Chapitre 3 / Jour 2 - Comme le vent

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Il n'y a que les repas et les apéritifs pour ne pas retenir les amis sur une plage. L'appel du ventre surpasse celui de l'oisiveté.

***

C'est un peu avant dix-neuf heures que toute la petite troupe composée des amis de Martial s'était disloquée.

Six heures étaient passées depuis mon arrivée sur la plage... Quatre heures quinze depuis celle de Lou. J'avais l'impression qu'il ne s'était déroulé que dix minutes tellement j'avais été captivé par sa présence pourtant réservée.

Certes, elle avait daigné parler un peu, et cela m'avait permis enfin d'entendre le son de sa voix et d'en découvrir la tonalité ; mezzo-soprano, comme peuvent l'être encore certaines jeunes filles de son âge, mais aussi quelques garçons qui n'ont pas fini de muer ; la voix des anges paraît-il, mais elle devait surtout être d'une timidité maladive comme je l'avais déjà noté à notre première entrevue. Nous étions deux pour le coup.

J'avais eu aussi la joie de la voir se baigner, et surtout le plaisir de la regarder sortir de l'eau. Spectacle naïf digne d'un tableau idéal à mes yeux. Naïade des océans, la peau déjà cuivrée et dont le soleil reflété dans le ruissellement de l'eau sur son corps ne pouvait qu'encore plus attirer mon regard comme une sorte de convoitise inaccessible.

***

À vingt heures trente, je me retrouvais, penaud – ou presque – devant la porte des grands-parents.

Martial m'avait proposé dans l'après-midi de venir chercher Lou pour nous rendre à la fête foraine de la plage nord. J'avais été surpris par son idée, mais après tout, cela avait été bien au-dessus de mes attentes. Aurais-je eu la capacité de lui demander moi-même de m'accompagner ? Je ne le pense pas. Je me sentis pousser des ailes au moment où l'on me mit devant le fait accompli. Je pris alors cette mission, même si c'était plutôt un plaisir, qui m'incombait exclusivement désormais, comme un joli défi à une timidité devenue viscérale à ce moment de ma vie.

— Sascha, entre donc. Lou arrive, elle se prépare, me dit-on avant de me proposer de m'asseoir.

Je n'attendis pas longtemps. Elle apparut quelques instants plus tard, habillée d'un jean noir, d'un pull ocre et de tennis blanches, tout sourire. Je n'eus pas d'autre réaction plus sincère que de la ravir également.

La route n'était pas longue jusqu'à notre destination. Nous avions marché, côte à côte, silencieusement tout d'abord, et à peine avions-nous tourné le coin de la seconde rue, que tout s'était débloqué. Nous avions enchaîné alors sur nos études respectives. Drôle de moment que les vacances scolaires pour en parler, mais d'entendre à nouveau sa voix devenue si prolixe, mit mon cœur et mon esprit en effervescence. Cinq minutes plus tard, nous étions comme deux amis qui se connaissaient depuis des années – et c'était effectivement le cas.

Au fur et à mesure que l'on se rapprochait de la fête, les musiques des manèges, mais surtout celle plus forte des auto-tamponneuses se précisaient. On pouvait par moment distinguer La Isla Bonita de Madonna, Yaka dansé de Raft, ou encore The time of my life, le titre phare qui était entré dans toutes les têtes des jeunes danseuses, tirée du film Dirty Dancing qui venait de sortir cette année-là.

Je proposai à Lou de nous aventurer sur une des voitures libres de l'attraction, mais elle ne semblait pas vouloir s'y intéresser. Elle avait l'air ailleurs, tout en étant là à écouter la musique, plongée dans She's like the wind, écoutant les paroles qu'elle associait aux images de ce film qu'elle avait sans aucun doute apprécié.

Contournant, le manège des tout petits, elle observa les bateaux du port. Le vent faisait tinter les cordes le long des mâts en une sorte de musique indescriptible et aléatoire.

Le parfum vanillé de son shampooing se diffusait dans le vent léger, apportant les doux effluves jusqu'à moi. Je me rapprochai alors.

