Chapitre 22 (deuxième partie)

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Nous avions regagné Inverie à la période des plus longues journées d'été, été qui s'annonçait assez beau et plaisant. Je commençais aussi à réfléchir à quelques aménagements que nous pourrions apporter au château. J'envisageais de lui adjoindre une aile supplémentaire, voire un étage. Mais ce n'était que de vagues idées dont je n'avais encore même pas parlé à Alex.

Le mois d'août, quasiment un an après notre départ de France, nous amena pourtant une visite qui allait changer bien des choses dans le cours de nos vies. Par un après-midi chaud et ensoleillé, Kyle Mackintosh se présenta au château. J'étais absent ce jour-là, mais il fut accueilli chaleureusement par Héloïse et Jennie. Et ce ne fut que le soir-même, en regagnant mon logis que j'entendis la voix forte de mon ami avant même de voir sa haute stature s'afficher dans l'encadrement de la porte.

- Kyle ! m'exclamai-je en traversant vivement la cour alors qu'il descendait du perron.

- Kyrian ! Comment va ?

- Bien et toi ! Tu es donc rentré en Ecosse ? Tu as abandonné la France ?

- Ah... Peut-être est-ce la France qui m'a abandonné... Non, je plaisante ! Je suis rentré ce printemps, mais disons que... heu... je suis un peu trop embarrassant par là-haut, dit-il en faisant un signe vers le nord. Alors, je me suis dit qu'une petite descente plus au sud ne serait pas une mauvaise idée.

- Tu as bien fait ! Je suis ravi de te voir ! J'imagine que tu as fait connaissance avec tout le monde ici...

- Oui... Il y a une ex-Mademoiselle Du Breuil qui m'a bien volontiers ouvert la porte de ton logis ! répartit-il dans un grand rire. Sacré garnement ! Tu n'as pas choisi la plus vilaine...

- Ni la moins intelligente, ajoutai-je en l'invitant à me suivre.

Nous nous installâmes bien vite devant une chope de bière et commençâmes à discuter. Il m'en dit un peu plus sur son retour, mais s'inquiéta d'abord de moi, de nous. Si je tus l'événement dramatique de l'hiver précédent, je lui expliquai en revanche que je commençais à prendre les rênes du clan et que d'ici peu, si mes gens l'acceptaient, je serais désigné comme laird d'Inverie pour une période de quatre années. Kyle se dit très heureux de pouvoir assister aux serments.

Nous dînâmes dans une ambiance joyeuse, Kyle ne manquait jamais d'anecdotes à raconter, mais ce fut seulement après le repas, alors que nous nous retrouvâmes seulement tous les deux avec Hugues et Alex, que les femmes étaient allées se coucher, qu'il nous raconta ce qui se passait dans le nord.

- Mon père a des petits arrangements qui ne me plaisent guère et qui ne font pas honneur à notre clan, dit-il d'emblée. Je lui en ai fait la remarque plus d'une fois, et à mon retour, j'ai pu constater que les choses avaient empiré. Il fait du trafic d'alcool essentiellement, mais aussi de tabac, ce qui sert surtout grassement des Anglais peu fréquentables. Il est de connivence avec l'ennemi, soupira-t-il. Je ne pouvais pas rester là-bas, à moins de le dénoncer au laird. Mais dénoncer mon père... c'est quand même au-dessus de mes forces, ne serait-ce que pour ma mère. Alors, j'ai préféré partir. Je me suis dit que je te rendrais une petite visite, et qu'éventuellement aussi, je me mettrais au service des MacKenzie. Ils n'aiment pas beaucoup les Anglais et sont jacobites.

Le mot avait été lâché.

- Je sais, répondis-je à Kyle après un regard échangé avec Hugues. Je suis passé chez eux à l'automne dernier, avant de gagner Dunvegan. Je voulais éviter Fort William.

- Pourquoi ?

- Luxley y est toujours.

Kyle hocha la tête. Lorsque je lui avais fait quelques confidences, sur le bateau nous menant en France, je lui avais raconté la mort d'Alec et la fuite vers Dunvegan. Par contre, j'avais omis de dire ce qui était arrivé à Jennie. Je ne m'en sentais pas, à l'époque, le courage. Je n'avais pas besoin d'en dire plus sur Luxley : Kyle avait suffisamment compris pourquoi nous étions passés par le territoire des MacKenzie.

- Jacques n'a pas renoncé à son trône, dit Kyle. Il aura besoin de nous, d'une armée écossaise pour marcher sur Londres. Tôt ou tard. Avant de quitter la France, j'ai eu l'occasion de rencontrer quelques-uns de ses plus proches soutiens.

