou non. De toute façon, mon cerveau n’est pas décidé quant à savoir s’il préfère le voir ou pas. Je note aussi que je suis repérée comme étant une groupie du Lord, au passage, et je ne sais pas trop si ça me fait plaisir.

— Je suis là parce que ton Daïquiri fruité me manque. Un léger, s’il te plaît.

— Juste mon Daïquiri ? Même pas mon sourire de séducteur ? répond-il en souriant.

— Hum… Peut-être, mais j’hésite entre le sourire et les abdos. Je peux choisir les trois ?

— Allez, c’est vendu ! Et j’offre même mon numéro si c’est que tu souhaites. La Maison est généreuse, ce soir.

— Wow, je suis flattée ! Tu fais ça souvent ou je risque de me faire agresser par toutes les femmes ici pour qu’elles le récupèrent ? ris-je en l’observant préparer ma boisson.

— Je ne fais ça que pour les jolies femmes, répond-il, flatteur.

Je lève les yeux au ciel, amusée, et jette un œil à la scène dans mon dos, constatant que David est quasiment à poil. J’aurais dû proposer à Andrea de m’accompagner, au moins j’aurais eu l’air moins perverse qu’en étant là toute seule. Ça crie de partout, les filles sont hystériques. Ces shows ont un effet bizarre sur nous, je trouve. J’avoue que je ne suis pas dans le même état selon si c’est Hugo qui danse ou un autre homme. Avec lui, c’est réellement excitant, comme des préliminaires à distance, alors qu’avec les autres, ça me fait sourire, rire même, parce que j’observe leur manège d’un autre œil.

Je remercie Roberto lorsqu’il dépose mon verre devant moi et hésite à aller m’installer plus près de la scène. Décider si je veux voir Hugo ou non est déjà une chose, mais je suis encore plus hésitante quant à savoir si je veux qu’il me voie.

Je finis par me tourner complètement en direction de la scène, mon verre à la main, lorsque le Lord apparaît sur une musique langoureuse. Vêtu de la tenue qu’il portait lorsque je l’ai vu se produire pour la première fois, un sourire s’étire sur mes lèvres alors qu’il cache son visage derrière son Stetson. Bon sang, son sex appeal me frappe de plein fouet alors qu’il est simplement immobile au centre de l’attention de toutes ces chattes en chaleur.

Oulah… moi, frustrée ? Si peu…

Son corps ondule au rythme de la musique et je ne peux m’empêcher de repenser à cette soirée que nous avons passée à la maison, il y a quelques semaines. Nous étions installés au sol, entre le canapé et la table basse, dévorant des sushis, et une chanson du groupe Aventura est passée à la radio. Hugo s’est levé d’un bond pour m’inviter à danser. Il s’est bien moqué de moi et de mon déhanché coincé alors qu’il était en forme pour une Bachata des plus sensuelles, d’après lui. Je ne sais combien de temps il a passé, les mains sur mes hanches, à m’entraîner à onduler, pour finalement remettre la musique initiale sur mon téléphone pour nous embarquer dans un moment aussi chaud que possible. S’en est suivi un moment torride où nos ondulations nous ont menés à l’orgasme…

Le lendemain, j’ai bossé dans mon bureau avec cette musique en boucle, jusqu’à ce que la curiosité me pousse à aller voir la traduction des paroles. Autant dire que Dile al amor nous était sans doute destiné… Des cœurs brisés, le refus de l’amour… Mais c’était sans doute déjà trop tard.

