La terrasse
Je déambulais depuis quelques heures à travers cette ville où j’avais mis les pieds la veille pour la première fois. Mon volumineux guide de voyage vantait l’intérêt du centre historique, l’authenticité de ses vieilles pierres et, en son cœur, l’architecture d’une antique église romane. Pauvre édifice, encerclé par une flopée de boutiques quasi identiques, toutes bondées de touristes en quête de gadgets futiles et d’objets décoratifs de piètre facture destinés à être offerts en souvenir.
Je n’aime ni les souvenirs ni la foule. Ma halte dans cette cité médiévale, défigurée par une société oublieuse de l’être, toujours plus obsédée par l’avoir et le paraître, s'avérait finalement une bien mauvaise idée.
Le soleil brillait, pas un seul nuage n'osait le menacer. J’avais besoin d’ombre et de silence ; les quelques venelles en retrait des axes piétonniers pouvaient m’apporter un moment de détente, loin du tumulte.
Situés face à face, deux bistrots m’invitaient à goûter la fraîcheur de leur terrasse. Je choisis celui de droite et m’y installai.
Je posai mon sac à dos usé par mes nombreuses pérégrinations, commandai une bouteille d’eau fraîche et sortis mon carnet de moleskine afin de relire les quelques notes prises à mon réveil. Chaque jour, j’y transcris mes rêves de la nuit aussi précisément que ma mémoire est capable de les restituer, mais également toutes les bizarreries produites par mon esprit fantasque.
De l’autre côté de la rue, un homme attablé devant sa boisson m’observait. Dès l’instant où je m’étais assis, j’avais remarqué sa présence et son insistance à me dévisager.
Les jambes croisées, ses mains occupées par un petit livret noir, l’individu me faisant face affichait sensiblement le même âge que moi.
Son allure était quelconque, son visage insignifiant ; mais ses manières, débarrassées du superflu, exprimaient la précision et la réflexion. Il m’évoquait ces personnes enfin soulagées d’avoir réussi à se défaire du besoin de plaire aux autres, toutes concentrées qu’elles deviennent alors sur l’essentialité de leur existence.
Bien qu’à une certaine distance de lui, je pouvais discerner dans ses yeux, dans son attitude surtout, une sorte d’apaisement et d’assurance que je lui enviais.
À force de considérations habiles et de regards échangés, je finis par deviner sa solitude ; non pas subie telle une ennemie crainte ou redoutée, mais plutôt appréciée comme une compagne nécessaire et aimable.
Je ne possède pas de montre, ni non plus de téléphone prétendument intelligent – qu’en ferais-je ? –si bien que j’ignore combien de temps je suis resté à la terrasse de ce café.
Ce qui est certain c’est qu’au moment où je me levai pour partir, je compris enfin que l’homme qui me scrutait depuis mon arrivée, n’était autre que mon propre reflet renvoyé par le grand miroir de la devanture du bar d’en face.
Je songeai aussitôt à consigner cette anecdote dans mon petit carnet noir. Le plus difficile fut de savoir dans quelle catégorie la classer : rêve ou étrangeté ?
Annotations