Hugues hocha imperceptiblement la tête. Kyle poursuivit :

- Mais je pense qu'il est trop tôt encore. Il faut de l'argent, beaucoup d'argent, pour lever une armée. Des hommes, des armes, des chefs. Je suis prêt à prendre les armes le jour où il le faudra et à mener des hommes. Mais ce jour n'est pas encore venu. En attendant... je veux nous y préparer, le mieux possible. Et pour cela... soit je m'engage dans la Garde afin de lever ma propre petite troupe, mais cela voudrait dire aussi vivre de rapines et de compromis qui ne me conviennent pas, soit je me mets au service d'un chef fidèle à Jacques. Ton oncle s'est battu à Sheriffmuir, n'est-ce pas ? Qu'en est-il aujourd'hui ?

- Mon oncle Craig est âgé. Il ne retournera pas sur le champ de bataille. De mes deux cousins, je suis bien incapable de dire lequel prendra la relève. Caleb est un bon meneur d'hommes, il sillonne les terres, s'occupe déjà des fermages. Il sait se battre, aussi. Quant à Manfred... Sa constitution l'empêche de porter plus qu'un poignard, et encore, est-il bien souvent uniquement décoratif. Mais il a une vision des choses, un sens politique redoutable. Il voit loin, un peu comme mon oncle. Je ne sais pas ce qu'ils décideront, mais ce qui est certain, c'est que ni l'un, ni l'autre, n'aiment les Anglais. Alors, pour l'heure, ils composent. Pour protéger le clan, dans les limites de l'acceptable. Les Anglais ne sont pas encore en terrain conquis dans les Highlands, loin s'en faut.

- Je sais. Ils tiennent le Great Glenn, de Fort William à Inverness, mais au-delà, ils ne s'aventurent guère, même avec une petite troupe bien armée. Nous devons cependant rester vigilants : rien ne dit qu'ils ne parviendront pas à contrôler nos terres.

- C'est aussi ma crainte. Et un des défis que j'aurai à relever en devenant laird, répondis-je. La charge n'est déjà pas simple, mais la présence des Anglais, l'Acte d'Union, ajoutent encore de la difficulté. Les taxes sont importantes. Les bonnes années, on s'en sort, mais les mauvaises... La famine n'est jamais bien loin.

- A ce titre, il faudrait peut-être réfléchir à d'autres cultures, dit Kyle en plissant le front. L'orge, l'avoine et le blé sont tout juste suffisants. Te souviens-tu des pommes de terre qu'on nous servait à l'armée ?

- Si je m'en souviens ! Les premières fois, je me suis bien demandé ce que c'était...

- C'était nourrissant. Cela tenait bien au corps avant une bataille. Je me demande si on ne pourrait pas en faire pousser par ici. Cela se conserve bien, aussi.

- C'est une idée. Il faudrait se procurer des semences. Peut-être par l'intermédiaire de François... Il faudra que je lui mette un mot lorsqu'Héloïse lui écrira, la prochaine fois.

Kyle vida son verre de whisky - nous étions passés à une boisson plus forte pour notre discussion plus sérieuse - et me le tendit. Je le resservis et je vis danser une lueur d'amusement dans ses prunelles. Je me doutai alors qu'il n'allait plus être question de nourriture ou de politique.

- Il va falloir que tu me racontes comment tu as séduit la sœur de notre capitaine ! Je t'ai laissé célibataire endurci, la tête tournée vers les Highlands, avec le feu aux fesses pour y rentrer ou presque, prêt à affronter la mer et ses dangers, et finalement...

- Finalement, j'ai pris mon temps. J'ai accepté d'accompagner François jusque chez les siens, à l'issue de sa convalescence. Cela lui a aussi permis de quitter plus tôt les moines. Il commençait à franchement s'ennuyer, avec pour seul horizon le cloître ou la chapelle. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'Héloïse. Nous nous sommes mariés avant de repartir, l'été dernier.

- Tu n'as pas perdu de temps !

J'eus un petit sourire.

- Disons que je n'en avais pas beaucoup non plus...

- Et tu as ramené une Sassenach avec toi...

- Elle est Ecossaise, désormais.

- J'ai entendu qu'elle se débrouillait bien en gaëlique, en effet. Tu as dû être un professeur très... persuasif !

J'éclatai de rire. Hugues ne put réprimer un sourire.

- Héloïse est loin d'être stupide, répondis-je. Et je te conseille de ne pas mettre son intelligence en doute, ni à l'épreuve. Tu pourrais t'en mordre les doigts.

