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Des images affluèrent dans son esprit. Celles d’une grande ville plongée dans un brouillard nocturne. L’air était parcouru des nombreux relents de la journée : crottin de cheval, fumées d’usine, charbon humide, l’odeur du fer et celle de la poudre.

Ari venait de tirer. Son pistolet fumait encore.

Elle était à ses côtés.

Une ombre prise dans le brouillard gris fuyait devant eux. Ses pas résonnaient sur le pavé humide.

Elle regarda la pauvre fille vautrée sur le pavé. Elle avait eu la gorge tranchée. Une parmi d’autres.

Certaines avaient été éventrées, d’autres écorchées.

Ils étaient arrivés trop tard pour la sauver.

L’assassin l’avait égorgée, mais il n’avait pas pu aller plus loin dans sa macabre besogne.

Sans se consulter, Ari et elle s’élancèrent à la poursuite du tueur.

L’Ombre courait loin devant eux, mais à chaque seconde, ils gagnaient du terrain.

Comment s’était-elle soudainement évaporée pour se retrouver derrière eux ?

Ari ne l’avait pas encore vue et lui tournait le dos.

L’Ombre en avait profité pour lui asséner un violent coup derrière la jambe droite. Il la brisa nette.

Ari hurla de douleur. Agenouillé, les mains enserrant sa jambe blessée, Ari était à la merci de l’égorgeur.

Elle refusa l’éventualité de sa mort et fonça sur l’Ombre.

Elle se servit du dos d’Ari comme tremplin et bondit sur le tueur.

Il l’esquiva de justesse.

Elle réussit toutefois à lui arracher sa cape alourdie par l’humidité. Enfin, elle put voir à quoi ressemblait l’assassin de White Chapel, le fameux leather Apron.

*

Tac, tac, tac, tac, tac…

Une petite créature rousse galopa jusqu’à eux en faisant claquer ses pattes de bois sur le parquet.

Un chat, ou ce qui y ressemblait le plus.

Une créature mécanique qui miaula et ronronna comme un vrai chat en se frottant contre les jambes d’Ari.

— Ils sont ici, annonça Ari à voix basse. Il faut que tu t'en ailles, Sixtine. Le meurtrier de Londres est en ville. Il va tuer à nouveau. Tu sais ce que tu dois faire.

Londres. Toutes ces pauvres filles…

Contrairement à ce que pensait la police, l’éventreur ne tuait ni pour son plaisir, ni par sadisme. C’était juste ce qu’il souhaitait que l’on croie.

Il avait un autre plan.

— Pas sans toi.

Avant qu’il ait pu répondre, elle plongea la main droite à l’intérieur du canapé, de l’autre, elle saisit le casque.

Elle arracha d’un coup sec les câbles qui le reliaient et le lança en direction de l’arme du premier homme en noir qui entra dans le salon.

Un craquement sec et un cri étouffé l’informèrent qu’elle lui avait brisé quelques os de la main. Ce n’était pas cela qui allait l’arrêter.

Peu lui importait. Elle tenait maintenant son arbalète électrostatique dans sa main droite. Elle l’arma et tira aussitôt, sans prendre le temps de viser.

L’homme tomba lourdement au sol.

D’autres agents arrivaient.

Elle tira son compagnon à sa suite. Comme elle l’avait fait à Londres.

Elle se souvint du monstre. Il n’en avait pourtant pas l’aspect.

Il avait des traits fins presque juvéniles. De taille moyenne, sa manière de combattre, son endurance et surtout la rapidité avec laquelle il était parvenu à les contourner indiquaient qu’il devait être rompu à l’exercice sportif, et en excellente condition physique.

La faible lumière du jour ne lui avait pas permis de distinguer la couleur de ses yeux, ni celle de ses cheveux, mais ses dents, aux canines légèrement saillantes, lui avait semblé d’une blancheur étonnante lorsqu’il lui avait souri.