Hugo effectue son habituel salto pour descendre de scène. Trop perdue dans mes pensées, je ne l’ai pas vu retirer son gilet sans manche, en revanche, je le vois très bien avancer entre les tables et choisir sa proie du soir. Le Stetson atterrit sur la tête d’une jolie rousse plantureuse, et si ce n’est pas Cupidon qui me décoche une flèche, celle qui se loge dans ma poitrine s’appelle Jalousie et fait des ravages. Je ne devrais pas l’être, après tout, je n’ai aucun droit sur cet homme que j’ai fait souffrir. Oui, je l’ai vu dans ses yeux, le peu de temps qu’ils ont été plongés dans les miens dans cette voiture où j’ai mis un terme à notre liaison… Mais force est de constater que je suis bien trop attachée à lui pour ne rien ressentir en voyant les mains de cette femme sur lui alors qu’il l’entraîne sur scène et la fait asseoir, en observant Hugo enlever son jean troué avec classe avant de s’asseoir sur les genoux de la demoiselle…

Je finis mon Daïquiri cul sec et me retourne en direction du bar, levant la main en direction de Roberto pour lui indiquer que j’en veux un autre, et sursaute en voyant David s’asseoir à mes côtés, rhabillé.

— Ça me fait bizarre de te voir avec des fringues, surtout en constatant que même à un mariage, tu es capable de te déshabiller, plaisanté-je sans vraiment sourire.

— Eh bien, quelle surprise, Miss Normandie passe nous voir ! Hugo, ce petit cachottier, ne m’a pas dit que vous aviez recommencé à vous voir. Tu vas bien ?

— Sans doute parce que nous n’avons pas recommencé à nous voir…

— Et tu fais quoi, là ? Toi aussi, tu déprimes tous les jours en pensant à lui ? Parce que lui ne s’en remet pas, je ne te le cache pas.

— Je prends ma dose en toute discrétion, soufflé-je en jetant un œil par-dessus mon épaule alors que les filles s’égosillent à présent devant un Hugo seulement vêtu de son chapeau. Même combat pour moi, c’est dur…

— Vous êtes pas malins, tous les deux. Vous êtes faits l’un pour l’autre, tu devrais au moins recommencer à le voir pour lui redonner le moral. Ou couper court… Je ne sais plus, moi, c’est compliqué, vos histoires. Et puis, Louis qui lui raconte tous ses exploits sexuels avec toi, je peux te dire que ça n’aide pas pour le moral.

— Quoi ? Quels exploits sexuels ? grimacé-je en me redressant sur mon siège. Y a erreur sur la partenaire, je peux te le dire, ou alors il se fait des films. Oh mon Dieu, il… il raconte vraiment ce genre de choses à Hugo ?

— J’ai pas les détails, moi, mais le Lord est en pleine dépression, là, même s’il ne veut pas l’admettre. Même quand il danse, il n’a plus la même énergie, regarde le conclure, là…

Je soupire lourdement et me tournant légèrement vers la scène. Je ne suis pas sûre de l’avoir suffisamment vu danser pour remarquer une quelconque différence, mais c’est vrai qu’il a l’air moins enthousiaste, moins souriant… Et ça me fait mal au cœur.

— Dis… Tu veux bien me faire entrer dans les coulisses ? Ou… je sais pas, j’ai pas trop envie de lui parler dans la salle, mais j’aimerais le voir.

— Seulement si tu lui fais un bisou. Parce que si c’est juste pour le torturer encore plus, moi, je ne veux pas être complice.

— Je n’ai aucune envie de le torturer. Je n’ai même jamais voulu lui faire de mal, au contraire. J’aimerais pouvoir lui faire autant de bien qu’il m’en fait. Et je ne parle pas de sexe, pervers, ris-je en lui tapant l’épaule alors qu’il sourit, l’air entendu. S’il te plaît, David.

— De toute façon, vu où il en est, tu ne peux pas faire pire que tu as déjà fait. Suis-moi, allez. Si tu savais ce que toutes ces nanas paieraient pour avoir ce privilège !

