Partie Finale

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 C’était une montagne perçant les nuages ; une femme-serpent si grande que le monde paraissait petit, si menaçante que ma respiration s’en trouvait coupée. Elle se pencha sur moi, la langue fourchue étirée entre ses lèvres charnues et nous enroula, avec Kina, dans son corps écailleux.

 Mais elle n’impressionnait pas le démon qui aurait mieux dû fuir, car le bout de sa queue colossale l’écrasa dans un fracas dévastateur et n’en laissa qu’une bouillie.

 Kina m’enlaçait.

 « C’est fini, dit-elle. C’est fini ! » Mais elle ne paraissait pas soulagée.

 Je suffoquais. C’est moi qui criais ?

 « C’est fini ! » continuait-elle.

 Je la repoussai en vain, mes forces sapées, la douleur insupportable ; je me convulsai, frappai les écailles blanchâtres et pleurai de terreur. L’engourdissement m’envahissait, me paralysait et me tirait inexorablement vers les ténèbres. Une froide sensation me couvrit les épaules, m’étreignit le cœur et me parcourut le dos brisé, dans une position abominable, les jambes fracturées.

 « Maman… » parvins-je à articuler.

 Kina demeurait silencieuse, les joues perlant de larmes, son regard planté dans le mien ; il s’arrondit. Elle bondit et disparut. Elle revint avec un cœur en piteux état, plaqua ses lèvres contre les miennes et y déversa dans ma bouche l’aliment mastiqué.

 « Avale ! m’ordonna-t-elle. Mange ! » Elle me secoua. « Allez ! » Me gifla. « Guéris-toi ! » Un coup-de-poing sur ma poitrine me ramena à la réalité.

 Elle m’enlaça en sanglotant.

 « Je suis désolée ! Ne meurs pas ! »

 Hélas, c’était insuffisant. La noirceur m’emportait, m’enveloppait dans des draps de coton, me couchait dans un lit de plume en présence d’une aura familière. « Maman », m’entendis-je l’appelée. Mais ce fut une énergie infinie qui me répondit. Un amour paternel. Alors, je me corrigeai : « Papy ». Il était en colère, dans une rage folle, terrifié à l’idée que j’eusse pu disparaître de son existence.

 Il me rassura, me reforma, me remplit d’énergie et me cajola. Lorsque je rouvris les yeux, Kina n’était plus. Je me trouvais dans mon lit, à l’intérieur de ma chambre, dans le magasin de ma grand-mère, les toiles pleines d’araignées pendues à leurs fils blancs, étonnées de me trouver là. Je compris qu’il m’avait ramené à la maison, et que plus jamais il ne me laisserait voir Kina. Et que plus jamais je n’en aurais envie.

 La porte s’ouvrit avec fracas, une nuée de petites bêtes à huit pattes investirent les lieux. Puis ma mère débarqua en trombe, les joues humides, les couettes hautes, avec sa robe rose bonbon mal repassée. Elle se jeta sur moi en criant mon nom et frotta sa pommette contre la mienne, puis me lécha le visage.

 « Maman ! » feignis-je d’être écœurée. Son odeur m’embaumait, me réconfortait. Je me laissai aller au sanglot, mes émotions bousculées entre le chagrin, le soulagement et la peur.

 « Ma petite pièce, dit-elle. J’ai eu tellement peur ! Mamie a retourné toute la planète pour te retrouver ! Ne me fais plus jamais ça ! »

 Elle me serra fort dans ses nombreux bras et nous restâmes ainsi un moment.

 « Maman ? l’appelai-je.

 — Oui ?

 — Je t’aime ! Je ne te quitterai plus jamais ! »

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