Certes, il devait avoir une hygiène remarquable, mais sa nature génétique l’y prédisposait sans doute.

Son sourire avait quelque chose de profondément animal.

Elle s’était attendue à une attaque, au lieu de cela, il l’avait saluée à la façon d’un courtisan d’une autre époque, ponctué d’un : « À la prochaine ma jolie ! » avant de lui tourner le dos et de prendre la fuite.

— Sixtine, je ne peux plus te suivre, pour l’instant, tu le sais. Je te mets en danger.

— Je ne peux pas.

— Il le faut. Si on ne fait rien, il recommencera autant de fois qu’il en recevra l’ordre.

— Pourquoi ?

— À cause des lignées, toutes ces femmes qui ont été assassinées… Elles auraient pu donner naissance à un inventeur génial… Ou bien à celui ou celle qui saura mettre fin à l’hégémonie des Antis progressistes. On ne peut pas en avoir la certitude, mais si tu calcules les probabilités en fonction des paramètres que tu connais…

Elle les avait calculées, mais elle ne répondit pas immédiatement.

Deux hommes en noir entrèrent à leur tour dans la pièce et leur tirèrent dessus.

Elle parvint à mettre Ari à l’abri avant de s’élancer en direction des agresseurs.

Elle en neutralisa un avec un carreau électrostatique. L’autre fit la connaissance de ses poings. Puis ils furent six à faire leur entrée en tirant sur elle. Ils étaient beaucoup trop cette fois.

Elle se précipita en direction d’Ari, l’attrapa par le bras et l’entraîna vers une autre pièce.

— Soixante-seize pourcents. Avec une marge de trois en plus ou en moins, ce sont les probabilités. Mais les Antis, comment peuvent-ils le savoir ? Ils ont des devins ?

Ari acquiesça d’un signe de tête.

— Qui donne les ordres ?

— Mon frère, Abbas.

Elle étouffa un hoquet de surprise.

— Un Anti progressiste ?

— Le bras gauche du Pape.

Ils étaient passés dans une autre pièce.

Elle savait que ses chances de survie étaient minces, mais elle refusait de laisser Ari.

Elle remarqua que le chat-automate les suivait.

Avait-il conscience que s’il tombait entre les mains de ces hommes, ils le mettraient en pièces, détruiraient son intelligence artificielle ?

À cette pensée, elle eut le cœur lourd. Il le fut encore plus lorsqu’elle sentit la main d’Ari se glisser dans la sienne.

— Seul, je peux leur échapper, fais-moi confiance. Et si jamais ils me capturaient, ils ne pourraient me tuer… à cause de mon frère. Mais toi, tu n’es rien pour lui. Il ne faut pas que tu tombes entre leurs mains. Ils ont deviné quelle était ta mission, et ils savent que, pour cela, tu dois neutraliser leur assassin. Il y a des gens qui peuvent t’aider. Ils t’attendent dans la serre. Je vous y rejoindrai, dès que je le pourrai

Avant qu’elle puisse objecter quoi que ce soit, il approcha son visage du sien comme s’il souhaitait y poser un baiser.

Au lieu de cela, il chuchota les bribes d’une prière humaine à son oreille : « Ange de Dieu, toi qui es mon gardien, éclaire-moi, défends-moi. Amen. »

Elle sut alors ce qu’elle devait faire. Rien d’autre ne comptait plus.

S’échapper, survivre et tuer l’égorgeur, l’éventreur, l’écorcheur.

Elle regarda Ari et lui sourit une dernière fois avant de lâcher sa main. Elle prit un peu d’élan et s’élança à travers la pièce.

Ari la vit traverser le mur comme s’il n’était qu’une simple cloison de papier.

Il aurait préféré ne pas en arriver là, car il savait que, désormais, plus rien ne la détournerait de sa mission à part la mort.

Il appela le chat artificiel qui sauta dans ses bras, et, pour la seconde fois en moins d’une heure déplia ses larges ailes translucides.

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