- Une femme qui a du répondant... Une vraie épouse de chef, quoi ! dit-il en souriant.

- Exactement.

Et à mon tour, je levai mon verre et le bus jusqu'à la dernière goutte.

Mais si notre conversation avait tourné autour de la situation du pays, des clans, et de ma femme, il n'avait pas été question de Jennie. Cela aurait peut-être dû me mettre la puce à l'oreille...

**

J'avais invité Kyle à demeurer parmi nous aussi longtemps qu'il le souhaiterait. Il était un compagnon jovial et des plus agréables. Sa haute stature se voyait de loin et sa force fut d'une grande aide à plus d'un titre et plus d'une occasion. Vers la fin de l'été eut lieu la cérémonie des serments. Ce fut beaucoup moins impressionnant qu'à Dunvegan, les fois où j'y avais assisté et que tout le clan rendait hommage à mon oncle. Mais cela fut tout autant solennel. Les hommes étaient venus de toutes mes terres, depuis les rives du Loch Ailort jusqu'à celles du Loch Hourn, depuis Morar et Arisaig à Glenfinnan et Strathan. Certains avaient mis plusieurs jours à faire le voyage. C'étaient pour la plupart des chefs de villages, des hommes qui avaient reçu une charge de la main de mon père ou de mon oncle, voire de mon grand-père pour certains. Quelques-uns étaient artisans, maîtres forgerons, maîtres armuriers. D'autres avaient la responsabilité de lopins de terre assez étendus et figuraient parmi les plus gros contributeurs aux fermages. Ils assuraient aussi, ainsi, la survie du clan des MacLeod d'Inverie.

Contrairement à ce à quoi j'avais assisté à Dunvegan, j'avais préféré que le serment se déroulât au-dehors, devant le château. Alex et Hugues furent les témoins assermentés de la cérémonie et veillèrent à son bon déroulement. Les femmes étaient présentes, bien entendu, et elles avaient pris place à l'ombre du grand chêne. Des tables avaient été dressées aussi, le long du muret et chacun, après le serment, pourrait se restaurer. Je m'attendais à ce qu'un grand nombre de personnes restât durant quelques jours et dans les prairies alentours tout un campement avait été installé. Pour ma part, je me tenais debout devant la porte du château, une table à ma gauche sur laquelle étaient posées les coupes du serment.

Chaque homme s'avança, l'un après l'autre. Hugues et Alex furent les deux premiers, me jurant fidélité et me reconnaissant comme laird d'Inverie. Puis chacun des hommes présents fit de même. Après chaque engagement, je devais partager avec eux la coupe du serment qui contenait une dose de whisky. Je m'attendais à finir la journée dans un état pas très convenable... d'autant qu'il faisait assez beau et que le soleil, en milieu d'après-midi, chauffait bien la cour. Fort heureusement, nous en avions presque terminé. Le lendemain, Hugues allait me faire la remarque suivante :

- C'était certes plaisant d'entendre les serments au-dehors, mais je pense que tu comprends pourquoi ton oncle organisait toujours la cérémonie dans la grande salle...

Le whisky me cognait encore les tempes et j'avais dû recourir à quelques linges frais qu'Héloïse avait renouvelés sur mon visage une partie de la nuit.

**

Kyle n'avait pas prêté serment. Il n'était pas tenu de le faire d'ailleurs, puisqu'il appartenait encore au clan des MacKintosh. Certes, depuis son retour de France, il n'avait pas eu l'occasion de prêter serment au laird de son clan, mais cela ne signifiait pas qu'il devait se rapprocher d'un autre et encore moins, devenir une sorte de "vassal" pour moi. Je l'aurais de toute façon refusé. Pour moi, Kyle était un égal, sans terres, certes, mais un des plus valeureux soldats de ma connaissance et l'ami le plus fidèle que j'aie jamais eu, après Hugues.

Le calme revint petit à petit sur Inverie. Le serment avait aussi été l'occasion de collecter les fermages, du moins en grande partie. Cela allait nous éviter un trop long voyage à l'automne. J'allais très vite demander à Alex de faire la collecte vers Morar et, avec Hugues, j'entrepris de monter vers le nord, jusqu'aux limites du clan MacKenzie. Héloïse tenait à nous accompagner. Je tentai de la dissuader, compte tenu de son état, mais elle fit tant et si bien que je me résolus à la laisser venir avec nous. Nous ne serions pas absents plus d'une quinzaine de jours et je confiai alors la tenue d'Inverie à Jennie et à Kyle, Alex devant rentrer avant nous.

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