Je termine mon Daïquiri d’une traite, une nouvelle fois, et dépose de quoi payer mes cocktails et laisser un bon pourboire à Roberto avant de suivre David. Il m’entraîne jusqu’à une porte dérobée près de la scène, me fait entrer dans un petit salon où deux danseurs sont installés et discutent sans trop faire attention à nous, puis m’ouvre la porte sur un long couloir que nous longeons. Quand il me laisse devant la battant fermé de la loge qu’il partage avec Hugo, j’inspire profondément et n’hésite que quelques secondes avant de frapper. Je l’entends bougonner, et mon sourire se fige lorsqu’il m’ouvre, une serviette de bain nouée bas sur ses hanches. Je crois que je pourrais baver des heures durant devant cette vision divine, mais je me secoue et mes yeux remontent sur son visage pour plonger dans les siens.

— Salut, soufflé-je presque timidement.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-il en regardant derrière moi pour voir si je suis seule.

Excellente question… Qu’est-ce que je fais là ? J’assouvis un manque, je comble une envie incontrôlable, j’essaie d’arrêter de réfléchir pour profiter ?

— Je… j’avais follement envie de te voir, et… d’essayer de trouver une solution pour nous…

— Vas-y, entre, soupire-t-il avant de refermer la porte derrière moi. Tu entends quoi par trouver une solution ? Il faut que je déménage à l’autre bout de la Terre pour qu’on puisse oublier qu’on a fait des folies ?

Hugo passe sa main dans sa tignasse mouillée et j’avoue que mon taux de concentration diminue lourdement. Surtout qu’en l’observant faire, mon regard dévie sur le miroir derrière lui qui me permet de reluquer son dos musclé et ses jolies petites fesses bombées sous la serviette. Rah, ça m’énerve, j’ai l’impression de devenir une midinette en sa présence.

— Je n’ai aucune envie d’oublier ces moments que nous avons partagés, surtout pas. A vrai dire, je les chéris plus qu’autre chose.

— Oh si tu savais comme je les chéris moi aussi, me lance-t-il dans un cri venant du cœur. Désolé, je m’emporte… Ça te dérange si je me change devant toi ? Ce n’est pas comme si tu n’avais pas déjà tout vu, de toute façon.

— Comment tu veux que j’arrive à poursuivre cette conversation si tu te mets à poil sous mes yeux ? ris-je en approchant. J’ai déjà bien du mal à aligner deux mots… Tu me manques, Hugo. Beaucoup. Je sais que je n’ai pas le droit de me plaindre, que je ne devrais pas te dire ça, mais c’est la réalité. J’en suis venue à débarquer ici pour t’apercevoir et crever de jalousie, c’est dire…

Il hausse un sourcil mais s’interrompt dans sa séance de rhabillage après n’avoir enfilé que son caleçon.

— C’est moi qui devrais être jaloux, non ? Toi, tu as quelqu’un dans ta vie, tu ne t’endors pas toute seule dans ton lit, tu peux avoir des câlins quand tu veux. Moi, je suis seul. Je suis incapable de te remplacer par qui que ce soit…

— Je ne sais pas ce que Louis est allé te raconter, même si j’en ai eu un petit aperçu de la part de David, mais il ne m’a pas touchée depuis des mois. Et… on vit en colocation, Hugo, je t’assure, je… je n’ai pas envie de ses câlins, de tout rapprochement, je ne pense qu’à toi. S’il n’y avait pas Robin, terminé-je dans un murmure en approchant encore d’un pas.

— Mais Robin est là et il ne faut pas le perturber, je comprends. J’avais déjà compris, tu sais ? Je sais que c’est déjà compliqué pour lui avec son handicap, mais… En fait, je vais te reposer ma question : qu’est-ce que tu fais là si rien n’a changé depuis que tu as mis fin à notre relation ?

Son ton n’est pas celui qu’il employait lorsqu’il me disait des mots d’amour, mais il n’est pas non plus aussi froid et impersonnel que lorsqu’il m’a accueillie dans sa loge. C’est un bon signe, non ?

— Honnêtement ? Si je te dis que Rachel me pousse à retomber dans tes bras malgré mon mariage et que j’ai fini par me dire que si nous voir nous rendait heureux tous les deux, pourquoi pas, finalement… tu me prends pour une dingue ?