***

Les cheveux attachés dégageaient son cou délicat. L'instant était particulier pour moi. En y songeant, j'aurais pu passer des heures à la regarder de la sorte, sans qu'elle ne me voie. Scrutant son ombre chinoise avec en arrière-plan le ciel et la mer se confondant en une couleur unique. L'horizon illuminé par les lampadaires lointains de La Rochelle.

— Dis, Sascha ?... ça te dit d'aller voir la maison là-bas ? Elle a l'air de faire peur.
— Euh... C'est vrai qu'elle n'a pas l'air rassurant. On dirait une sorte de château hanté.

Le brouhaha de la fête foraine s'amoindrit à chaque pas supplémentaire et le silence s'installa au point de devenir pesant à l'approche de ladite maison "hantée". Celle-ci était connue dans la région pour avoir abrité autrefois la scène terrifiante du meurtre d'un couple. Histoire qui était paru dans les nouvelles de l'époque et que je me gardai à ce moment de conter à mon amie pour ne pas l'effrayer.

Lou s'arrêta net devant le portail rouillé.

— Tu trouves pas qu'elle est super bizarre cette maison ? On dirait celle de la famille Adams, dit-elle des ondulations dans la voix.
— Tu sais, à ce qu'il paraît, il n'y a plus personne qui y habite. Il y a sans doute des fantômes. Tiens, regarde derrière la fenêtre là, répondis-je pour la taquiner en désignant la vitre noire dans laquelle se reflétait une étoile.
— Sascha, c'est pas drôle, dit-elle alors en me bousculant de l'épaule, comme pour me faire réagir à ma bêtise.

Mon nez plongea dans ses cheveux fins et soyeux. L'odeur plus forte, mais agréable, s'insinua en moi. Ce parfum serait le sien, celui qui l'identifierait pour les vacances.

— Tu n'as pas froid ? me demanda-t-elle, moi un peu quand même.

J'osai alors déposer mes bras autour de ses épaules, l'attirant pour la coller, son dos tout contre moi. Naturellement, ses mains, en toute innocence, s'apposèrent sur les miennes comme si elle était avec un parent proche.

Je ne savais plus quoi faire. Je m'étais mis dans cette posture afin de la réchauffer et maintenant j'avais l'impression d'avoir passé un stade plus important. Je me faisais sans doute des idées, mais j'appréciai le moment. Mes bras l'enroulèrent définitivement pour les deux minutes les plus magnifiques de ma vie.

***

Nous avions consciencieusement écouté les onze coups de la cloche de l'église. Les deux heures trente de notre semi-liberté étaient passées rapidement, beaucoup trop. J'aurais tellement souhaité que l'instant délicat de notre échange en face de la maison dure plus longuement, mais la consigne avait été donnée par Martial ; couvre-feu vingt-trois heures. Alors, nous avions décidé de ne pas abuser, afin d'avoir l'occasion le lendemain, mais aussi tous les autres soirs, de nous retrouver. Je la raccompagnai, le cœur dans l'âme, vers sa maison de vacances.

L'instant de la première séparation est toujours le plus difficile à franchir. Nous ne nous étions à peine dit bonjour sur le sable quelques heures auparavant, et maintenant il fallait nous séparer. Même si ce n'était que jusqu'au lendemain – car je souhaitais vivement que l'on se revoie le plus souvent possible – il me fallait franchir un nouveau pas contre ma timidité pour lui souhaiter une bonne nuit.

La pénombre de sa rue, le petit recoin de son entrée, avaient laissé nos désirs se prononcer dans un court et petit baiser sur la joue de chacun, au plus près de la bouche. Je ne saurai jamais ce qu'elle avait pu ressentir à ce moment-là, mais je me sentis rougir à l'idée qu'elle ait apposé ses lèvres humides au coin des miennes.

Elle ouvrit la porte. Mandi, la grand-mère bienveillante, l'accueillit en me saluant. Je vis quelques secondes plus tard de la lumière par la fenêtre de sa chambre au-dessus de la porte d'entrée.

Je repartis alors, heureux de ma soirée, flatté du baiser presque indiscret que nous avions échangé.

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