— Un peu, oui. Tu vas gérer comment, la culpabilité ? Je te connais, tu sais ? Tu es trop entière pour les compromis, il me semble…

— Je gère tout aussi mal notre éloignement. Alors, quitte à mal gérer, je préfère faire avec la culpabilité si ça veut dire passer du temps avec toi. Je sais que je ne te propose pas le plan idéal, que je ne peux pas te faire de promesse, mais… je ne finirai pas ma vie avec Louis. Plus j’y réfléchis et plus ça me semble dingue. Je refuse de passer ma vie à passer après tout le reste, à prioriser les autres à mes dépens…

Hugo reste silencieux et, au lieu de répondre, se remet à s’habiller et je perds le peu de superbe qu’il me reste. J’aimerais pouvoir lire dans ses pensées, à cet instant, et la peur qu’il me rejette s’insinue dans mes veines. Je le mériterais, c’est sûr. Ce que je lui propose n’est pas juste, et je recule finalement de quelques pas en direction de la porte, prête à encaisser et à fuir au besoin.

— Ecoute, Oriane… Je… Ta proposition est vraiment surprenante. Je… j’ai très envie de te dire oui et de replonger tout de suite. Tu… C’est ce que j’attends depuis que tu m’as dit que c’était fini, si je veux être franc. Mais ce jour-là, tu m’as aussi fait beaucoup souffrir. Il faudrait… Je suis dans le même état qu’après le décès de Valérie, tu vois ? Et… si je devais vivre la destruction de mes espoirs une nouvelle fois, je ne suis pas sûr d’y survivre… Je crois que tu es venue ici sur un coup de tête et que ce serait mieux pour nous deux de réfléchir. De laisser passer quelques jours pour voir si on est toujours dans l’idée de reprendre et, si c’est le cas, on fonce. Mais si tu changes d’avis d’ici là, eh bien, je ne me serais pas fait de fausses idées pour rien. Tu en penses quoi ?

J’acquiesce bêtement à plusieurs reprises. Je comprends ses hésitations, évidemment, et si une part de moi espérait qu’il fonde sur moi et que nous reprenions là où nous nous sommes arrêtés, je ne suis pas étonnée qu’il soit plus ou moins réfractaire à l’idée. Du moins, qu’il ait besoin de temps pour l’envisager.

— D’accord, si c’est ce que tu veux, je le respecte. Sache que je ne changerai pas d’avis, il m’a suffit de te voir m’ouvrir cette porte pour que je sois sûre de mon choix. Mais prends ton temps, j’ai conscience que ce que je te demande est compliqué.

— Je t’appelle ou je t’envoie un message dès que… dès que j’ai les idées un peu plus claires, d’accord ? Ça m'a fait plaisir de te voir aujourd’hui, en tout cas. La surprise est agréable.

— Moi aussi, ça m’a fait plaisir. J’attends de tes nouvelles. Oh, tu diras à David que je n’ai pas respecté sa demande, mais je pense que vu les circonstances, il vaut mieux attendre pour un bisou, souris-je doucement. Prends soin de toi, Hugo. A bientôt, j’espère.

A ma grande surprise, il me rattrape avant que je parte et dépose un baiser sur ma joue avant de tendre la sienne.

— Si tu veux avoir le droit de revenir, il faut respecter tes engagements, non ?

Je dois avoir un sourire niais sur le visage, mais je m’en fiche totalement. Je me hisse sur la pointe des pieds et pose mes lèvres au coin des siennes plus longtemps que nécessaire. Mais certainement pas assez pour me combler. Je voudrais que ses bras m’enserrent contre lui, qu’il me fasse tout oublier à nouveau, mais il a besoin de temps et je l’accepte. Après tout, je n’étais moi-même pas sûre de moi, assise au bar tout à l’heure.

Je lui souris une dernière fois et sors de la loge, mon cœur battant la chamade dans ma cage thoracique. Je sais que rien ne sera facile, qu’il accepte ou non, mais je pense que ça peut marcher entre nous. Qui sait ce que nous réserve l’avenir ?

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